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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

jeudi 2 février 2012

L'extension du domaine de la lutte – ou puissance et impuissance des avant-gardes à exister dans le Système .


(Elisabeth Short)


Ce texte est décidément dédié à Tom Winckert .

Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s'approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché; puis, reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi, en manière de reproche.

Ah! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies
.

Baudelaire, le Spleen de Paris, sur le mur de Tom Winckert .

Faute d'imprimerie ou d'éditeur d'avant–garde -possibilité qui serait offerte par l'existence d'une capacité à des liens fiables et à une organisation – les avant-gardes du Système nommé troisième totalitarisme sont entièrement dépendantes, ou presque, des médias modernes sur le réseau . Or, les nuages s'accumulent quant à la liberté d'expression sur le réseau . Même sans aucune autre information, le souvenir de l'expérience des radios libres, ou de la liquidation de la liberté de la presse par l'étau des lois après 1871, devraient suffire à ceux qui savent pour comprendre que l'actuelle période de liberté ne durera pas .

Il est évident que le Système ne laisse la libre expression sur internet que dans la mesure ou il a besoin de consommateurs, et que tout ce qui ne sert pas la production et la consommation issue de l'oligarchie officielle est sujet à prohibition et à moraline . Le Système diffuse une télévision opium du peuple, et vend alcool et médicaments psychotropes, amiante en certains lieux, et toutes sortes de substances chimiques dangereuses sans frein, mais interdit les « stupéfiants », dont l'oligarchie ne peut contrôler le commerce . Le Système matraque une idéologie libérale matérialiste comme pure expression de la vérité, mais se déclare « laïc » pour toute autre pensée d'ordre du monde . Plus fort encore, le Système interdit la vente de semences végétales non « enregistrées », et de végétaux issus de ces semences, même entre adultes consentants, alors même qu'il autorise ailleurs les échanges d'organes humains . Ortie et pissenlit sont prohibés, puisqu'ils poussent librement, sans payer personne .

Tout ce qui n'est pas asservi est sujet à diabolisation, puis à prohibition . Ainsi la prostitution, l'éther comme boisson ou la vente de bière sont interdits ou autorisés en fonction des intérêts de l'oligarchie . Dit autrement, les « e-nazis », ou les « monstrueux pédophiles » sont, comme les « mauvaises herbes », les idiots utiles de la prohibition à venir – de la fin des interstices de liberté existants . Un film d'Hollywood traite des « monstrueux pédophiles » avec tout le pathos désirable, et les médias officiels du Système le présentent comme un « objet pédagogique », c'est à dire utile pour préparer à la surveillance et à la prohibition . Il n'est pas de liberté sans risque, pas de sécurité sans prohibition . Définitivement, le matraquage du principe de sécurité est au service de la tyrannie « désenchanteresse »d'un tout petit nombre, voués à maximiser l'expansion des richesses matérielles, ou encore notre esclavage .

Il ne fait pas de doute que les médias et les sites qui fournissent des accès dissidents ne le font pas par conviction, pour ouvrir des espaces d'expression : les espaces d'expression sont des interstices, ils naissent par accident des besoins actuels du Système et de l'état des technologies . Et cet accident sera d'autant plus vite « réparé » que toutes les « tyrannies » auront été « libérées », c'est à dire que les régimes insuffisamment asservis seront remplacés par les valets attendus grâce aux « réseaux sociaux » . Twitter met en place des outils de censure après avoir « permis les révolutions arabes » ; la France signe discrètement des accords au nom de « la protection des auteurs », c'est à dire des grandes sociétés de production, nullement des blogueurs, biens sûr, pourtant tellement « vantés » quand ils parlent de mode ou de cuisine - le temps est à la répression discrète, inavouée, mais d'autant plus insidieuse et puissante .

Dans les réseaux sociaux comme Facebook se dessine un modèle darwinien de l'écrit, la « production écrite », dont il faut décrire lucidement les effets . Un modèle darwinien analogue se constate aux effets dissolvants du « marché du travail » sur les réseaux sociaux effectifs, non médiatisés par la technique . Cette dissolution est réalisée par ceux-là même qui y sont asservis, par la mise en place de règles déterminées par les dominants effectifs, les « employeurs », les maîtres capitalistes des esclaves salariés, associés aux « représentants démocratiquement élus », qui votent les lois qui le permettent .

Quel est l'effet de la mise en place séculaire d'un marché du travail cotant la valeur de l'employabilité de chaque individu rendu atomique, d'un radical isolement quant à toute puissance réelle, c'est à dire impuissant comme tout homme seul face à l'énorme Système ? La pression de la lutte de tous pour l'existence est passée en pression pour la reconnaissance de son employabilité, qui fait de chaque membre de la cité un concurrent potentiel . Rien de tel pour briser les liens sociaux les plus solides, et faire de chaque homme un « individu économique » calculant en tout son avantage, et incapable du moindre engagement supérieur au « contrat de travail » qui ordonne son asservissement « volontaire » . Le calcul en tout points de « l'avantage individuel », comme modèle anthropologique d'humanisation, aboutit à l'incapacité à fonder les liens inconditionnels qui sont le fondement de toute puissance terrestre . Dit autrement, le libre calcul individuel de l'intérêt aboutit à l'asservissement au Système, auquel au nom de sa « liberté individuelle » chaque individu atomique se livre lui-même pieds et poings liés .

La vérité de la dissolution volontaire des réseaux sociaux effectifs, des liens sociaux effectifs, par le Système, mène à souligner deux paradoxes caractéristiques des « bouclages » du troisième totalitarisme, de ces nœuds qui enserrent l'individu isolé . La dissolution des réseaux sociaux effectifs, des nations, des communautés ou des tribus comme des familles a permis l'expansion du marché des « réseaux sociaux » artificiels contrôlés par le Système, depuis les associations fonctionnelles – entreprises ou « associations à but non lucratif »- les sites de rencontre ou de sociabilité des journaux imprimés, jusqu'à ceux du Minitel, puis d'internet . Les réseaux sociaux sur la Zone ne sont rendus possible que par la suppression préalable de la vie « politique et sociale » réelles, à tel point nous ne sommes pas capables d'imaginer la vie sociale d'un romain, aussi pleine à Rome que celle d'un facebookien, mais sans « réseau social » . Facebook, pour une part importante du Facebook des dissidences, c'est comme la communication en morse par les tuyauteries des prisons, l'expression d'un intense enfermement en soi qui trouve un exutoire, enfermement inconscient étendu à l'échelle mondiale .

Autre boucle, la « xénophobie », qui n'est que l'expression passée par les différences « ethniques » de cette concurrence entre les hommes organisée par « l'employabilité », une survivance maladroite et désespérée des organisations anciennes de sociabilité créant un « entre soi » sécurisant et défensif face à la dé-sécurisation, la dé-culturation, la dé-symbolisation organisées parmi les hommes par le Système . C'est à dire que le versement de la moraline de la « lutte contre le racisme et les discriminations » peut être un appel à la soumission au marché du travail fondé sur la concurrence libre et non faussée . Et cet appel à la soumission est mené par ceux là même qui organisent la mise en concurrence universelle des porteurs de force de travail, mise en concurrence « libre » qui renforce anomie et xénophobie . La « lutte contre les discriminations »est instrumentalisée, elle devient une méthode fonctionnelle pour briser les derniers ilots de cohérence sociale traditionnelle .

La mise en place du marché libre du travail et de l'employabilité est l'écrasement des réseaux sociaux primaires, au fond de toute sociabilité de la solidarité et de l'entraide, ou de l'enracinement dans une culture ou un groupe . De toute langue il ne peut rester que le « langage technique », comme « l'anglais financier », de toute vie du citoyen dans la Cité il ne reste que « l'entreprise citoyenne », de toute solidarité « les sociétés d'assurance privées » .

Revenons aux formes culturelles sélectionnées par la « libre expression de tous » sur les réseaux . De manière exactement comparable au « marché du travail », qui est un « marché des hommes » euphémisés, la libre expression des individus atomiques sur la Zone crée un marché des « producteurs d'art », d'une indéfinité de photos, de textes, de peintures, et de tout ce qui peut être produit par des activités indéfinies de bloom, créature déracinée de l'être, en « quête de sens » . Pour ce qui est de l'écriture, la mise en concurrence des « producteurs d'écriture » se met en place, produisant un très puissant courant de textes courts indifférenciés, un flux qui importe tout, un flux ordonné machinalement par des logiciels de priorité - un flux qui arrache tout sens de tout jardin de signification .

La pression de ce flux réduit tout au format identique et à l'éphémère, et nous rend de plus en plus incapable de la lecture suivie d'un livre même court, pour ne pas parler de ruminer, selon le mot de Nietzsche . Tout y est éclat de météore, de la pensée la plus puissante à la fille sexy qui pose à demi nue dans des séries de photographies, à prétention « artistique » . L'égalité tant désirée des artistes sans œuvres, du tous artistes, tous capables de créer, est enfin réalisée sur terre . La cuistrerie y règne, évidemment . Un enfant y discute avec des arguments débilitants un homme de savoir . On écrit avec sa peau une rêverie adhérente à sa vie tels l'exil et le parfum de l'aimée, et on la présente aux frères de sang comme l'écu d'or d'un rêve commun . Et un passant y met les mots de son ignorance, par ce goût de souiller propre aux chiens, cette manie du bloom de marquer son territoire pour exister .

Sur la Zone tout est neutralisé, aseptisé . La « littérature, la « grande littérature », et « l'art » comme activités séparées de la vie sont déjà des neutralisations : mais la proclamation du bloom comme artiste est une apothéose de la censure par le bruit dans le Système . Tout écrit y est également vain, de Goethe, jugé profond mais sans humour, pas assez épicé, des anecdotes à peine pubères, ou des récits des humeurs les plus vides des humanistes, ou des fascistes, ou des animalistes, ou de tout autre abaissement de l'homme . Ce mouvement participe de la censure générale, cette liberté est un moment de l'enfermement .

Tout cette sève est toujours déjà morte de trop désirer la vie . La Zone est analogue à la grande ville comme lieu d'illusions et de bûcher des vanités, par exemple dans le féroce Mulholland Drive de Lynch . La zone est un égout qui emmène toute vie, toute sève et tout souffle vers le fleuve – un tube digestif pour le Système, qui en suce le sang pour sa plus grande puissance – et porte toute œuvre humaine vers la mer de la vacuité . Le démembrement sadique du Dalhia Noir - quelqu'un qui aurait pu être - femme venue pour devenir quelque chose dans la Ville du Spectacle n'est peut être pas éloigné de la présence contemporaine de Man Ray dans la cité des Anges . Ce démembrement est un emblème des forces de destruction et de jouissance sadique qui porte les maîtres oligarques du Spectacle à fustiger leurs esclaves, jouissance de souiller les rêves puérils, jouissance de l'humiliation des espoirs des dominés, jouissance qu'ils ont appris à partager contre de l'argent avec le peuple dans les mises en concurrence de la télé-réalité .

Car les oligarques du sous-système culturel sont à l'abri de ces forces d'humiliation . Ils ont accès aux médias de masse qui les posent comme Auteurs, et commentateurs autorisés d'Auteurs, auprès desquels la lie qui erre dans la zone est faite de folie et de prétention un peu ridicule . Ces oligarques de la culture ne sont même pas des auteurs, en vérité, mais des membres de l'oligarchie qui écrivent ou payent chichement des nègres que l'on connaît sur la Zone . Ils ont toute une histoire de plagiat derrière eux, très souvent, mais sans aucune conséquence . D'autres deviennent célèbres quand ils atteignent un niveau d'humiliation qui les met à la hauteur de leur public . Le commerce du livre n'est pas seulement encadré sur les prix . La misère de Baudelaire est un fait toujours renouvelé : les commentateurs d'auteurs morts feront encore fortune au prochain siècle, je n'en doute pas . Et entre ces mondes, il n'est aucune passerelle .

Il est possible d'essayer de ruser avec les règles du Léviathan qui fait de nous tous, dissidents, son plancton infime, avalé dans sa large gueule . Je veux être, par exemple, comme un ténia dans le tube du Système, un être étranger déroulant mollement des anneaux indéfinis . Ces anneaux répliquant un code génétique parasite...Le chevalier des puretés mortes, démembrées sur les trottoirs, l'amant de la Seine dans la pureté de sa source...Il est possible de diffuser des virus intellectuels, des puissances de réplication de codes incompatibles, mais le sous-système immunitaire du Système général est extrêmement puissant . Le sous-système d'enseignement et le Spectacle en sont des voies ordinaires d'un poids indéfini, bien plus que la police . La voix de l'enseignant ou du journaliste, dans le Système, est celle de la police . Debord disait : si l'un de ceux-là dit du bien de vous, demandez vous quelle faute avez vous commise .

Même les jeunes « révoltés », « indignés », « dissidents », dans leur immense majorité, sont solidement protégés par l'implantation précoce de logiciels du Système . Ces logiciels idéologiques agissent comme des antivirus et les empêchent, sans de très longues errances, ou sans crises aiguës, de comprendre réellement des pensées authentiquement alternatives, par exemple celle de Tiqqun, celle de Boulgakov, de Bulatovic, ou encore celle de René Guénon, pour ne pas parler de celle encore plus directe dans son extravagance d'Ibn Arabi . Des obstacles qui ferment la compréhension d'un livre comme le Hagakure . Tiqqun, par exemple, est lu avec une quantité de malentendus qui ne connaît pas de fin . Cette manière de s'exprimer peut paraître très étrange et excessive, mais ce qui est visé existe bien .

Car les modernes croient comprendre Guénon, ou un shaman, ou la théorie de la Jeunefille, alors même qu'ils n'y comprennent rien . La plupart des révoltés sont idéologiquement progressistes et matérialistes, c'est à dire au fond partagent les présupposés idéologiques de l'idéologie racine . Ils ne comprennent pas à quel point le progressisme et le matérialisme sont fonctionnels au Système général . On peut toujours parler indéfiniment, mais c'est un fait que l'échiquier idéologique est un système de positions . De ce fait, les idéologies sont sujettes au temps, comme les hommes, et la même idéologie - même d'un point de vue structural comme d'un point de vue du vocabulaire – peut passer d'idéologie subversive d'avant-garde à une instrumentalisation en idéologie officielle d'un régime autoritaire – voyez l'Empire chrétien, ou encore le sort du marxisme en URSS, le passage de l'esclavage à la dictature du prolétariat . Analogiquement, le matérialisme du XVIIIème siècle, par exemple celui de Sade, est une réaction subversive au pouvoir idéologiquement pseudo-spiritualiste et à ses voies de répression, principalement ecclésiastiques .

Mais quand le matérialisme effectif règne, le matérialisme idéologique n'est plus qu'une pseudo-subversion sans contenu – car qu'est ce qu'une « matière » qu'aucun « esprit » », ni aucune « forme » ne vient plus définir, sinon un fétiche sémiotique, une marque de « progressisme » vidé de son sens, comme une croix de fer de la « l'homme révolté » ? - et sans puissance de contestation ou de renversement, puisque son pouvoir est toujours déjà réalisé par le Système . Il peut exprimer soit la rage impuissante et nihiliste du bloom, qui ne le comprend pas dans sa source originaire – un monde chrétien, et une rage luciférienne – soit encore la marchandise idéologique sur le marché pour cadre moyen se piquant de « philosophie » et désireux d' « art de jouir » et de moraline « nietzschéenne » . Dit autrement, dans les deux cas, le « matérialisme » moderne ne peut plus rien signifier de décisif .

Ils ne comprennent pas que Guénon soit sérieux dans ses livres, même pour ce qui peut paraître le plus extravagant, et plus encore sur le plus extravagant au Système . Il n'est d'extravagance, d'errance sur les chemins du désert ou de la forêt, que par relation à une norme, cette norme fût-elle implicite .

Ils ne comprennent pas que l'éternité soit étrangère à toute temporalité effective, et donc n'aie pas plus de durée que l'instant infime . Ils cherchent des filiations historiques aux traditions enracinées dans le centre de la Roue, alors que la résurgence du passé peut, comme la résurgence d'une lave issue du cœur de la terre, avoir lieu à tout instant et en tous lieux . Ils ne comprennent pas que l'existence de hiérarchies célestes ou d'une indéfinité de mondes soit des évidences quotidiennes de la vie d'hommes « authentiquement traditionnels », au sens de Guénon . Ils ne comprennent pas que cela, ce savoir de la multiplicité des mondes, ne puisse être nommé une « foi », et que cela soit bien plutôt la texture, le tissage d'un monde habité par un être de chair et de sang, et du cœur qui le met en mouvement .

Ils ne comprennent pas l'irréalité de l'ego, et ils ne comprennent pas du tout le fait que « l'objectivité », par définition même, « le caractère d'être-objet pour un sujet », soit totalement infiltrée de subjectivité, et que la subjectivité soit elle même liée et caution de l'objectivité, c'est à dire que subjectivité et objectivité sont des pôles relationnels fondés l'un dans l'autre, entre lesquels il n'y a pas à choisir .

Ils ne comprennent pas que la réalité – ré-alité, le caractère de res, latin signifiant « la chose » - ne soit qu'un ordre des étants, et que le simple nombre soit d'un autre ordre d'être ; ils ne comprennent pas que Dieu ne peut avoir de « réalité » simple sans être réifié, ou plus encore, que Dieu n'existe pas, puis ex-sistere signifie sortir du Principe . Ils prennent la réalité comme mesure des mondes, et en jugent fort justement à partir de cette mesure que rien d'autre n'a de réalité que les choses matérielles, mais sans comprendre le caractère déterminé de la « réalité » - caractère qui en fait une partie de la totalité de l'être, loin d'être la totalité - et sont très fiers de leur jugement aveugle . Ils ne comprennent pas que « marcher sur l'eau », par exemple, n'est pas seulement un symbole, mais bien une existence effective . Beaucoup plus radicalement, ils sont incapables de comprendre que - par exemple dans le tantrisme - ce monde peut être sacrifié par puissance de désir, par haut désir d'extase – et non par puritanisme . Les plus hautes puissances d'extase des fidèles d'amour résident dans leur Gnose autant que dans leur théurgie, leur puissance à mourir comme homme pour redevenir dieu, je suis Dionysos et le Crucifié selon les mots même de Nietzsche . La gnose est la voie de l'extase et le souffle de la sève, du sang et du souffle – la voie de la puissance . Ainsi le note Goethe, à propos de Hafez dans le Divan occidental – oriental :

« Mystère évident.
Saint Hafiz, ils t’ont nommé de la langue « mystique », et ceux qui mettent dans les mots leur science n’ont pas compris la valeur de ce mot.
Ils t’appellent mystique, parce qu’à ta lecture ils ont de folles pensées, et qu’ils distribuent leur vin louche en ton nom.
Mais tu es vraiment mystique, car ils ne te comprennent pas, toi qui, sans être dévot, es bienheureux ! C’est ce qu’ils ne veulent pas t’accorder.
»

De même, ils aspirent avant tout à la reconnaissance, sans en voir les pièges . C'est à dire, ils foncent naïvement dans toutes les portes ouvertes de la libre création que leur propose le Système, puis adoptent un mépris hautain de la foule qui ressemble d'abord une déception amoureuse . Le narcissisme du bloom le plus immature leur semble avoir la profondeur d'Hamlet ; Sade leur semble un modèle de révolté, alors même qu'ils ne peuvent le comprendre . Ils font des mines d'experts devant des écrits qui les dépassent, et avalent tout ce que le Système leur donne avec des mines d'extases . Il n'est pas bon pourtant de faire la fine bouche devant ses frères, de la même bouche qui avale toutes les couleuvres du Système, en se la jouant avaleur de sabre .

Il est même, heureusement rares, des tartuffes qui ne semblent parler que pour entretenir un réseau de maîtresses, et montrent une fourberie sans limites . De tels êtres sont des proies pour le Système .

Nos modernes se tournent vers Lacan, ou le pseudo–satanisme de la Vey, en croyant être hyper-subversifs . La Vey, ce « sataniste athée », qui transcrit « Do what thou wilt shall be the whole of the Law » du Livre de la Loi de Crowley, en « que ma volonté soit faite » . C'est à dire Fais ce que tu veux « deviens ce que tu est» sera le tout de la Loi – deviens ce que tu es, que ta volonté soit la volonté de puissance qui passe à travers toi sans restrictions d'aucune sorte – traduit en langage de l'individu narcissique du monde moderne : je fais ce que je veux . L'incompréhension porte sur l'ego : le « thou » de Crowley n'est pas l'ego de La Vey . C'est un modèle de l'incompréhension moderne .

Parlons d'Aleister Crowley, par exemple . Il avait une mauvaise réputation, entre le sexe, la drogue, la sorcellerie . Il avait une mauvaise réputation auprès de Mussolini, qui l'a fait expulser de Sicile en 1923 . Il passe pour sataniste .

Crowley est un homme spirituel, qui invoque les dieux et les esprits, et qui en toutes choses cherche l'Un . L'amour est le seul lien qui puisse restaurer le divisé . Il est un spirituel de la main gauche . Il y a la colombe, et il y a le serpent : choisissez bien !

De ce fait, il ne peut être compris que d'un petit nombre de gens, ce qui est posé dans le Livre de la Loi . Le croire athée est une première incompréhension massive qui condamne le lecteur . De tels mots sont dépourvus de tout contenu dans la Voie . Le Dieu de la voie de la main droite est un fantôme, et ainsi Crowley apparaît athée dans cette perspective . Car la main gauche est et n'est pas une négation de la main droite ; est négation dans sa perspective, mais nullement dans l'absolu, car la main gauche se définit relativement à la main droite, et réciproquement .

Crowley, comme Blake, comme Wilde, est un Celte . Être Celte est une filiation angélique, nullement un atavisme biologique ; l'inférieur est analogue à ce qui est en haut, nullement un support ou une puissance du haut . Les fils du ciel trouvèrent les filles des hommes désirables et s'unirent à elles...Telle est la parole de Moïse qui rapporte cette filiation . Héraclite ne suit pas d'autre Voie . Qui est (comme) Dieu ? Demande l'Ange . Le monde est la beauté même de Dieu, belles et désirables, solaires comme Dieu sont les filles des hommes...telle est la réponse de cette filiation depuis l'origine . Le désir pour la beauté de la manifestation est le désir de Dieu pour lui-même, est la puissance même de l'être ; le désir est Dieu ; comme le feu, il se nourrit de lui-même, s'intensifie, se rend toujours plus puissant . Car le pur vouloir sans objet (...) est en tout point parfait . La manifestation n'est autre que la peau visible et sensible, parfumée de Dieu, homme et femme mêlés indissolublement, le deuxième livre d'Eriugène . La nature du Periphyseon est Dieu rendu visible, à l'égal des lettres de l'Écriture . Le corps, l'être auquel je fais l'amour, la femme écarlate, est l'analogue, l'image, la puissance même de Dieu .

Le désir humain, puissance impersonnelle - ça désire, et je dis que je désire- est l'expression du pur vouloir ; proche d'un gouffre, et tout entier tourné vers l'abandon à la puissance du Serpent, non la volonté individuelle, qui peut être contraire au désir par le sens du péché, la culpabilité . L'amour est la loi, l'amour sous la volonté . Le mot du péché est restriction . Le pur vouloir, le désir, vécu comme étranger au moi, volonté de puissance, l'extase – Mon extase est votre extase – réside dans la possession par la puissance qui fait germer les mondes, et non la possession du monde .

Délivré de la loi, le gnostique paraît se livrer à un culte transgresseur, quand il lève en lui les chaînes, les illusions de l'existence, de la puissance, de la liberté individuelle, selon une ascèse qui exige une renonciation aussi sévère que l'ascèse de la main droite . Une ascèse luciférienne qui exige d'affronter l'angoisse jusqu'à la mort, les océans des ténèbres et d'éternités, la destruction nocturne de l'âme . Une ascèse non pour atteindre à l'extinction dans l'humilité, mais à la puissance, à la liberté d'un ordre supérieur, la liberté des mondes, de l'être même .

Les mots, les invocations, les poèmes, les œuvres d'art ne sont pas des déplacements symboliques du désir, des sublimations, mais des dévoilements, des invocations destinées à intensifier indéfiniment le désir, pour exténuer la séparation entre l'homme, le divisé, et la Puissance, pour restaurer l'unité . Alors l'homme est puissant non en tant qu'ego, mais en tant que son ego s'exténue . Il est puissant comme identifié à la puissance, et voulant ce qu'elle veut, comme étant devenu destin, et liberté par rapport aux liens de la multitude, qui sont malédiction . Multitude et divisé sont synonymes, car la multitude d'en bas naît de la division indéfinie de l'Un, et non d'une impossible multiplication ou addition de la totalité, ou puissance . Ainsi le gnostique est cinglé d'embruns sur l'océan des désirs, sous l'œil de Sol Invictus .

Voie de la manifestation, la voie de la Main gauche passe par les contraires, le combat, père de toutes choses, et dessine une spirale indéfinie où les pas ne cessent de paraître s'éloigner du centre infini de la Ténèbre, dans la plupart des perspectives . Aussi l'homme du commun ne discerne-t-il le plus souvent aucune continuité dans la Voie, entre vie dans les richesses du monde, exhibition sans mesure, et obscurité et misère . Mais il n'est d'autre continuité que les écarts indéfinis de la spirale, écarts liés à la manifestation, et qui s'impliquent en un point unique, et dont seule l'explication, la manifestation chaotique est visible .

Tout Maître absolu est cependant au même lieu de tous les lieux qu'un autre, et n'est donc qu'implication de sa Voie .

Les hommes de la voie de la main gauche, les hommes du Serpent - brûle sur leur front, ô splendide Serpent ! - sont des gnostiques, des hommes de la jouissance du visible et du sensible comme manifestations, qui suivent la voie des spirales indéfinies de la Maya : le Soleil, la force&la Vue, la Lumière ; ceux-ci sont pour les serviteurs de l'Étoile et du Serpent ! Je suis le Serpent qui donne connaissance et plaisir . La division première du divisé est le division des sexes, et un des aspects multiples de l'amour passe par la puissance de l'attraction des sexes .

Ainsi ils se chargent de la puissance des éléments, puissance apte à briser les fers de la présente humanité pour élever l'alchimie des sons, des couleurs et des mots, la pensée et l'œuvre, pour transformer la vie par l'art, et par l'art secret de l'union des sexes . Tel est la fin de la magie sexuelle .

Comment peut-on sembler croire qu'une telle puissance soit vide, et ne glorifier que Sade comme modèle d'extase ? Sade était au moins sérieux dans son nihilisme, et annonçait les déchainements sadiques au sein du Système . Au delà, on peut toujours parler, mais Raspoutine le Khlysty avait une puissance, puissance de fascination et puissance sexuelle, qui par comparaison fait de Sade un phraseur fils de la superficialité des Lumières . Raspoutine avait des aspects même beaucoup plus démoniaques que Sade, et d'abord sa réelle bonté . On peut toujours parler, mais la vie ne se paye pas que de mots, sous peine de faire des mots des paroles verbales .

J'entends proférer des paroles superbes de mépris contre l'esprit – croit-on que la
haine de l'esprit effraie la banque et l'oligarchie ? Comment ne pas comprendre, à la longue, que la réduction de la possibilité universelle, ou être au sens le plus général de tous les sens possibles, à la réalité, comme à la matière, c'est à dire au monde des choses, est dans l'ordre de la culture symbolique l'accomplissement du nihilisme européen ? Comment ne pas voir que poser la ré-alité, le mode d'être propre aux choses matérielles, comme mesure de tout essence ou acte d'être, est justement le fond métaphysique de l'idéologie libérale ? Si rien n'existe que des choses, les seules activités possibles de l'homme sont la production, les échanges et la consommation de choses . L'être le plus intense est alors l'être dont s'occupe les gens sérieux, l'économie ; et le reste est irréel, irréaliste, rêve, mythologie . La poésie, ou l'art, ne sont que des fuites devant la réalité, rien de plus, et seuls le pessimisme et l'amertume sont des positions légitimes de l'artiste . Certes, la réalité est triste, mais l'art et le mensonge entretiennent la vie : « On ne se réveille jamais : les désirs entretiennent les rêves. La mort est un rêve, entre autres rêves qui perpétuent la vie, celui de séjourner dans le mythique » Jacques Lacan . Comment ne pas comprendre que l'esclavage moderne est aussi réalisé par l'impuissance des modernes à imaginer des mondes, impuissance enracinée dans la matrice idéologique de la « réalité » comme unicité de l'être, impuissance à imaginer des mondes nouveaux où le règne des choses n'existe plus ?

Autrement dit, nos jeunes auteurs reprennent comme un péan de la révolte en acte le fond le plus anéantissant, le soleil noir de l'idéologie racine régnante, le principe même qui fait de l'art un luxe superficiel et artificiel de l'existence humaine, et du poète un enfant qui ne veut pas grandir . Et pourtant non . Nous ne pouvons nous laisser endormir dans les mythes modernes du "mythique" . A l'heure du kairos, du combat contre le nihilisme, le poète doit être de l'humain le plus pur et le plus dur des aciers . Enraciné dans l'être, il en porte la dureté destructrice, la fine pointe de l'âme, dans le cœur et dans les yeux du dragon rouge du nihilisme triomphant . Nous ne sommes pas des rêveurs endormis, mais des éveillés et des philosophes à coup de marteau, œuvrant comme Hadès dans l'Enfer du Système pour la destruction de l'Enfer .

L'invocation doit se conjoindre à la vie comme le serpent se conjoint à la peau . L'art est la transformation de la vie, la transformation du monde, ou il n'est rien . Là, dans l'aspiration à la puissance transformation se rejoignent les situationnistes et les lucifériens . L'art n'est pas la production de choses, ou de textes fermés comme des choses qui circulent dans les chaînes de production du Système . Il n'y aura, pour l'avant-garde, d'autre puissance que collective, organisée, celle d'un ordre conscient de son destin supérieur . L'avant garde doit avoir conscience de la nécessité historique de porter et répliquer – de former des réplications comme un culte - une idéologie de fer, destructrice de l'idéologie racine du Système, sans que cette idéologie ne soit nullement appelée à régner sur l'esprit – sans que cette idéologie ne soit autre chose que le sang coagulé du Dragon qui soude les épées souillées des frères . Il n'est pas possible de forger des mondes sans porter des tables rondes portées par les souffles de serments . Il n' y aura pas d'autre voie de l'art comme grandeur, sève, sang, souffle et puissance . C'est là, le lieu de l'extase, et de la mue du serpent - la mort des vieux vêtements de l'homme, la mort qui permet le printemps .

Vive la mort, ô mes amis !



***



Annexe : d'un dialogue sur le néant .


J'ai eu ce dialogue avec un jeune poète des plus brillants, un homme de valeur, et il me paraît être l'image de nos difficultés . Tout est parti d'une citation :

« On ne se réveille jamais : les désirs entretiennent les rêves. La mort est un rêve, entre autres rêves qui perpétuent la vie, celui de séjourner dans le mythique » Jacques Lacan

Donatien Tanjis : Séjourner dans le mythique = définition de la poésie
Dans un entretien avec C Milot, elle a retranscris les paroles du Maître . Cf. le lien de Patrick Valas .

P : Le rêve est un autre mot pour l'illusion, le sommeil pour le mensonge, le mythique pour une œuvre de l'homme. Or le poète vit l'être qui frappe l'illusion de néant, et ne peut aimer cet amour de l'illusion et du sommeil - ce masque souriant du nihilisme et du Spectacle . Lacan se rêve en Maître et ne se réveille pas . Le haut désir fait du néant une bulle d'aurore, un mirage . Quel est ce maître que le néant accompagne comme un chien noir ? Même pas Satan, soleil noir porteur de Révolte . Rien, mais glissant comme un rire de glace.

Donatien Tanjis : J'entends le mythique en lieu de la fable souveraine, et non Spectacle, discursus intégral, être ou pas être.

P : Le séjour de la poésie n'est pas, ne peut être mesuré par l'obscène d'un signe . La puissance est au delà de l'être. Le poète ne séjourne pas, il est nomade sur le cheval de feu de la puissance. Donatien - saisis ta chevelure à pleines mains, et extrais-toi de cette boue qui vibre d'une lueur d'or. Cet or est tien, non les sables dévorants. Dixit.

Donatien Tanjis : Bien reçu, je suis là où je ne suis pas. Mots pâle indices d'une subsistance ineffable.

P : La fable contredit la souveraineté. La seule fable souveraine est le Spectacle. Les lacaniens veulent et ne veulent pas y loger le souverain. Mais ils ignorent les Trois mondes, et ne peuvent qu'échafauder sur le néant, et pour rester fidèles à un monde mort. Ils sont le nihilisme . Tu n'es pas où tu n'est pas, et c'est là où tu dois te chercher. Parce que tu n'est pas là ou tu te cherches. Nietzsche a dit : l'homme est quelque chose qui doit être dépassé. Alors Lacan doit l'être, par le haut.

Donatien Tanjis : Que sont les trois mondes ?

P : Il est plusieurs mondes, une infinité. Trois est un chiffre symbolique. Le poème est comme un vent chargé du parfum des mondes-d'être caché, non de fable, de mythe ou de rêve. Les rêves sont une manifestation de la vérité.

Donatien Tanjis : Le poème n'est que l'écho d'une voix plus haute et plus profonde qui parle une autre langue et qui se tait. Tu l'inscris ou tu ne l'inscris pas.

P : C'est la réalité bornée de ce monde, qui doit être frappée de néant par la foudre du rêve. C'est pour cela que l'artiste est puissance de monde, et non un impuissant qui réside dans le mythique, un ensommeillé en fuite . La voix du Maître ordonne le monde. La parole du sage crée de l'être. La poésie est transformation, vie, ou rien. C'est pourquoi elle est si rare-et que sa saveur est amère à l'homme timoré. Non, la poésie n'est pas le lieu du sommeil, mais de la veille.

Donatien Tanjis : Mais "le myhos" ne signifie que parole, c'est une puissance, un éveil

P : Le mythos originel est "éveille-toi, même si tu dois mourir", mais pas les mots de Lacan : "on ne se réveille jamais » . Ce n'est que sirène...

Donatien Tanjis : Mais peu importe que cette phrase soit de Lacan ou d'un autre. On peut la dévier et la réinterpréter de façon Nietzschéenne . Le rêve comme le mythe est chargé de vie .

P : Ce n'est pas si simple. Au pli du néant un jour il faut décider. Même si tu l'oublies, la décision sera prise. Ne te défend pas, je n'attaque pas. Pense-y, rumine. C'est tout. Le poids de la parole est le poids de l'homme.

Donatien Tanjis : Lacan doit certainement entendre autre chose par "séjourner dans le mythique", moi j'entends la souveraineté du désir l'accomplissement hiérophanique du poète . « Le poids de la parole est le poids de l'homme" l'homme pèse ce qu'il dit, et dit ce qu'il pèse, et parfois plus.

Le mythos-logos de la grande Grèce, d'Héraclite et d'Anaxagore dont toutes les divinités sont dionysiaques, la Grèce de Nietzsche, celle qui précède l'effondrement socratico-platonicien dans la logologie dianoïaque, dégénérescence dont la traces sont visibles dans le freudisme, EST le séjour mythique. J'approuve votre vision guerrière, gnostique et hiérophanique du poète guerrier.

P : Non, Donatien. La parole vaut l'homme. Si dans le vide tu reconnais l'écho de ton désir, il est illusoire de remercier le vide. Le poids que tu donnes à des paroles est aussi tien. Le plus haut désir anoblit le maître le plus vil ; mais le vassal à la fin ne vaut que ce que vaut le Maître .

Donatien Tanjis : C'est un posture. J'aurais tendance a penser que l'homme n'est pas tout entier la parole qu'il dit. Une part lui échappe . Le livre est écrit mais nul ne sait le déchiffrer

P : Tu as bien qualifié cette vision qui n'est pas mienne. Souviens toi : il n'y a aurore que parce qu'il y a regard, et soleil qui regarde . Il n'y a hiérophanie que parce qu'il est d'autres mondes qui se manifestent en ce monde - et que l'homme noble est un voyant . De tous les organes des sens, l'œil se rapproche le plus du soleil .

L'homme noble est justement celui qui apprend à voir et à lire le deuxième livre - le poète entrelace les mots de la tribu et les mots de la langue solaire.

Donatien Tanjis : cette vision est la Vision clouée dans l'œil du soleil

P : Et le poète est l'homme au marteau . Le forgeron.

Donatien Tanjis : l'ouvrier du Désir

P : Voilà !

Donatien Tanjis ‎"Et j'ai VU quelquefois ce que l'homme a cru voir"

P : Il y a plusieurs mondes. Les choses ne sont pas la mesure de l'être. Le signe est, et est un pont entre des mondes. Le signifié, de n'être pas une chose, n'est pas néant. Lacan est un obstacle à la percée des mondes - un casuiste de l'ontologie de la chose en décomposition.

Il en est de même des épigones lacaniens, Legendre, Zizek, Michéa : ils spiralent dans la toile d'araignée de l'idéologie racine, la rendent subtile voire tragique. Mais ils s'enferment dans les choses, les individus comme des choses, une inévitable dialectique de la chose et du néant.

Le néant est ainsi le deuxième monde effectif, nié, occulte, du lacanisme. Le prix à payer exorbitant pour, en conservant l'unité positiviste du monde héritée de Freud, se croire rationaliste. Mais la physique même n'y croit plus!

L'héritage de Lacan est ainsi une réaction désespérée au nihilisme, et l'ultime vestige du nihilisme. Anéantir le néant est aussi l'anéantir avec le nihilisme.

Le fait de parler ne fait pas de moi un corps parlant, mais un porteur de lumière . Le choix ontologique des mots de Lacan pointe vers le bas.


(Elisabeth Short)

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