ISI

Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

samedi 18 juin 2011

Gender, II . Le lien dissymétrique inconditionnel comme lien archétype .

(Manifestation de l'androgynie du Maître - tantrisme tibétain)



J'avoue, j'ai pensé abandonner le thème des Gender et Cultural Studies . De telles pensées et de telles positions aliénées et aliénantes me paraissent depuis longtemps ce que le sous-système académique et idéologique peut produire de plus révoltant, avec l'antispécisme d'un Peter Singer, de ce genre de professeur d'Oxford qui donne la moitié de ses salaires à des associations animales, et trouve les expériences sur les jeunes enfants « moins choquantes » que sur les hommes adultes, mais aussi « moins coûteuses en terme de calcul d'intérêt positif » que celles sur les singes adultes .

Je ne fais pas d'amalgame, car l'idéologie racine et les lieux de production et de diffusion de ces idéologies est analogue . Ces idéologies sont des produits d'un champ libéral de production idéologique, dont les règles explicites sont assez clairement expliquées dans un texte que je vais publier ici bientôt . La logique de production idéologique d'une telle organisation du champ académique doit être évidemment abordée .

Professer qu'homme et femme sont comme deux espèces radicalement séparées, antagonistes, et dont l'intérêt des unes meurt à la vie des autres, c'est, répliqué en terme d'ethnie, la structure d'une idéologie exterminatrice . C'est monter une incapacité terrible à penser la complémentarité des différences, l'équilibre d'une relation dissymétrique, l'harmonie des rôles établis et acceptés ; cela va très au delà des genres – cela concerne l'ensemble de la vie sociale . Un métier est un rôle clairement établi et accepté . Le fond idéologique des genres est la lutte de tous contre tous, l'incommensurabilité de tous avec tous, hors l'argent ; c'est l'ontologie nominaliste de l'idéologie racine .

L'individu des genres, c'est celui qui est opprimé dès que la société ne le laisse pas absolument libre de décisions qu'aucune raison, aucun intérêt collectif ne viennent mesurer ; c'est la toute puissance individuelle de déterminer tout, y compris son essence, tant que les autres peuvent le faire . C'est donc nier ce principe essentiel que je suis que parce qu'autrui est, est comme moi, et est différent de moi . Les identités des hommes sont imbriquées : je suis père parce que j'ai un enfant ; et l'enfant est enfant parce qu'il a des parents . La parentalité, ce mot d'une hideur toute moderne, pointe la perte des récits et des gestes archétypes des pères et des mères, la Vierge, ou l'homme portant sur son dos, sur le fleuve en crue, le lépreux – car même si l'enfant est horrible, handicapé, l'homme est grand et noble, saint, de le porter sur les difficultés et les boues du monde tant qu'il ne peut pas marcher tout seul .

Le soin de l'enfant par le parent, homme ou femme, est le geste archétype de la relation fondatrice d'humanité . En donnant l'humanité par l'amour, je me grandis dans mon humanité, je m'enracine en elle . Et celui qui reçoit grandit aussi dans son humanité . La relation est dissymétrique, inégale, unilatérale – et noble, sans la moindre exploitation dans ses débuts . Calculer toutes les relations, exiger l'égalité du bonheur – quelle unité de mesure ?- penser l'identité comme une totalité close, c'est le nihilisme en marche, la déshumanisation .

Les parents doivent – c'est un devoir – se faire respecter et obéir de leurs enfants, y compris par le rapport de force, et doivent les nourrir . Les enfants doivent obéir, et ont le droit d'exiger des soins et un soutien matériel . Un enfant dont les parents ne se font pas respecter et obéir de lui subit de la maltraitance – il perd des éléments importants de l'humanité . Pulsionnel, tout puissant, inapte à l'effort, narcissique et immature, il aura les plus grandes difficultés à se socialiser . Ce profil est la règle des instituts thérapeutiques les plus courants . Un parent qui ne gifle pas réellement ou symboliquement son enfant qui l'insulte commet une maltraitance . Un parent qui ne peut apporter d'amour et de soutien à ses enfants est à peine un homme – et les enfants le savent bien, dans les quartiers les plus pauvres, qui méprisent le parent alcoolique et misérable . Au contraire, la mère et le père qui peuvent aider et défendre leurs enfants sont respectés .

La relation originaire de la vie humaine est dissymétrique et gratuite, c'est à dire inconditionnelle ; l'archétype de la relation qui nourrit l'humanité de l'homme est dissymétrique et inconditionnelle . Telle est la relation de l'être au Principe ; la relation parentale ; la relation du Maître au disciple ; du Seigneur au Serviteur dans le Hagakure . Mais ce qu'il faut ajouter, c'est que le disciple qui sert son seigneur devient l'égal de son seigneur par la puissance de la Voie . Tel est le sens de la parole du Hagakure : "Celui qui, après avoir entendu parler de la virtuosité d'un Maître dans un certain art, en conclut qu'il est hors de sa portée de devenir lui même un Maître, n'est qu'un timoré. Celui qui pense qu'il n'a rien à envier au Maître, après tout un être humain comme lui, et met tout son cœur à maitriser l'art dont il est question, a déjà posé le pied sur le chemin de l'accomplissement"

Il en est de même des autres relations dissymétriques . L'enfant est aussi parent, et le parent enfant . C'est par cela que naît l'empathie, la capacité de comprendre et de nourrir l'âme . Je montrerais par un texte que le Maître et le Disciple sont Un . Par ailleurs cette relation n'est pas statique, elle est pensée, vécue, dans l'épaisseur concrète des cycles du Temps . Le disciple, aux pieds du Maître, voit l'Aube d'été, ou le crépuscule des ténèbres . Devant Dieu, si je pouvais embrasser les pieds d'un Maître, me lover comme un chat à ses côtés et m'enivrer de ses paroles...il est noble de s'incliner devant un Maître, comme on s'incline devant les hautes puissances que l'on porte en soit . Il est noble de pleurer de reconnaissance .

Tout être humain est androgyne en puissance, c'est à dire porte la puissance des deux sexes . Il porte une sexualité extérieure, publique, et une sexualité intérieure, ésotérique, qu'il peut apprendre à connaître, y compris dans ses pratiques sexuelles, pratiques connues depuis toujours . La passion amoureuse est une révélation sur soi – tel est le fait . Connaît toi toi-même . Qui connait son soi connaît son Seigneur . La relation archétype entre les sexes est une quaternité : les sexes publics se conjoignent polairement, et les sexes intérieurs aussi dans le secret . Pour le plus grand nombre, le public suffit, et l'intérieur ne rencontre pas toujours la résonance de l'intérieur, qui reste dans le secret . Mais cela ne concerne pas l'archétype .

Un être humain dit homosexuel, et qui donc s'identifie comme tel – il y a déjà, je crois, un grand saut, entre vivre une sexualité homosexuelle et croire « je suis homosexuel », et enfin j'appartiens à « la communauté, etc » possède en lui les deux sexes et l'ambivalence de la manifestation . Les femmes ne sont nullement absentes de l'homosexualité masculine, et les hommes de l'homosexualité féminine . Je ne veux pas me prononcer, mais il existe sans doute des types de processus de fixation de la sexuation consciente . Je crois que la construction sémiotique de l'identité n'est pas moins présente pour la « féministe » que pour le « macho », pour « l'hétérosexuel » que pour le « transexuel » . Et tous ces mots ne sont que de l'écume des identifications, des processus d'identité profonds . C'est pourquoi l'ego peut se créer le spectacle d'une identité sexuelle, mais il n'en demeure pas moins que l'identité sexuelle est essentiellement labile et plurielle, et n'a pas a être fixée par des « je suis X », en dehors des besoins de la communauté humaine à s'inscrire dans le temps et à définir des rôles – et rôle n'est pas identité . Les processus de fixation de l'identité publique du genre « je suis X » ne sont pas libérateurs de puissance, ils sont en principe l'imposition extérieure, autoritaire d'une identité illusoire . Bien sûr, cette fixation publique, comme le statut de « femme mariée », peut donner une certaine protection que certains recherchent . Il n'en demeure pas moins que l'essence de la liberté est de ne pas avoir à définir de telle « identité » . Telle est l'essence de l'ambivalence dandy .

De même, je ne suis pas érudit, mais je suis sûr que de nombreux peuples connaissaient et légitimaient diverses formes d'homosexualité, et de transexualité, c'est à dire admettaient en pratique l'ambivalence des sexes . Chez les Indiens des plaines, le transexuel est un être humain de sexe physique mâle qui intègre le groupe des femmes ; et cela n'est aucunement honteux, et même noble . De même, le Hagakure mentionne l'homosexualité masculine comme une pratique noble, dans une logique aristocratique typique . Je ne veux dire que ceci : la logique sectaire et binaire des genres n'est pas un legs d'un passé ténébreux, mais la dégénérescence d'une pensée traditionnelle à la fois très variée et subtile . Très variée, car les statuts de la femme vont des sociétés matriarcales, comme la Bretagne celtique, aux sociétés patriarcales . Dans ma propre expérience, je n'ai connu que des familles clairement matriarcales . Et le progressisme brutal et simpliste des Gender Studies ne peut en rendre compte .

Comparez :

Et sache et crois qu'au début de la création de l'homme à partir d'une goutte de semence, celui-ci comprend trois associés : son père, sa mère et le Saint, béni soit-il . Son père et sa mère pour confectionner la forme du corps, et le Saint béni soit-il pour confectionner la forme de l'âme . Et quand un mâle est crée, nécessairement sa partenaire féminine est crée en même temps que lui, parce que l'on ne fabrique jamais d'en haut une demi – forme, mais une forme entière . Et l'on ne produit pas d'en haut une âme qui ne comporte pas mâle et femelle (…) c'est ainsi que l'homme fut crée androgyne par l'âme . A savoir deux figures, une forme mâle et une forme femelle .
Rabbi Josef Gikatila, Espagne, XIIIème siècle .

Masculinisme « ce particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent, et leur point de vue) » (1989 : 55). J’entends par « masculinisme » l’idéologie politique gouvernante, structurant la société de telle façon que deux classes sociales sont produites : les hommes et les femmes. La classe sociale des hommes se fonde sur l’oppression des femmes, source d’une qualité de vie améliorée .
Michèle Le Doeuff, XXIème siècle .

Le simplisme brutal et inexact du « il n'y a qu'eux qui comptent, de leur point de vue », sans compter cette affirmation encore plus grotesque, déjà relevée, que le Genre est le premier principe d'organisation de la société, qui divise la société en deux classes sociales, ne peut rendre compte ni du texte présenté, ni de l'histoire de Tristan et Iseult, ni du règne de Nefertiti, sans doute une pauvre femme exploitée par les paysans du Nil, ou de l'apogée du premier capitalisme en Angleterre, sous la Reine Victoria, ni du fait qu'en France, le ministre de l'économie et des finances, la patronne du syndicat des patrons, la patronne d'Areva, n°1 mondial du nucléaire sont ( ou furent, jusqu'à très récemment) des êtres humains de sexe physique féminin . Je dis en toute conscience le caractère grotesque : la violence simpliste de tels propos est du niveau des brèves de comptoir ; et la conservation de la syntaxe accompagnée d'un déplacement des signifiants en ferait un texte digne du racisme du siècle passé . Dans la société capitaliste avancée, les fonctions sont plus que les individus, et les individus, noirs ou blancs, hommes ou femmes, sont des fonctions du Système – et rien de plus . Et c'est là que se situent les classes sociales, dans la division fonctionnelle du travail au service du Système et dans l'explosion violente des inégalités sociales, laquelle, je le répète, est sans lien avec le genre, mais avec la fonction . L'Empire est gouverné par un noir assisté par une femme, et sa violence n'a pas diminué . La féminisation de l'oligarchie n'est pas plus un progrès pour les dominés que la féminisation des gardiens du Goulag pendant la deuxième guerre mondiale n'a amélioré la condition des Zeks . Les femmes bureaucrates qui gèrent les centres de rétention le font autant que les hommes .

L'être humain physiquement masculin est androgyne par l'âme ; l'être humain physiquement féminin est androgyne par l'âme . Hommes et femmes – je ne parle pas en général – peuvent se parler, se comprendre, s'aimer à en mourir, se déchirer – ce sont des pôles du genre humain, et pas deux genres distincts qui ne pourraient communiquer, c'est à dire secréter, comme leur sexe, des confluences, des échanges, une fraternité de poème, de vie, et de sang . Jamais je ne cesserais de voir dans une pensée de l'hostilité des hommes, d'abord le libéralisme anomique d'ancienne histoire, et dans les rejets de ce pommier desséché, les Gender et Cultural Studies, une pensée étouffante, bornée, criminelle . Une pensée de rats de laboratoire, ce que sont de venus les hommes hyper- socialisés . Je me sens frère de sang de mon aimée – je voudrais mourir pour elle sans hésitation . Ce ne sont pas des mots sans référence . L'histoire de la Résistance, de toutes les résistances, le montre . Les femmes d'hommes juifs qui sont allées arracher leur hommes aux griffes des SS en manifestation publique, en Allemagne . Les hommes allemands condamnés à mort pour avoir caché leurs compagnes . C'est une évidente manifestation du caractère inconditionnel du lien . C'est un grand honneur de mourir en résistant, en aimant, en vivant, bien plus que centenaire dans une maison de retraite genrée, comme il en existera un jour .

Dans un réseau révolutionnaire, toutes les questions de vie, y compris les relations hommes-femmes doivent être abordées – mais pas en posant en principe la division, l'incompréhension, la haine, ce qui est le fondement de l'idéologie politique libérale . Dans une véritable pensée du concret, du vivant, par ailleurs, une formation idéologique ne doit pas être détachée de ses effets fonctionnels . Depuis la théorie de la jeune fille, il est raisonnable de reconnaître que la gestion des liens entre les sexes est un aspect du Système général de gestion des hommes comme des choses par le capitalisme . De ce fait, les Gender et Cultural Studies sont le masque idéologique de l'oligarchie - leurs surprenantes contorsions conceptuelles peuvent les faire croire inoffensives . Mais pas du tout . Leur structure logique en double contrainte : les dominés doivent dominer, est syntone à la forme la plus virulente de la tyrannie floue, au Troisième Totalitarisme qui s'insinue dans l'ensemble du monde . Elles sont le masque idéologique, donc, de la domination de l'oligarchie, qui ne reconnaît ni race ni sexe, mais l'argent, et seulement l'argent . Je donne un extrait de Tiqqun à ce sujet :




Tiqqun, extraits.


(…) Ce totalitarisme moderne, totalitarisme déstructuré, flou, voile et organise la domination archaïque d'une ploutocratie, une organisation coloniale dépourvue de métropole physique . La métropole de l'Empire, c'est l'ensemble des êtres humains de la structure de domination, une organisation intégrée par une idéologie et une culture . Les colonies de l'Empire, les provinces, c'est tout le reste . La domination impériale est d'abord idéologique, culturelle, médiatique, informationnelle . Là est le premier champ de bataille : dans le Spectacle .

« Sous les grimaces hypnotiques de la pacification se livre une guerre . Une guerre dont on ne peut plus dire qu'elle soit d'ordre simplement économique, ni même sociale ou humanitaire, à force d'être totale . » (THBL, première phrase ), et qu'elle est un processus historial, sans sujet . « L'époque se réduit à une réalité unique, principielle, et au divertissement de cette réalité .» THBL, p18 .

Le Système parle au nom de l'être, du possible, du possible exprimable - et c'est justement ce travail pour dire ce qui ne doit pas être dit qui marque la tâche inaugurale de Tiqqun . « anéantir le néant : eh bien, la guerre ! » T1, liminaire . Tiqqun de ce fait se place d'emblée du côté de l'ennemi . Car la guerre civile mondiale, la frontière où elle se déroule, comme chez Kafka et Buzzati, est la première chose qui ne se peut exprimer .

Notre Système ne peut éviter utiliser la répression . La répression non plus ne doit pas s'exprimer, doit être camouflée, car elle est un aveu d'échec de la totalisation, et cette situation sans issue redouble la violence de la répression . La répression totalitaire est par essence exterminatrice, négatrice, néantisante, sans aucune possibilité de reconnaissance de l'humanité de l'ennemi . La reconnaissance de l'ennemi est la reconnaissance de l'extériorité, de l'étrangeté au Système comme droit de l'homme . Reconnaître l'ennemi comme adversaire légitime est reconnaître qu'il a des raisons de se battre, et même une noblesse où je peux me reconnaître moi même, car la reconnaissance n'est rien d'autre que cela, une forme de fraternité . L'amour de l'ennemi est une réplique du connais toi toi-même de Delphes, la conscience que l'ennemi est une possibilité de moi, que je ne me résume pas à mon monde, à mon camp, à mon genre, à ma langue, pas plus qu'à mon sang . Le Système ne peut pas, structurellement reconnaître ce droit propre à l'homme d'être étranger, et cette fraternité des combattants . «Dans la guerre qui se livre à présent, il ne reste rien d'un jus belli . » T1,64 . L'ennemi n'est qu'une créature de l'Axe du Mal, l'anti-actant du Récit de l'Empire, mieux encore, de préférence l'ennemi n'existe pas . « (...) parce que la sorcellerie du Spectacle consiste, faute de pouvoir les liquider, à rendre invisible toutes les expressions de la négation » T1, 63 .

La ploutocratie dominante se légitime au nom, je le répète, d'un matriarcat qui prend le nom de politiquement correct, c'est à dire qui donne soit cyniquement, soit même candidement, outre le spectacle de la liberté, le spectacle de la morale, morale autoritaire instrumentalisée pour la domination totale ; spectacle qui porte le nom exact de tartufferie . Cette tartufferie développe une énorme et multiforme puissance de propagande, positive, par les images et les propos, par les leurres de dissidences, comme la gauche moderne, partis, syndicats, organisations humanitaires ou environnementales, Gender et Culturals Studies, et j'en passe . Propagande négative, camouflage de la censure par les déformations volontaires ou involontaires des thèses . Mais surtout censure par la liberté d'expression indéfinie, rendant tout propos simple émanation d'une idiotie purement locale, point de vue légitime, contingent, du genre des goûts et des couleurs qui ne se discutent pas, etc .

Cette perspective est purement issue de l'industrie culturelle du Système, qui est la réduction de toute différence à l'insignifiance, et donc propage le nihilisme . « La jeune fille conçoit la liberté comme la possibilité de choisir entre mille insignifiances » THJF, p102 . Perspective que pourtant l'immense masse des imbéciles va aussitôt acclamer, par intérêt . « Nul n'est esclave de la sémiocratie qui n'en tire un certain pouvoir de jugement, de blâme, d'opinion » . THJF, p103 . Cette tolérance béate du « plein de respect pour des tas de pensées » réduit le dissident au silence par le bruit ambiant, au sens de la théorie de l'information . La tolérance nihiliste noie les dissidents dans une coulée de boue faite de banalités, d'idées reçues, d'aigreurs et de désir de distinction, et j'en passe . Chacun n'a-t-il pas le droit de s'exprimer sur tout ?

Enfin, tout particulièrement, cette propagande du Système s'appuie sur les images des anciens groupes réputés dominés des ères sociales précédentes, pour les « libérer », les « émanciper » au service du Système . Ainsi la « libération » de la femme, plus proprement la libéralisation du marché de la bonne meuf, levier de la mise en conformité globale au Système : « A ceux qui jusqu'hier étaient tenus en minorité, et qui étaient de ce fait les plus étrangers, les plus spontanément hostiles à la société marchande, n'ayant pas été pliés aux normes d'intégration dominante, celle-ci pourra se donner des airs d'émancipation . « Les jeunes gens et leurs mères, reconnaît Stuart Ewen, fournirent au mode de vie offert par la réclame les principes sociaux de l'éthique du consommateur (…) . La Jeunesse et la Féminité hypostasiés, abstraites et recodées en Jeunitude et Féminitude se trouverons dès lors élevées au rang d'idéaux régulateurs de l'intégration impériale-citoyenne . » THJF, p12 . On ajoute volontiers la société plurielle, les genre, etc.

Comment poser une extériorité, un adversaire, quand on naît à la vie dans un monde qui se veut total, comment nier dans un monde qui prétends t'encourager quoi que tu fasses, comme étant l'affirmation positive des différences, de ta différence, tout en condamnant, et plus encore en réputant infâme par une morale de fer par une double contrainte manifeste, cet imperceptible d'essence métaphysique qui te permettrait de respirer, d'être ? C'est par la revendication du mal, par la question de la culpabilité .

Le Système est indifférence glaciale à la différence, sauf si celle ci n'est pas innocente . Dans le cadre du Système, est innocent cette différence qui conserve, voire améliore la valeur fonctionnelle pour le Système de ce qu'elle affecte . Ainsi la libération sexuelle des femmes est-elle l'extension du domaine de la lutte, la libéralisation du marché sexuel, tandis que l'entrée des femmes dans le marché du travail améliore production et consommation . Aussi le dissident doit refuser l'innocence de la différence que lui promet le Système, vouloir une différence coupable : Coupat déclare au Monde : « Nous ne protesterons pas de notre innocence... la race des innocents est éteinte depuis longtemps »




***


Le désir d'innocence s'énonce crument dans les textes des GS, je donne cet exemple, discuté en italique :

De la masculinité à l’anti-masculinisme : Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive par Léo Thiers-Vidal
Origine : http://www.antipatriarcat.org/hcp/html/leo_thiers-vidal.html

Article paru dans Nouvelles Questions Féministes, Vol. 21, n° 3, pp. 71-83, décembre 2002 (Tous droits réservés) . Je vous les laisse, vos droits . Je remarque en passant que la notion bourgeoise de l'auteur et de la propriété est bien là...

« Dans cet article, je propose une réflexion sur la manière dont les chercheurs-hommes engagés dans la lutte contre l’oppression des femmes par les hommes peuvent optimiser leur efficacité politique et scientifique dans l’analyse des rapports sociaux de sexe[1]. En effet, lorsqu’ils prétendent produire des analyses non-biaisées et pertinentes, ils sont confrontés à une double difficulté : d’une part comprendre pleinement des analyses féministes qui désignent leur existence comme source permanente d’oppression des femmes ; d’autre part apprendre à gérer les conflits intérieurs qui en découlent de façon à leur permettre un regard productif, impliqué autant que distancié, sur leur construction et leur action oppressives.

Là encore, le décalage entre l'étude scientifique,clinique de la systémique des liens entre les sexes et l'engagement idéologique vers un devoir être est maximal . Il n'est tout simplement pas crédible qu'un tel engagement moral explicite donne toutes les garanties de l'objectivité d'une étude . Un livre comme « L'extermination des juifs d'Europe » n'est pas sans cesse agité par le pathos de la moraline, et c'est ce détachement qui en fait un grand livre . Vraiment, il faut un manque de recul et de culture vraiment typique du présent cycle pour ne pas sentir le caractère inouï de ce genre de discours, qui mêle les valeurs des cadres du Système (il s'agit d'optimiser une efficacité, de gérer des réactions émotionnelles pour avoir un comportement conforme ) et la construction de positions totalement oppressives et culpabilisantes, comme si un nazi expliquait à un juif que son existence même est une source permanente d'oppression et exigeait de lui qu'il le comprenne, et participe à son élimination . Car le mot utilisé est bien le mot : existence . Non pas les actes, ou même les pensées, mais l'existence . Si ce n'est pas une idéologie impériale et exterminatrice, de quoi s'agit-il ?

L’étude des rapports sociaux de sexe pose avec insistance la question du lien entre sujet connaissant et objet de recherche : en raison de l’ancrage identitaire, affectif, sexuel et corporel qu’engendre l’organisation spécifique des rapports sociaux de sexe, tout questionnement politique et théorique implique que les chercheurs-hommes engagés réévaluent leur construction et leur vécu personnels. En tant que membres du groupe oppresseur, ils doivent apprendre que leur subjectivité est structurée par la position masculine, c’est-à-dire par le fait qu’ils bénéficient de richesses matérielles, de libertés sociales, de qualités de vie et de représentations androcentriques dans la mesure même où ils oppriment les femmes.

Première règle de la culpabilisation : L'examen de conscience . Poser un monde où selon votre sexe, vous êtes membre ou non du groupe oppresseur . Si je dis cela à un mâle dans la débrouille des cités pauvres « En tant que membres du groupe oppresseur, ils doivent apprendre que leur subjectivité est structurée par la position masculine, c’est-à-dire par le fait qu’ils bénéficient de richesses matérielles, de libertés sociales, de qualités de vie et de représentations androcentriques dans la mesure même où ils oppriment les femmes. » il va me rire au nez avec raison . Quelles richesses ? Un appartement moisi et bruyant, perdu dans un lieu sans transports ? Quelles libertés sociales ? Si je dis cela à un réfugié de la République démocratique du Congo...Je répète : la domination n'est pas théorique mais réelle . C'est par la pratique effective de l'exploitation que l'on fait partie du groupe oppresseur . Une femme noire ministre est membre de l'oligarchie ; une caissière est dominée – mais aussi le balayeur du métro . Un homme pauvre des banlieues, contrôlé tous les jours par la police, doit-il dire cela à genoux à celle qui fut la ministre de l'intérieur ? La richesse réelle des étudiants européens n'est pas fondées sur l'exploitation des étudiantes, inexistante, mais sur l'exploitation du prolétariat chinois, mexicain ; et cela dépend de la profession des parents, quand ils financent les études .

Les chercheurs-hommes engagés doivent alors, pour produire des analyses non-biaisées et pertinentes, élaborer une conscience anti-masculiniste[2] : une conscience de leur structuration subjective particulière en tant qu’oppresseur ainsi que la conscience qu’il leur faut développer des façons de saisir pleinement les conséquences de cette structuration pour ne pas reproduire des biais masculinistes. La question centrale émergeant d’une telle conscience est la suivante : de quelle façon la position dominante produite par l’action oppressive structure-t-elle le rapport épistémologique au sujet même des rapports sociaux de sexe ? Autrement dit, de quelle façon les analyses sur les rapports sociaux de sexe sont-elles influencées, voire limitées, par l’appartenance des chercheurs-hommes engagés au groupe social des hommes ?

Un être humain qui entre dans une telle logique indéfinie devient exactement ce que peut être l'être humain hypersocialisé : il perd toute spontanéité, voit dans ses pensées et ses désirs des ennemis, puis finit par avoir honte de lui- même . Et cette bizarrerie extrême, typique des culpabilisations genrées : la position dominante, etc, ne structure rien d'épistémologique, etc, concernant les femmes . Les femmes, elles, n'ont aucun examen de conscience à faire, elles sont purement victimes . Position là encore grotesque, proche dans sa structure de l'axe du mal de la politique extérieure des États Unis .

Analyse des rapports sociaux de sexe : le décalage genré .

Plusieurs chercheures féministes ont pensé le lien entre la position sociale des femmes et l’analyse féministe des rapports sociaux de sexe. Christine Delphy écrit ainsi dès 1975: « L’oppression est une conceptualisation possible d’une situation donnée ; et cette conceptualisation ne peut provenir que d’un point de vue, c’est-à-dire d’une place précise dans cette condition : celle d’opprimé » (1998 : 281).

En clair, l'oppresseur ne sait pas qu'il opprime . Je crois que cette position est globalement inexacte : sinon, on ne pourrait expliquer la jouissance sadique .

Pourtant, peu de chercheurs-hommes engagés ont tenu compte de cet aspect. Au mieux le prennent-ils en compte de façon sélective, rappelant un certaine idée différentialiste de la complémentarité : les hommes seraient moins bien placés pour penser le vécu opprimé, mais ils seraient autant voire davantage capables de penser le vécu oppresseur, d’où la nécessité d’impliquer plus d’hommes dans les recherches féministes (Welzer-Lang, 1999). Il me semble crucial d’approfondir cette question épistémologique car elle conditionne le rapport des chercheurs-hommes engagés au sujet des rapports sociaux de sexe. Analyser les effets de la position sociale sur la production de savoir peut avoir des répercussions importantes sur l’imaginaire masculiniste du « sujet connaissant neutre, autonome et rationnel » qui nie toute particularité liée au vécu masculin.

Les discussions sur la position sont parfaitement légitimes : mais il est clair que la description la plus puissante d'un ensemble de relations n'est pas la perspective d'un pôle, mais celle qui rend compte de l'ensemble des perspectives . La position de l'opprimé n'a aucune supériorité – être opprimé ne donne aucun droit spécial à la vérité .

Cette analyse peut également transformer la façon de s’inscrire dans la recherche masculine engagée : face aux analyses féministes, les chercheurs-hommes engagés ont souvent l’impression qu’ils doivent choisir entre reprendre de façon mimétique et culpabilisée ces analyses, ou développer un propre ordre du jour indépendant et libératoire (Welzer-Lang, 1996). Poser la question épistémologique du lien entre position sociale masculine et analyse des rapports sociaux de sexe permet, au contraire, de sortir de ce faux choix pour envisager de façon innovante l’inscription dans la recherche masculine engagée.

Ah, ce baratin de cadre, le de façon innovante !

Si les analyses féministes sont une source de réflexion cruciale sur le poids épistémologique du vécu, la participation au militantisme féministe permet d’enrichir cette réflexion. Il suffit en effet de participer à quelques dynamiques militantes non contrôlées par les hommes pour que le slogan « le privé est politique » prenne tout son sens mais de façon opposée pour les féministes et les hommes engagés. Ainsi, lors d’un camping anti-patriarcal organisé il y a quelques années en Ariège (…)

Participer au militantisme ? Si étudier objectivement une secte est se convertir aux principes de cette secte, alors oui, le principe se défend . Comme toute secte puritaine, ces féministes font des camps de pleine nature, et des camps anti- ; là encore, le puritanisme se caractérise par ce besoin impérissable de se donner un ennemi affreux, peu importe lequel . Dans la construction de l'estime de soi du membre de la secte, l'ennemi théorique joue le rôle du repoussoir valorisateur . D'autres fond du camping anti-immigration, ou anti-alcoolisme, hein .

(...)les groupes de parole non mixtes et mixtes ont rapidement fait émerger une asymétrie de vécus entre femmes et hommes, et donc de thématiques envisagées et de manières de les traiter. Très rapidement, des oppositions se sont en effet révélées : les hommes engagés ressortaient joyeux des ateliers non mixtes masculins où ils avaient par exemple abordé les premières expériences sexuelles, les fantasmes, l’expression d’émotions, tandis que les féministes ressortaient graves d’ateliers où elles avaient abordé les violences sexuelles et leurs conséquences sur leur sexualité et leur intégrité.

Les ateliers de parole, sur le modèle des Alcooliques Anonymes, ce caractère exigeant d'étalage public des affects, est une pratique sectaire typique, créant une communauté d'affects intenses, et permettant de marteler une idéologie à des psychismes rendus vulnérables .

Au cours de ces journées, cette distance a cru jusqu’à provoquer une confrontation : les féministes ont exigé que les hommes engagés prennent conscience de ce décalage, lié à l’oppression vécue par les femmes, et de la hiérarchie des positions genrées. Si elles ont, malgré leur colère et leur douleur, opté pour une approche très pédagogique, les hommes ont, eux, refusé de proposer une réponse collective et d’accepter cette main tendue. De surcroît, elles ont signalé qu’elles avaient été progressivement exclues des interactions mixtes : regards fuyants, disparition d’une convivialité présente auparavant.

Que dans une petite secte, les dissensions genrées soient généralisées à l'univers et à l'histoire du monde, est banal . Le recrutement des personnes présentes n'a pourtant rien au hasard . Il est clair que les discussions entre femmes au Cap d'Agde n'auraient pas donné cette gravité des narcissismes puritains blessés, tant pour des raisons d'expérience vécues que pour des raisons de convenance : dans ces groupes de parole de femmes, une femme parlant avec joie de ses expériences sexuelles dans le bondage et le masochisme serait-elle audible ? Une autre parlant du plaisir sexuel de sa vie de prostituée ? Une autre aimant rire de blagues sur le viol, et proclamer « quand le viol est inévitable, ferme les yeux, tais toi et prend ton plaisir » ? Je ne parle que de cas parfaitement concrets . Un homme pourrait-il faire remarquer combien de discussion de jeunes filles sont des récits rigolards d'humiliations d'hommes désirants et rejetés ? Ou combien un homme laid et pauvre est sexuellement humilié dans le monde moderne ? La convenance, dans un tel groupe, est de se plaindre de sévices . Ils peuvent être parfaitement réels .

Mais le point de vue des victimes, encore une fois, doit-il être prioritaire, la plainte prioritaire sur la jouissance ? Non . Il n'existe aucun devoir d'entendre les plaintes de tout être humain . La plainte est passagère, ou elle devient nuisible à l'être humain, facteur d'immaturité . Il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré . Il n'y a aucune justice à attendre du monde . Tout se conquiert . La gravité de l'offense, comme la gravité de la mort, est proportionnelle au narcissisme . Il est des êtres humains qui jouissent des splendeurs du monde au cœur des pires dérélictions . Ce sont eux qui ont raison . Par profession, j'ai beaucoup écouté des récits parfois horribles . Je ne l'ai jamais fait par devoir, mais parce que j'étais convaincu que la personne devait sortir de sa perspective de victime passive, redevenir sujet, acteur, désir, puissance de vie
.

Position sociale, androcentrisme et capacité d’analyse .

Si ce décalage genré persistant entre féministes et hommes engagés n’est pas une question d’information mais bien de vécu à partir de positions sociales hiérarchiques, de quelle façon encore plus précise peut-on décrire ce lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance ? L’étude de l’épistémologie féministe du standpoint (Hartsock, 1998) permet de faire émerger deux principales pistes de réflexion. La première tourne autour de la question de l’androcentrisme, défini comme égocentrisme affectif, psychologique et politique masculin, la deuxième concerne la capacité d’analyse, déterminée par une expertise masculine spécifique.

La première piste sur le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance concerne la motivation respective des féministes et des hommes engagés. Les féministes présentes au camping ont interprété de façon politique leurs expériences parce que seule cette politisation répondait à leur intérêt objectif : pouvoir élaborer des outils conceptuels permettant d’agir efficacement contre une réalité oppressive. Ce qui a motivé ces femmes c’est précisément le fait que qualifier les hommes d’oppresseurs et leur action d’oppressive correspond à dire ce qu’il en est dans la réalité – et que ceci est source d’émancipation. Au contraire, les hommes engagés n’avaient pas interprété leurs expériences de façon politique car cela les aurait renvoyé à une réalité masculine constituée d’infliction de violences, d’exploitation, d’appropriation et de non empathie envers les femmes. Or, les hommes, s’ils veulent maintenir leur qualité de vie matérielle, psychologique, sexuelle et mentale, ont intérêt à se cacher à eux-mêmes le caractère oppressif de leurs rapports avec les femmes. Ce qui les motive pour participer à ces dynamiques de groupe, c’est de pouvoir parler d’eux-mêmes, « ce qui [les] préoccupe, c’est l’homme, c’est-à-dire [eux-mêmes], encore et toujours » (Mathieu, 1999 : 308).

Le caractère culpabilisé, hyper-socialisé, attendu des hommes est ici flagrant : elle suppose que les hommes ont intérêt à se cacher à eux même le caractère oppressif de leurs rapports avec les femmes – alors que l'évidence de toute l'histoire et de toute sémantique des rapports sociaux est l'évidente jouissance du pouvoir et de la domination . Cette jouissance de la domination étant justement ce que désirent tant les hommes que les femmes de l'oligarchie, même si le politiquement correct ne cesse d'amener à voiler cette vérité . Si les femmes veulent le pouvoir politique, c'est parce qu'elles le désirent, qu'il est désirable, et qu'elles aussi veulent en jouir . Ce n'est pas logique, ni lucide de supposer que la conscience de la domination est désagréable . Cela montre la répression puritaine des instincts, le mensonge foncier à soi-même que Nietzsche place avec raison à la racine du ressentiment et de la moraline .

Ils thématisent alors volontiers le « rôle de sexe » ou « carcan » masculin - c’est-à-dire ce en quoi ils pourraient également se sentir victimes - ou ce qui relève d’autres oppressions, en faisant l’impasse sur leur propre action oppressive. Ainsi, c’est bel et bien l’androcentrisme qui caractérise les dynamiques et analyses masculines engagées. Cet androcentrisme consiste en un égocentrisme affectif et psychologique qui octroie une place démesurée à ses propres sentiments et vécus, et en un égocentrisme politique où le féminisme est un outil pour améliorer son propre sort.

Rien de cette brillante analyse ne pourrait par contre être appliqué aux femmes militantes ? Elles seraient miraculeusement préservées de l'égocentrisme et de l'intéressement ?

Vu de l’intérieur, par un homme engagé ayant participé à des groupes « pro-féministes » dans différents pays, cet égocentrisme affectif et psychologique s’exprime avant tout par un refus d’empathie envers les femmes. (...) Leur refus d’empathie peut être expliqué en faisant l’hypothèse que tout se passe comme si, pour eux, reconnaître pleinement l’existence des femmes reviendrait à menacer leur propre existence.

Si l'on se rappelle que le but du texte est « d’une part comprendre pleinement des analyses féministes qui désignent leur existence comme source permanente d’oppression des femmes », le fait que des hommes pensent que « reconnaître pleinement l'existence des femmes », c'est à dire traduit, comprendre que leur existence même est une oppression, menacerait leur propre existence n'est pas dépourvu de lucidité objective . Si je dit que l'existence même des corbeaux est un obstacle à la reconnaissance pleine et entière de l'existence des paysans, les corbeaux peuvent penser que leur existence est menacée, non?

(…) Une deuxième piste de réflexion sur le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance concerne la capacité d’analyse à proprement parler. Il s’agit de considérer comment le fait de vivre dans une position sociale oppressive structure la façon d’être au monde.

La position sociale opprimée, non ?

L’épistémologie féministe du standpoint permet de comprendre que vivre en tant que femme ou homme dans une société hiérarchisée produit des « expertises » asymétriques, formes de conscience pré-politique du fonctionnement des rapports sociaux de sexe. La notion d’expertise met l’accent sur le fait que femmes et hommes sont des sujets connaissants actifs, agissant dans une structure sociale donnée, qui gèrent des informations et analyses permettant de se repérer et de s’orienter. Elle se distingue des concepts de rôles, de dispositions, de socialisations ou de performativités par le fait qu’elle met en exergue la conscience pratique qu’élaborent les actrices sociales et les acteurs sociaux des rapports de force sociaux. (…)

Cette perspective est typique de l'individualisme méthodologique libéral à la Boudon . Il évite heureusement toute problématisation systémique du champ social, ou des genres, et ainsi de montrer le caractère corrélatif du « masculin » et du « féminin » social, et donc toutes les complicités nécessaires des pôles...il montre plutôt la lutte de tous contre tous et l'instrumentalisation moderne de la différence en arme dans la société des individus produite par le Système .

Transformation de notre subjectivité : deux temps

Je propose d’identifier des éléments qui permettraient aux chercheurs-hommes engagés de transformer leur subjectivité particulière. Je distingue deux temps, qui ne sont pas nécessairement aussi séparés dans la réalité mais qui permettent de mieux comprendre ce travail de transformation, d’ailleurs permanent. Si le premier temps tourne autour de la compréhension adéquate des théorisations féministes, le second temps concerne la participation à des pratiques militantes féministes permettant de mieux ancrer cette compréhension.

Le premier temps d’une transformation de la subjectivité masculine consiste à lire et analyser de façon approfondie les théorisations féministes. Celles-ci permettent de transformer les grilles de perception et d’analyse des rapports sociaux de sexe, éléments cruciaux de la subjectivité. En cela les travaux fondateurs de Christine Delphy (1998, 2001), Colette Guillaumin (1992), Nicole-Claude Mathieu (1991), Paola Tabet (1998) et Monique Wittig (2001) restent incontournables car ces théoriciennes posent avec clarté les différentes dynamiques oppressives, les bases méthodologiques et épistémologiques pour un féminisme et lesbianisme radical matérialiste et permettent un investissement intellectuel, affectif, politique et personnel radicalement novateur. La compréhension adéquate de ces thèses représente un enjeu majeur pour pouvoir rompre intellectuellement avec la vision du monde masculiniste. En transformant les grilles de perception et de lecture des rapports sociaux de sexe, les chercheurs-hommes engagés entament une rupture du lien entre eux-mêmes et leur groupe social. Assez logiquement, d’importantes résistances surgissent face à une telle rupture, qui vont donner lieu à différentes façons de s’investir dans la recherche engagée. (...)

C'est bien la voie d'une transformation de soi par la rupture avec les liens sociaux, typiquement sectaire, qui est proposée : un investissement intellectuel, affectif, politique et personnel radicalement novateur . Cette démarche idéologique est totalitaire au possible . L'enracinement dans l'ontologie fondamentale de l'idéologie racine, et le caractère unidimensionnel de l'identité de genre, est donné par l'adhésion au matérialisme . Ce sectarisme, fait de doctrines, de pratiques de soi intime culpabilisantes, et de groupes de parole basés sur l'aveu évoque en politique Lutte Ouvrière, et en religion les témoins de Jehovah, c'est à dire la religiosité sectaire anglo-saxonne - et ce n'est pas par hasard . Il faut toute la déréliction du nihilisme pour que de tels projets de vie puissent naître et se voir, comme fonctionnels, soutenus ; et le Système est tel que ce genre de processus est le dernier espace de progrès pour le Système, le dernier espoir de moraline et de statistiques flatteuses .




***


Ces idées peuvent triompher et le Système devenir pire - le choc écologique, l'isolement des individus, la disparition du sens et du réel dans le moral - rien de cela ne peut être freiné par cette victoire . c'est pourquoi elle est inéluctable, sauf si le Système s'effondre avant . Mais c'est une pathologie de l'esprit, et en rien une résistance .

Je vais donner d'autres points de comparaison avec la tradition par la suite, et montrer le caractère fonctionnel de la « libération de la femme » .

Aucun commentaire: