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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 8 octobre 2008

Kant, pornographe métaphysique.


(http://ewennallien.skynetblogs.be/post/2974012/le-tantrisme-dans-toute-sa-splendeur)


La faillite de la modernité ne fait guère de doute en ce sens que les objectifs de celle-ci, la Paix, la Prospérité, le Bonheur ne sont pas atteints et ne le seront pas. On appelle parfois cette modernité libéralisme ou capitalisme ; mais ceux là même qui croient dénoncer Léviathan parlent par sa voix. Car Léviathan est une bête aux bouches innombrables.
" En contemplant tes dents effroyables et ta face semblable aux flammes consumantes de la mort, je ne puis voir ni le ciel ni la terre ; je ne trouve pas de paix : aie pitié de moi, ô Seigneur des Dieux, Esprit de l'univers ! Les fils de Dhritarâshtra avec tous ces conducteurs d'hommes, Bhîshma, Drona, Karna et nos principaux guerriers, semblent se précipiter impétueusement d'eux-mêmes dans tes bouches effroyables armées de crocs ; j'en vois qui sont saisis entre tes dents, la tête broyée." (Bhagavad-Gîtâ , voir Guerre)

L'homme n'est pas libéré de la malédiction du travail par le Progrès, bien au contraire le Travail est l'obsession de tous. Le siècle endormi a vu les guerres et les génocides les plus massifs quantitativement jamais réalisés ; quant au bonheur, je vous en laisse juge, non par l'appréciation personnelle de la vie, mais par l'absence des conditions du Bonheur, qui ne peuvent qu'illusoirement être assimilées à la Paix et à la Prospérité matérielles, pourtant déjà bien absentes.

De très nombreux penseurs issus de toutes les traditions intellectuelles condamnent cette modernité fuyante. Mais le plus souvent, ils condamnent les effets les plus détestables, sans discerner le système entier ; car ils parlent le langage du système et vivent dans son monde sans pouvoir en sortir, comme des poissons dans l'eau. Le poisson vit dans l'eau, et aussi loin qu'il aille il est toujours dans l'eau ; sa vie en dépend. Le système intègre les opposés en son sein plantureux, et souvent les rebelles sont des éléments du système. Dans leur caverne, ils voient des ombres et poussent de grands cris d'indignation, mais ce sont leurs propres ombres qu'ils condamnent.

Nous devons nous faire batraciens, reptiles, capables de fouler des zones inhabitées, s'égarer dans la nuit des temps, pour sortir du Système, adopter des formes étranges, approximatives, absolues. Sans doute se verra-t-il des monstres.

La première tâche de l'Encyclopédie nouvelle est de trouver le point d'Archimède, de trouver comment se placer en dehors du Système, de lui être assez étranger pour le voir en totalité. D'en faire la description précise, de tracer ses linéaments et de représenter ses processus permanents de dévoration et d'assimilation. Aucune action ne peut être valable sans cette tâche préalable, car toute action aveugle risque d'être un opposé assimilé, un élément du système, un facteur de nouveau développement de sa puissance.

Le Système n'est pas seulement la coalition de systèmes matériels réels produisant de fausses représentations et de fausses consciences. Dans son origine, c'est le Système idéologique qui a produit les conditions nécessaires à son développement matériel, au déploiement de son entéléchie, qui se révèle être la maximisation du déploiement de la puissance matérielle. Cette maximisation dans la vie de l'homme prend la forme d'un totalitarisme de la puissance matérielle, et d'une négation de tout ce qui n'est pas elle. Cet Autre de la puissance est nié par la destruction de ses signes tangibles mais aussi par la déréalisation, l'extirpation du réel construit par l'homme, et du langage humain ontologique.

Chaque homme issu du siècle porte en lui, comme une fractale, les éléments idéologiques qui constituent les individus comme partie intégrante du Système. L'identité de chacun, les langues, les gestes de la vie ordinaire, sont comme autant de gouttes d'eau devant le soleil, qui reflètent par toutes les couleurs l'unique soleil, l'œil morne et sombre de Léviathan. Comme l'arc en ciel, le système admet toutes les couleurs, toutes les pensées, pourvus qu'elles soient siennes ; et bien sûr il ne fournit aucun outil, aucun mot, pour exprimer la subordination réelle de l'essence même des identités humaines du siècle. La Système s'est nourrit non du mal, mais des plus hautes aspirations des hommes les meilleurs, pour créer l'enfer ; et ainsi en lui le Bien est un moment du Mal, comme le Vrai est un moment du Faux général.

Combattre le Système dont l'entéléchie est la maximisation du déploiement de la puissance par la force est le nourrir, augmenter sa puissance colossale. Ainsi le Système déploie -t-il sans cesse des opposés en son sein. Le Système se nourrit de la force de ses adversaires. Le combat par la force doit être condamné, c'est le préalable de l'Encyclopédie ; et non pour des raisons morales, mais pour de hautes vérités stratégiques. Le combat entre le Communisme et le Nazisme, entre le Communisme et le Libéralisme, ont eu pour résultat de maximiser le déploiement de puissance des pôles en guerre, avant toute chose. L'œuvre de Vassili Grossmann commence à construire la question de l'identité en miroir des deux totalitarismes, Communisme et Nazisme, identité en miroir rendue nécessaire par le partage du terrain d'affrontement, la puissance matérielle, la destruction matérielle. Plus inquiétant, plus terrible, et plus refoulé encore est de creuser la question du miroir entre nous et les totalitarismes historiques.

Le seul lieu possible du combat est l'âme de tout homme, ton âme, cher lecteur ; la Grande Guerre est la guerre spirituelle. La guerre idéologique a pour arme la vérité, rien de plus, rien de moins.

Le développement du système produisant la quasi nullité de déploiement de puissance par de la diffusion de l'information, qui se montre dans le Système comme gratuité, l'heure du combat possible est venue. C'est en lui et à partir de lui que peut naître la condamnation la plus forte et le renouveau de l'espoir pour la destinée éternelle et temporelle de l'homme. Car l'éternité est amoureuse des productions du temps.

Être en dehors du système pour le voir en totalité, c'est la position qu'offre la Gnose. Penser les opposés dans leur unité principielle aussi. L'unité principielle des opposés n'est pas la négation de l'opposition, mais son affirmation même. Les opposés sont inconciliables dans l'espace de référence du monde. Leur opposition est la substance même du monde, l'expression de la volonté de puissance. C'est pourquoi chez l'homme l'intransigeance principielle est une qualité primordiale, alliée au serpent terrestre.

Au contraire, la négation de l'opposition est l'œuvre du système, qui se pare d'égalité. Nier les opposés, les affirmer compatibles, est priver de puissance la vie même. Cette négation n'est pas une position dans l'horizon d'une unité où se constitue des pôles, où se cristallisent des identités ; c'est la négation même de la possibilité d'opposition, qui efface de fait tout droit à l'opposition réelle au Système.

Par exemple, le développement et l'éternité, dont la figure est le durable, sont certes du point de vue principiel issus d'un principe unique, mais sont inconciliables dans le monde. Leur conciliation est transcendante. Le développement durable dans notre monde est un oxymore, figure familière au Système. Le développement de la puissance est nécessairement destruction, autrement dit consommation ; et cela est l'œuvre du temps, est une vague éphémère parmi les mondes. A l'intérieur du monde de la reproduction sexuelle, le mâle et la femelle sont des polarités constituantes, dont la rencontre est productrice, ou fertile ; dans ce domaine l'« homoparentalité »est aussi un oxymore du système. Pour autant l'homosexualité est pensable selon d'autres horizons.

Le point de départ de l'œuvre du Souterrain doit être, par analogie avec ce que fut le rôle de Luther, de partir des principes, de l'urgence de la vie humaine, du flamboyant désir de dépasser l'âme. Le point de départ est la métaphysique, car c'est l'étude des premiers principes.

D'un point de vue logique, le système est construit selon le déploiement logique d'axiomes primordiaux dans le temps. Les axiomes sont des positions, sont des faits crées par la puissance humaine. Sur ce sol se sont accumulés dans les siècles les sédiments du développement du Système, les conclusions du Système, avec ses applications thématiques et ses réplications locales.

La science qui étudie les axiomes, et ainsi en montre l'arbitraire, la relativité, au moment où ils furent posés, je la nomme archéologie, science des principes historiques de la pensée objective. L'archéologie est la reconquête de la liberté métaphysique, car on ne comprend la relativité d'une pensée que de dehors, avec la possibilité de poser d'autres axiomes.

Faute de cette étrangeté, on la prend comme un absolu, comme l'expression même, exacte, du réel, en soi pourtant imposture dans son concept. Ainsi la structure idéologique à l'œuvre dans la détermination du concept de toute puissance divine chez Duns Scot au XIVème siècle, s'est-elle répliquée comme une structure génétique dans le concept de monarque absolu, puis dans le concept d'individu absolu du libéralisme politique actuel, où les déterminations sont pensées comme uniquement négatives, de pures limitations.

Le problème que se pose Duns Scot est le suivant : si Dieu est tout puissant, comment peut-il respecter des règles, une Loi? En effet, elles limiteraient sa puissance. La réponse extrême apportée à ce problème est de dire que Dieu n'est pas lié par la Loi, et qu'il pourrait tout aussi bien préconiser le meurtre ; et que de ce fait l'homme ne peut être justifié que par son décret arbitraire, et non par sa justice intrinsèque, qui est impossible à penser. La Loi n'est donc que limite, négativité. De même, le monarque absolu n'est lié par aucune loi ; de ce fait la monarchie devient tyrannie. Enfin, la liberté individuelle moderne est pensée comme limitée seulement par la liberté d'autrui ; les limites là encore ne sont pas constituantes d'une essence humaine, mais simple négativité. Ainsi le droit est-il séparé du fait, et il devient possible de dire que la filiation, par exemple, ne résulte que d'une décision entièrement libre du législateur, et qu'un enfant peut et doit être retiré à des parents jugés incapables. Ce n'est que dans cette optique de toute puissance souveraine que l'on peut constituer un concept d'homoparentalité, qui ne peut être accordé dans les limites du droit naturel.

La Loi pensée comme négativité amène à ne plus comprendre, ni penser, le rôle constituant, positif de la Loi et de l'interdit pour l'humanité. De ce fait, tout effort de détermination collectif de l'essence de l'homme, qui est l'œuvre des civilisation historiques, est rendu impossible. La toute puissance individuelle entraîne l'extension indéfinie du domaine de la lutte, la course aux armements illimitée comme entéléchie inévitable de la lutte de tous contre tous et du droit de tous sur tout.

Ce caractère indéfini de la croissance en montre assez l'imposture quant à sa promesse d'équilibre, de paix et de bonheur- ils sont renvoyés nécessairement vers le futur, et lie le progressisme sous toutes ses formes au Système.

De manière analogue, la philosophie de la connaissance a travaillé à déterminer à priori le connaissable, et à le réduire à tout ce qui peut servir la puissance mondaine. Il y a analogie fonctionnelle entre la Critique de la Raison Pure de Kant et le matérialisme épistémologique triomphant aux XIX et XX siècles : tous deux interdisent l'accès au monde symbolique, posé comme fantastique, pur produit de la démesure humaine. Pour eux l'imagination humaine est plus productrice que l'Être tout entier, et peut librement créer des images bien au delà des limites de celui-ci. Quelle puissance extraordinaire! Tous deux condamnent les témoignages idiographiques qui prennent pour des faits ce que leur thèses leur interdit de reconnaître vrai, que ce soient les prophètes, les spirites ou les sorciers, quand bien même cela viendrait d'un des leurs les plus doués, de Pascal ou de W. James ; et ainsi le Système peut-il renvoyer aux ténèbres de l'illusion, par le marteau de la "vérité scientifique", tout les clous qui dépassent du monde de la Raison idéologique. Condamner à priori des témoignages, privilégier la théorie face aux faits non réplicables, semble pourtant assez dogmatique-mais cette vérité demeure voilée. Un principe de base de l'Encyclopédie est que l'imagination est une puissance ontologique. L'homme s'appuie nécessairement sur elle pour créer, et de ce fait vit l'imagination comme une négation locale de l'Être ; mais cette perspective est partielle.
Nous rêvons en l'Être. "Le rêve est une manifestation de la vérité" (Hagakure). Il existe une rêverie de l'Être même, une puissance de création toujours déjà présente. L'Être rêve.


De manière analogue quoique locale, la pornographie est un érotisme déployant au maximum la puissance sexuelle, par rapports de force, taille des sexes, hauteur des hurlements, fornication violente et vide, etc ; ainsi la pornographie, vide de monde symbolique, est-elle face à l'érotisme des Tantras l'équivalent fonctionnel de la Critique de la Raison Pure face à la Métaphysique du désir spirituel. La compréhension de l'érotisme tantrique par le Système est la projection horizontale d'un espace sexualisé ; à savoir, un rapport sexuel "normal". Hauteur, largeur et profondeur sont éliminés. Pour un moderne, le symbolique des Tantras est une manipulation dans le but d'avoir un rapport sexuel, une simple hypocrisie de prêtre.

Entre Kant et la pornographie, il y a analogie fonctionnelle globale, qui est d'orienter vers le déploiement intramondain de la puissance, vers la pratique, l'ensemble des forces humaines. Le Système se proclame réaliste, au nom du réel. En réalité, la négation ontologique du Symbolique creuse la polarité, et l'éloigne indéfiniment de l'homme, qui reste une créature toujours plus morcelée, partielle, soumise à une déréliction aveugle qui s'identifie à la toute puissance dans le siècle. Le symbolique, toujours susceptible de ressurgir par violence, est renvoyé aux mondes souterrains par diverses sciences, comme la psychanalyse. Le rôle de cette dernière est d'assimiler le symbolique à la puissance, de le rendre compatible, d'émousser sa virulence gênante.

Etranger au Système se trouve la Gnose, une lecture ontologique du pluralisme de Palo-Alto, et les témoignages des puissances symboliques. L'intensité du réel, la vie humaine dans sa destination éternelle et sa jouissance la plus haute est l'alliance de l'instant, du réel ici et maintenant, et de l'éternité, du monde temporel et des mondes extra-temporels. La puissance imaginale est création de feu ici bas. Le réel devient brasier. L'Encyclopédie n'est pas l'apologie d'une rêverie étrangère à l'immédiat de la vie. La réconciliation des pôles par le Principe dans ce monde et dans les autres est l'intensité de la vie humaine, et non la mutilation de l'homme qu'on nous présente comme une bénédiction.

Ce point est le point le plus crucial des critiques du Système qui en conservent les axiomes. Tous les efforts accomplis dans le cadre des axiomes profonds du système attachent d'autant plus les hommes à leurs fers, car on préfère croire savoir beaucoup que prendre conscience d'ignorer. On préfère croire nos efforts utiles, car portés par nos désirs les plus profonds et les plus sublimes, que de les savoirs absurdes et vains. Le sublime, le profond du désir de savoir ne protège pas de l'illusion. Aussi l'Encyclopédie peut-elle reprendre l'inscription du fronton de Delphes.Connais toi toi même, relativement aux dieux étant l'implicite. Et surtout, ne pas prétendre savoir à priori ce qui est possible, car le flux du réel est toujours plus que la pensée humaine.

Le Système semble connaître une catastrophe à cour terme. Mais la plus grande catastrophe est à long terme, et est infime en notre monde, c'est l'oubli de ce qui faisait le sel de la vie humaine.

La vie humaine est en cendres ; la flamme doit être ramenée au sommet des montagnes. Les sommets et les abîmes de la vie humaine doivent être à nouveau ouverts. La fin matérielle du Système succombant à ses propres déploiements incontrôlables n'est qu'une étape.

A toi, homme noble.

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