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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 13 janvier 2010

Principes de guerre métaphysique lus dans un chewin gum .

(Salvador Dali, prémonition de guerre civile)
A Ludovic M, dont les réflexions laconiques ont initié ce texte . En guise de remerciement .

Fragments d'un traité de guerre métaphysique présentés en douze principes selon l'ordre de la raison . Introduction, et premier principe .
Ce texte sera publié par principes sur les Délices de l'âge de fer, puis en totalité sur l'Encyclopédie .

I-Introduction .

Est dans ce texte appelée guerre métaphysique le processus d'annihilation séculaire, actuellement toujours en cours, qui dans son mouvement exténue puis annule tout étant, toute symbolique, tout monde contraires, ou contradictoires, puis simplement inassimilables au Système général de civilisation moderne . D'autres auteurs appellent ce processus néantisation . Ce Système a atteint incontestablement un de ses objectifs, qui est d'être, en un sens déterminé, l'expression d'un monde radicalement nouveau . De ce fait ce Système est conduit à nier tous les héritages des civilisations humaines, toutes les déterminations de l'être humain issues de la culture des mondes anciens . Le Système est sur la voie de la création d'un Homme Nouveau entièrement artificiel, non pas crée par lui, mais déterminé par lui, selon le sens réaliste d'artificiel . Cela suppose de rendre l'humain préalablement complètement informe, indéterminé, matière inerte, c'est à dire neuf . La contrainte que ce processus fait peser sur l'humanité est de nature vitale ; si elle réussit, alors l'être humain historique aura atteint une fin . Et la fin d'un être vivant n'est pas la fin de l'histoire, mais sa sienne mort, et rien de plus .

Les totalitarismes du XXème siècle sont des tentatives dans l'ordre général de l'entéléchie du Système, de sa finalité immanente, pour réaliser plus rapidement les promesses internes du Système . Présentés parfois comme des éléments contraires-au-Système par la propagande officielle de ce moment du Spectacle, ils sont pourtant des formes annonciatrices de ce qui est en puissance dans l'auto-développement du Système . Celui-ci a développé davantage cependant les apparences de liberté individuelles, puisque les confrontations internes au Système entre ses espèces dites "démocratie" et "totalitarisme" ont abouti à la victoire de l'espèce "démocratique" . Les confrontations terminées, l'espèce "totalitaire" sert encore de repoussoir, mais cache de moins en moins la nature exactement totalitaire de l'organisation de la vie humaine dans les régimes politiques syntones au Système . Totalitaire a un sens précis, technique : il marque le caractère illimité de l'emprise sur l'être que le Système ne cesse de poser avec davantage d'extension spatiale, et d'intensité verticale . Cette emprise transforme l'ensemble des activités humaines dans le sens qu'elle en fait des parties fonctionnelles, des processus qui ne reçoivent leur sens et ne sont intelligibles qu'en fonction du Système .

Le Système est illimité en puissance et se déroule comme processus indéfini d'assimilation de l'être à son entéléchie . Un aspect essentiel des promesses du Système est celle d'un pouvoir absolu - "le pouvoir le plus absolu", selon les mots du Code civil napoléonien, au sujet de la "propriété"- de l'individu humain sur l'étant, appelé alors nature - la "nature" étant l'être dominé qui ne peut plus signifier que le langage du Système . Mais l'assimilation s'étend sur l'étant humain lui-même, soit par négation et annihilation symbolique de ce qui ne peut être assimilé, le spirituel, soit par asservissement et assimilation fonctionnelle, sur son âme et sur son corps . Car la domination sur le corps est le moyen de réduire l'homme à l'état de matière informe, comme l'idéologie racine réduit la société humaine à un tas d'individus "souverains", comme la "nature" est calculée comme tas de "ressources" . Le corps, homologue humain de "la nature", est le champ de bataille ultime de la fin de l'homme, et la domination du Système prend insensiblement l'allure d'un biopouvoir . Ainsi est largement ouverte la voie d'un arraisonnement du corps humain par la technique au nom de la "liberté individuelle", mot fonctionnellement analogue au concept de "race des seigneurs" dans le nazisme, ou de "progrès" dans le progressisme, et désignant la souveraineté toute puissante du Système selon l'idéologie du Système, nommée ici idéologie racine .

Car la souveraineté de la volonté individuelle est idéologiquement posée comme totale, hors des liens de la Loi, avec pour seule limite "la liberté d'autrui", qui s'exténue de plus en plus . Rares sont ceux qui voient que toute avancé de "la liberté individuelle" est un recul de "la liberté d'autrui", et que ma liberté réelle est tout autant la première, l'acceptation de son désir, que la deuxième, le droit de refuser - bref que le pouvoir individuel de dire non, de marquer une limite, devient purement virtuel . En pratique, de plus, cette souveraineté de la volonté individuelle n'est réelle que si elle est syntone au Système . Idéologiquement, l'homme est sujet tout puissant de la domination technique sur la nature ; effectivement, il est ressource impuissante du développement du Système, balayé par des processus sans sujet qui le dépassent autant que lui, homme moderne, croit que les "primitifs" étaient dépassés par les phénomènes naturels .

L'idéologie racine fait un portrait édifiant de l'histoire de l'homme et de ses victoires, une sorte de bulletin de la propagande de guerre, où "l'émancipation" humaine ne cesse de progresser . Mais la distance entre le virtuel et l'effectif asservissement ne cessent de se creuser, selon une dialectique immanente que la simplicité des modernes ne leur permet pas de penser . Face à l'effectivité menaçante le Spectacle en rajoute dans une surenchère spectaculaire de victoires vides- ce qui aggrave l'abîme de la distance . Ainsi dans le Système se lovent paradoxes et dénis, selon une véritable pathologie de civilisation .

Selon l'anthropologie du Système l'homme VEUT son désir, et ne peut être asservi par la maitrise de son désir, mieux même, que la libération du désir est une libération tout court du sujet du désir . Il est pourtant EVIDENT que JE NE DECIDE PAS DE CE QUE JE DÉSIRE, et que dans le cas d'une drogue, par exemple le désir est le mécanisme même d'un asservissement destructeur . La prohibition des drogues a sans doute un fondement idéologique, en ce que la drogue est une négation VOYANTE, qui doit donc rester clandestine, de la souveraineté de l'individu sur son désir . Pourtant la majorité est complice désirante du mensonge du désir dans l'idéologie . La souveraineté individuelle est l'argument le plus puissant de l'idéologie racine : les hommes "veulent" le processus qui les asservit et les annihile . Dans l'idéologie racine les hommes désirent être fonctionnels, sont "demandeurs d'emploi", expriment une "demande" .

Par la logique immanente de transformation et de souveraineté absolue du Système, rien ni personne ne peut être protégé du droit de tous sur tous, et sur tout . Le processus d'extensification et d'intensification pose tôt ou tard toutes les limites au Système comme négations "arbitraires", "tabous archaïques", et les annihile . Toute position de la volonté humaine est pourtant ainsi "arbitraire"à cette mesure . C'est le moteur même de l'auto-formation de l'homme, le procès de culture et de civilisation, qui est ainsi annihilé . La notion traditionnelle d'humanité, d'être humain, est en puissance de se voir entièrement niée . Les conséquences de ce renversement déterminé - le dépassement de l'homme comme négation pure et simple de l'homme- sont difficiles à mettre en mots, à comprendre, à admettre . Sèchement, cela signifie qu'un crime contre l'humanité d'une amplitude et d'une intensité jamais atteintes se forme obscurément dans le procès du Système .

Rien de ce que nous acceptons ne pourrait coexister avec aucune des grandes civilisations de l'histoire, et ainsi le monde moderne apparait comme une monstrueuse anomalie . Le monde moderne de son côté juge et condamne l'ensemble du passé à l'aune de l'annihilation en acte, et donc aussi condamne chaque moment de son déploiement passé, qui ne sont plus concevables que comme "étapes", "réformables", sur la route brillante du "progrès" . Par contre, la puissance négative pour le Système des anomalies les plus voyantes du présent moment (par exemple, l'exploitation du travail forcé, ou la puissance du crime organisé) est absorbée soit comme un accident étranger au développement réel du Système, soit comme un mauvais passage à surmonter avant l'avenir radieux . L'approche de plus en plus visible de menaces liées par essence à l'auto-développement immanent du Système - voir Blamont, Introduction au siècle des menaces par exemple-est présentée comme des inconvénients temporaires accidentels de moments voués à être dépassés . Mais de telles croyances relèvent de l'auto-persuasion et de la magie idéologique . L'homme est ainsi privé de toute fondation, de toute consistance dans sa vie, puisque le seul présent suffit à justifier une position, puis à la rendre nulle et non avenue . Les générations n'ont plus rien d'autre à se transmettre que le culte du "progrès", qui n'est qu'une face d'une danse macabre rendue gaie par l'aveuglement . Les fonctions psychiques les plus élevées deviennent superfétatoires, et le langage lui même s'exténue . Une nouvelle personnalité de base apparait, dominée par le narcissisme, l'instantanéité, la pulsion, incapable de concentration, d'effort, de réflexion, support et gibier de toutes les tyrannies du Spectacle .

Ce processus d'annihilation n'est rien d'autre que le nihilisme européen, dont Nietzsche fit un diagnostic partiel mais visionnaire à la fin du XIXème siècle . Son effet actuel le plus évident est de rendre difficile de poser un diagnostic réaliste des menaces qui se posent par le "développement" du Système, puisque tant la lucidité sévère que la puissance théorique sont tournées en dérision dans le Système . Il y est infiniment préférable d'être banquier ou commercial, ou mieux "star" que d'être scientifique . Quant à y être poète...Paul l'a écrit : Dieu a déclaré folie la sagesse du monde . Et ce crime qu'est le monde moderne a les meilleures raisons et justifications à son service . La générosité, le progrès, etc, seront invoqués, comme l'URSS le faisait aussi très bien . La médecine condamne les dissidents, par l'effet d'un diagnostic bien senti, car l'adaptation sociale est un critère évident de santé mentale . Ainsi, l'avertissement formulé ici est- évidemment!- la marque d'une maladie mentale bien connue, et relève de divers ordres explicatifs causaux, psychologiques, sociologiques, politiques, etc, et non de raisons que tout homme d'intelligence peut évaluer . Évidemment ! L'auteur d'un texte aussi radical ne peut être qu'un réactionnaire méchant, malade, et frustré .

Le Système doit être pensé selon son essence de totalité, et donc chaque partie ne peut devenir intelligible que référée à sa fonction dans le Système, en tant que partie fonctionnelle . le Système doit être pensé comme processus sans sujet auto-reproductif, inflationniste dans sa puissance quantitative, l'extensification, et dans sa puissance qualitative, son intensité, l'intensification, et donc comme finalité immanente prenant le pas sur les décisions humaines . Le libéralisme politique et le libéralisme économique sont fonctionnels dans le Système comme l'insertion du fémur et la forme du membre inférieur dans un organisme .

En effet, le libéralisme politique prétend réguler par des mécanismes immanents l'ensemble de la Res Publica, de la chose publique . En donnant la plus grande liberté possible aux citoyens individuels, il livre l'individu à la tyrannie de processus sans sujets, déclarés incontournables, et idéologiquement qualifiés de "nature", avec sa connotation de fatalité, d'inévitable, d'incontournable . Au nom de la liberté individuelle, il retire à l'homme toute souveraineté, tout règne, toute inscription dans la durée au delà de son éphémère caprice . En clair, tout ce que les civilisations anciennes concevaient comme étant le règne, le politique posé comme fonction supérieure et essentielle de conservation de ce qui dépasse tout individu, le langage, la Loi, la science du temps, la terre, la tradition, par exemple, est condamné par le procès du Système . Et les processus inflationnistes du Système dépassent depuis longtemps les capacités de contrôle de l'humanité, comme la progression de la crise écologique le montre bien . Les hommes ont abandonné au hasard de la mécanique du Système la souveraineté, asservis par haine de l'obéissance . Et quand bien même des menaces collectives massives apparaîtraient, ils ne pourraient, dans le cadre de l'idéologie racine, réagir, même pour la survie de l'humanité .

Ainsi le Système s'étend-t-il inexorablement sur la surface du monde, démembrant toutes les civilisations étrangères à son entéléchie, et écrasant y compris par la force toutes leurs réactions de survie, en attendant son désir de conquête et d'exploitation d'autres planètes . Ainsi le Système pénètre-t-il toujours plus profondément l'ensemble des activités humaines, de la vie propre de chaque homme . La distinction entre vie publique et vie privée est une fiction en ce qui concerne l'impact du Système sur la vie humaine . Dans les pays développés, ce qui est pensé dans l'idéologie racine comme relevant le plus de "l'intime", les relations entre les sexes par exemple, l'érotique, longtemps informées par des traditions anciennes, tendent à devenir des parties fonctionnelles de la Domination (Voir à ce sujet la "Théorie de la jeune fille"), justifiant le titre du roman de Houellebecq, "extension du domaine de la lutte". Il n'est pas une parole, un regard, pas un désir humain qui ne rencontre plus le poids, le Système comme trou noir, force indéfinie d'assimilation . C'est en nous que se trouvent les prisons les plus sûres . Dans le fait de poser un "je", avec des "libertés". La prison la plus sûre est invisible, elle porte le nom de "liberté"-cela rappelle un sinistre slogan, qui pourrait être celui du Système entier dans sa structure paradoxale . Le « je » de l'individu hypersocialisé est une fonction du Système .

Les hommes du Système, au nom de la souveraineté humaine, se lient à son entéléchie, et deviennent des parties fonctionnelles de plus en enserrées dans une toile d'araignée de plus en plus fine . Cette extrême finesse finit par la rendre absolument invisible à la partie hyperfonctionnelle des hommes du Système, serviteurs et croyants . Ces hommes, dont il reste l'apparence d'humanité, parties fonctionnelles de plus en plus mécaniques et mortes, portent l'annihilation de tout ce qui n'est pas fonctionnel . Non seulement en eux, mais avec une violence anormale relevant de la haine, née d'une obscure conscience de la perte, et du mécanisme du ressentiment qui pousse à priver l'autre de ce que l'on a perdu sans retour, en tout homme . Ces hommes passent leur vie à nier ce qui fonde l'humanité d'autres hommes, à "chasser les superstitions", avec un niveau d'engagement et de déformation qui laisse filtrer leur pathologie intérieure . Ils forment des générations, car ils dominent le champ idéologique . Ainsi naissent une nouvelle personnalité de base, une nouvelle humanité, faite de poupées de carton vides, que j'appelle d'un terme existant, les no-life .

L'annihilation des discours de refus du Système, des discours dissidents, est une facette de cette annihilation générale - la néantisation des rebelles . Il est un fait que l'annihilation porte tellement loin son extension et son intensité que c'est la vie même de l'être humain, en tant qu'être humain, qui est menacée . Non pas sa vie biologique qui peut s'étendre indéfiniment dans un plan vide, mais cet allongement de la survie biologique masque un écrasement de la vie subjective, intérieure, spirituelle . La vie de l'homme moderne est indéfinie dans sa durée, et infime dans son contenu . Échange de dupes . Plutôt mourir, que de sourire à cette vie végétale . Nous en arrivons au fait, qui est de poser la possibilité d'une résistance organisée, d'une dissidence .

II : Les conditions de possibilité de la dissidence dans le Système

Le processus représenté par le Système n'est pas nécessaire au delà de l'humain, n'est ni naturel, ni transcendant, ni incontournable ; il relève de la détermination de hauts serviteurs régnants, et de la passivité des autres . Il n'existe aucune obligation, ni matérielle ni morale, de l'accepter autrement que par la contrainte . D'une décision née des profondeurs de notre essence humaine, nous le refusons, nous le renions en pleine conscience . "En rupture d'abord intérieure avec le monde". Question de puissance de désir, de puissance de vie, de puissance de volonté . La décision prise, la guerre est inévitable . Cependant, elle ne deviendra significative que lorsque la détresse existentielle des hommes modernes sera assez identifiée par tous comme chose commune, commun partage, Res Publica des rebelles, pour les unir dans une œuvre de refus méthodique et consciente . Car à ce jour, ce sont des pensées étrangères et hostiles les unes aux autres qui expriment ce refus né d'une source unique, selon leur origine idéologique et politique . Les pensées divisées, les hommes le sont encore plus . Cette division, et ce manque de lucidité, réduit les oppositions au Système à l'impuissance . Au siècle précédent, les rebelles ont souvent été conduits à se battre entre eux, pour le plus grand profit du Système .

Voilà présentée la lutte générale que nous sommes décidés à mener contre la civilisation moderne . Ce monde est un monde de dé-symbolisation, de dé-ritualisation, de dé-hiérarchisation, au fond un monde dont la métaphysique est exclue au nom d'une métaphysique négative . Cette annihilation est une annihilation de toute différence significative, donc du processus sémiotique lui-même ; de toute puissance imaginaire, créatrice . Cette annihilation est annihilation de la culture de l'être humain, comme tâche principielle de l'homme . On nous propose de échanger cette tâche et cette responsabilité contre un monde sans responsabilité, un monde de maximisation de la production matérielle . Ce monde est un modèle inflationniste de civilisation, qui s'étend partout et ne cesse de s'intensifier . L'analyser est évidemment essentiel, mais ce n'est pas ici le lieu de cette analyse . Le lieu ici est justement la pensée d'un refus radical, de la guerre . Cela suppose d'élaborer une pensée de la stratégie, et de tactiques possibles de la guerre contre le Système . Or cette guerre n'a pas de précédent, pas plus que le Système n'a de précédents .

Le Système développe une puissance matérielle indéfinie, et présente une multitude de réseaux de puissance . Les dissidents ne peuvent être qu'infimes et isolés face à cette falaise qui les surplombe et les plonge dans l'ombre . Des dissidents développent diverses réactions irrationnelles qui renforcent les structures du Système : globalement, le Système nourrit sa puissance des dissidences, il peut même se glorifier de sa liberté et de sa tolérance .

Deux dissidences principales sont nées de la négativité du Système, deux dissidences que tout sépare, et que le tout de l'ennemi doit réunir pourtant . Il s'agit bien sûr de la distinction entre dissidences "de gauche" et dissidences "de droite" .

L'une, dite de droite, est née du refus de la destruction systématique des valeurs traditionnelles, du refus de la fermeture des portes du Ciel et de l'Enfer . Elle présente souvent des aspects "réactionnaires" et une fascination pour le passé, qui méprisait les valeurs du Système, et pour lesquels le Système se présente comme une inversion . Très opposée idéologiquement à l'idéologie racine, cette branche dissidente a souvent été récupérée par des alliances politiques illusoires avec des courants fonctionnels au Système . Ces dissidents qui prennent conscience d'eux même par la culture ne peuvent pratiquement pas commencer autrement que par la guerre psychologique ou par la guerre idéologique . Un modèle stratégique s'est longtemps imposé aux dissidents de droite .

Lors des guerres dites de "décolonisation", guerres où des aspects "libérateurs" du modernisme furent instrumentalisées pour détruire tout vestige d'Empire, concept clairement contraire au libéralisme politique, il est vite devenu clair aux combattants qui souscrivaient aux espoirs d'Empire, que l'aspect militaire se doublait d'un aspect qui fut nommé "psychologique". Le 5ème bureau de l'armée française a défini un modèle de "guerre psychologique" qui est devenu une référence internationale à droite pour plusieurs décennies .

Pour rompre avec le Système et son idéologie de "libération", ces hommes de tradition militaire et non intellectuelle, marginalisés contre leur gré par le développement du Système ont souvent utilisé les idées et les doctrines du catholicisme intégral, le courant anti-moderne le plus puissant . D'autres idéologies opposées au Système quantitativement marginales ont été utilisées, comme le traditionalisme de Guénon et d'Évola, et enfin le néo-paganisme de la Nouvelle Droite . Pour ce qui est du catholicisme intégral, certes il rendait imperméable les combattants eux même à l'imprégnation idéologique du Système, mais ne leur permettait pas de lutter efficacement contre sa diffusion dans des populations sans références catholiques, qui sont aujourd'hui très majoritaires . Autant dire que les références initiatiques ou païennes n'y ont pas été trouvées non plus . Ils ont alors parfois utilisé la terreur physique .

Il s'est avéré de plus que l'usage de la terreur était incontestablement inefficace à moyen terme, et même contre productif . Globalement les dictatures qui ont utilisé la terreur n'ont pas eu de résultats convaincants, et ont eu surtout des dirigeants corrompus, corrompus y compris par les plaisirs du pouvoir et de la pratique démesurée de la violence arbitraire . Ces dictatures ont diffusé parfois, comme au Chili, les formes les plus agressives du libéralisme économique, qui plie le monde humain aux échanges économiques, et détruit la tradition . Par ailleurs, leurs crimes et leurs erreurs ont eu un impact justement "psychologique" dévastateur sur les peuples .

Ces dissidents de droite enfin, hommes de combat déterminés, ont été massivement instrumentalisés par une des plus grandes puissances de diffusion du Système dans le monde -les États Unis- lors de la Guerre froide, qui opposait dans un processus inflationniste de production matérielle deux variantes de systèmes économiques du Système . Car les États Unis s'opposent méthodiquement depuis leur fondation à tout projet impérial, et ont détourné la révolte contre le Système en "guerre contre le communisme" pour le libéralisme, ce qui est une duperie . Enfin, et je termine par le plus important ontologiquement, mais non le plus important pour la plupart des hommes de ce siècle, croire en la terreur comme seul recours pour mener une lutte spirituelle est en soi une sottise, et aussi une infamie .

Il s'est produit là une continuation du processus d'annihilation des révoltés par l'instrumentalisation de leur énergie et de leur détermination au service des tâches les plus démoniaques du Système, par un langage de double contrainte et d'illusion dont on ne compte plus les victimes : depuis les discours de Himmler sur la nécessité héroïque de surmonter l'humanité ordinaire pour le service du peuple, l'honneur de la fidélité aux ordres, jusqu'aux discours sur la nécessité de défendre le monde libre contre le "terrorisme" qui passe par la diffusion massive de l'asservissement et l'usage médicalisé de la torture . Il n'existe aucun remède en l'homme contre les pièges de ce genre, sinon la culture de la lucidité et la réflexion sur les fins de la vie humaine . Que de tels argumentaires aient pu convaincre montre l'état d'annihilation de la civilisation moderne . Je partage entièrement l'opinion de Hannah Arendt, selon laquelle les exécutants des génocides ne sont ni des hommes plus mauvais, et j'ajoute ni des hommes plus incultes que les autres . C'est Dieu qui arrêta le geste meurtrier d'Abraham envers son propre fils .

Le discernement spirituel des héros de ces périodes excède les catégories du vice naturel et de la culture, et touche à la connaissance transcendante de la gnose . La culture moderne ne protège pas de l'aveuglement, c'est l'évidence que manifeste l'énorme puissance d'attraction et de séduction du nazisme et du communisme sur les "intellectuels", séduction exaltée par l'expérience du vide de la civilisation libérale moderne . Le drame est que les tyrannies "totalitaires" n'offraient que des apparences de réaction et de solution à la crise du monde moderne, apparences fondamentalement fonctionnelles au Système et à son entéléchie . Tous les totalitarismes historiques glorifiaient la maximisation de la production matérielle jusqu'au nihilisme le plus sombre . Vassili Grossman, dans "Vie et Destin", a su montrer leur secret occulté, leur étroite fraternité, le reflet qu'ils étaient l'un de l'autre dans le miroir de la guerre . La guerre froide a été le miroir analogue des "superpuissances" . Bien des aspects de la civilisation actuelle sont apparus avec les totalitarismes historiques, ce qui est laissé dans l'ombre .

La dimension verticale du savoir seule fut protectrice, et il en est de même pour la reconnaissance des traits monstrueux de notre âge, malgré l'apparence plus lisse qu'il semble présenter, mais qui ne cesse de se manifester davantage, insensiblement pour nos esprits trop blasés . Cette reconnaissance est pourtant objective, et transcende toute distance antérieure de ceux qui savent la discerner . Ainsi Simone Weil, militante issue de l'extrême gauche, a-t-elle bien compris Guénon sur la crise du monde moderne . Le savoir unifie et rassemble . Un homme spirituel qui ne croit pas en la puissance de la pensée doute de lui-même .

L'aspect positif de la "guerre psychologique" issue de la "droite" est que l'information et l'idéologie ont été placés au premier plan . En France, cela a été le cas de la Nouvelle Droite . Il en sera question dans un texte à part, le sujet étant vaste . Cela est en définitive beaucoup, et peu, car ces méthodes et cette priorité ont été soit au service de positions ambivalentes face à l'héritage des totalitarismes historiques, soit très vite mises au service du Système dans une des versions les plus venimeuses . Il s'agit de "l'ultra-libéralisme" issu de la Société du Mont Pèlerin, qui s'est diffusé par de multiples think tank dans le monde anglo-saxon, pour devenir, après le marxisme et le nazisme, le nouveau parler officiel d'un Empire au service de l'entéléchie du Système .

D'autres développements plus significatifs de pensée réactionnaire ont eu lieu en Europe, et il demeure que la tradition contre-révolutionnaire de la "droite" a poussé loin l'analyse du Système et la réflexion sur la présente lutte . Ce n'est pas le lieu d'en faire une étude approfondie . Une note à ce sujet figure dans la postface de 2004 de la "Théorie du Bloom" imprimée . Pour clore le dossier sur "la guerre psychologique", et la légitimité de la priorité à l'idéologie sur l'action militaire, le contre-exemple Israélien -n'ont-ils pas vaincu par la force militaire avant tout ?- ne doit pas faire oublier qu'il s'agit d'une guerre opposant des peuples, et non d'une lutte sur le choix du modèle de civilisation dans un peuple unique . La bataille d'Alger a été gagnée militairement par Massu et ses hommes, mais la métropole n'a pas suivi : la bataille de France a été très clairement perdue . De même, il est permis de douter du caractère durable des victoires militaires israéliennes . Or la guerre n'est pas locale, mais globale .

Par ailleurs, des opposants au Système se sont ralliés en masse à celui-ci l'âge venu, et ce processus a été net tant à droite qu'à gauche . Les causes de ce ralliement furent particulièrement la diffusion d'une version très puissante de l'idéologie racine, capable d'être vécue comme "de droite", ou "de gauche", le protéiforme "libéralisme" . Faute de culture suffisante, de nombreux activistes de droite ont rejoint le Système par un libéralisme dur, darwinien . Globalement, les oppositions armées "de droite" au Système si puissantes dans les années soixante, et soutenues avec de nombreuses nuances par des penseurs, jusqu'à Évola lui-même en Italie ont été laminées ou recyclées : le fait est là, il est massif . Des hommes au milieu des ruines, certains sont passés au soutien à Berlusconi . La lutte armée menée par les réactionnaires est impropre à son usage et doit être écartée au présent cycle . Le cas qui nous préoccupe est celui de la guerre civile mondiale, la lutte sur le choix du modèle de civilisation à l'échelle planétaire, lutte où chaque individu est susceptible de conversion, c'est à dire de devenir à tout moment ennemi, où à tout moment ami . Dans cette optique, toute violence préventive est contre productive .

En clair, le vaste héritage des combats et des réflexions issus de la droite doit être repensé dans l'optique du fonctionnement effectif du Système et de l'idéologie racine . Trop de pièges, trop d'illusions l'ont égarée . Les personnes issues de la droite devront se résoudre à cet exercice pour relancer une dissidence capable de faire basculer l'histoire . Ce n'est pas l'action qui doit primer dans ce temps, car l'action est, face à la complexité du Système, un voyage dans un labyrinthe de miroirs, et de mirages, comparables aux sirènes pour Ulysse .

Examinons maintenant les héritages de la gauche dissidente . Parallèlement en effet, les révolutionnaires de gauche ont développé une réflexion théorique d'opposition au Système très riche, mais très limitée aussi pour des raison fondamentales liées à son héritage conceptuel .

La plus grande part de la tradition de gauche est née au moment où les Lumières, courant idéologique entièrement libéral, véhiculant l'essence de l'actuelle idéologie racine, combattaient l'obscurantisme de l'Église et des monarchies . Le progressisme idéologique justifiait la liquidation du règne politique, obstacle à l'auto-régulation, et la liquidation des croyances stables, appelées "superstitions", mot fonctionnellement analogue au "tabou" moderne, en particulier celles qui posaient comme hiérarchiquement subordonnés aux besoins spirituels de l'homme la production et la consommation, moteur du développement du Système . Pour les milieux les plus pauvres des villes, le refus de produire davantage était une condamnation à durer et endurer la misère . Ainsi est née une alliance idéologique durable entre les classes d'encadrement de l'expansion du Système et "la gauche", courant idéalisant le peuple des villes . Ainsi le Système avance-t-il de manière banale sous le masque de "la gauche" .

La "gauche", y compris marxiste, est d'abord d'inspiration politiquement libérale et progressiste, et basée sur l'opposition à l'exploitation de l'homme, au fond pour des raisons juridiques et éthiques traditionnelles tout à fait valides dans leur domaine, qui distinguent l'essence de l'homme de l'essence d'un objet matériel, et donc interdisent de rendre l'homme totalement fonctionnel au Système comme un outil . Mais la lecture de gauche de "l'exploitation de l'homme par l'homme" aveugle sur le fait que la fonctionnalisation-asservissement de l'homme ne passe pas nécessairement par la relation maître-esclave . Le cadre est asservi au Système comme l'ouvrier, et sans doute plus étroitement, étant isolé et sans défenses idéologiques . Marx a remis la dialectique sur ses pieds, de réaction déformée qu'elle était, c'est à dire l'a inversée, en la rendant matérialiste, donc fonctionnelle aux aspects les plus avancés du Système . La gauche classique a très peu d'arguments contre l'extensification et l'intensification du Système, mais seulement contre l'exploitation brutale des êtres humains qui l'accompagne . Or on ne peut pas choisir, quand on s'oppose à un Système : l'opposition doit être totale, sous peine de faire le jeu du Système, en nourrissant sa puissance par le spectacle de la rébellion . Ce n'est pas faire preuve de finesse de vouloir le développement économique et la conservation des formes de la société traditionnelle, ou de vouloir la société moderne mais pas l'économie capitaliste : c'est au minimum de la naïveté, parfois de la bêtise, et très couramment de l'intérêt bien compris .

La gauche rend la lecture de l'asservissement plus difficile en déplaçant le regard sur des points moins gênants pour le Système, comme les "discriminations" . Par exemple, elle incite pour des raisons humanistes parfaitement valables en leur domaine, et très justes, la défense chevaleresque des pauvres et des exilés, à accepter la société désarticulée produite par le développement du Système . Elle défend, pour défendre les victimes du Système, la liberté absolue de circuler et de s'établir pour les hommes, principe ultralibéral parfaitement fonctionnel dans les faits, apte à créer le marché mondial du travail dont rêvent les cadres du Système . L'application de ce principe est destructrice de toutes les bases communautaires de la solidarité humaine, la civilisation, la langue, la communauté politique, et fait de l'échange monétaire la seule forme de communication réellement universelle .

En clair, défendre les "sans papiers" au nom de la solidarité humaine est parfaitement noble, légitime et ne doit pas être contesté . Le faire en défendant le principe de libre circulation absolue est d'une naïveté qui confine à la sottise, et produit une société incapable de solidarité spontanée . La solidarité spontanée naît et dure dans des communautés enracinées . Les migrants sont les victimes de la pulvérisation des relations sociales traditionnelles sous les coups de la guerre civile mondiale, autre aspect de l'expansion du Système . En soi les migrations forcées sont destructrices et ne peuvent pas, au nom de la défense d'être humains, être présentées comme un bien, et encore moins comme un principe légitime .

La haine envers les migrants n'est pas une réaction qui doit être défendue, car le rejet de la société produite par le Système n'est inassimilable que si elle est portée par un rejet du Système . La haine envers les migrants, perspective bornée, instrumentalisée, sert de thème de propagande à l'oligarchie du Système, et sert à renforcer la puissance de coercition et l'autoritarisme qui fondent le passage en force vers la société du Système . Le mouvement est unique entre la récupération de la xénophobie, la lutte contre les discriminations et la discrimination positive, en Europe comme en Amérique du Nord . La "société multiculturelle" dont se réjouissent des théoriciens de gauche n'est rien d'autre que la société produite par le développement mondial du Système, autrement appelé capitalisme . Faire la promotion de la société multiculturelle n'est rien d'autre que faire la promotion du capitalisme, de la concurrence libre et non faussée entre les hommes réduits à des marchandises .

Non, n'importe quel occidental n'a pas le droit de s'installer sur le territoire d'une tribu amazonienne pour y produire des oranges destinées au marchés mondiaux, en proposant à chaque Indien un salaire et des bouteilles de Téquila - cela, les penseurs de gauche le comprennent, va découdre les liens sociaux du lieu, selon le scénario classique de l'asservissement colonial . Mais en Europe, ils ne comprennent pas que la libre circulation et installation des hommes soit un principe fondamentalement fonctionnel au Système . Que les ouvriers et les artisans, des "vrais gens" du peuple, y soient évidemment hostiles, ils ne le comprennent pas . Mais pourquoi tant d'ouvriers ne votent pas pour la gauche politiquement correcte, hein ? Comment ne comprennent-ils pas que la promotion de la libre circulation est la promotion de la concurrence entre les hommes, et que l'électorat populaire ne peut qu'en être la première victime ? Sans doute le comprennent-ils très bien, et lancent des rideaux de fumée idéologique, car l'expansion du Système a été autant le fait d'hommes "de Gauche" que d'hommes "de Droite" .

La communauté humaine pour ces militants de gauche se fonde sur des valeurs, non sur la culture ou sur la langue comme c'est en réalité le cas . Car une communauté humaine liée par la langue et la culture peut être une communauté malgré la coexistence de plusieurs systèmes de valeurs, comme le modèle chevaleresque, le modèle ascétique et le modèle bourgeois au moyen Âge . Mais pas une communauté divisée par les langues et les cultures ; celle-ci ne peut avoir d'autre unité qu'un système unique de valeurs sélectionnées sur le plus petit dénominateur commun, l'idéologie racine . La société multicolore sert directement l'autoritarisme moral . Loin d'être complexe et raffinée, elle ne vit et ne propage que le plus exténué simplisme - voyez la culture de masse produite par le melting pot .

Car quels valeurs unifient cette communauté rêvée par les militants de gauche? Les leurs . Leur utopie est une société unidimensionnelle politiquement correcte, où toute hostilité entre les hommes est verbalement niée, mais qui serait instantanément brisée par les haines réciproques que parviennent à grand peine à faire tenir ensemble dans leurs propres partis les structures rigides d'organisations oligarchiques et d'intérêts communs . La société utopique politiquement correcte est celle du parti unique progressiste sur l'ensemble de la société et de la terreur pour extirper tout héritage empêchant l'avènement de la liberté, qui fut réalisée au Cambodge . La société multiculturelle réelle n'a aucune autre culture que celle du Système . Elle réduit les différences culturelles à n'être que de SIMPLES APPARENCES compatibles avec l'idéologie racine, un "catholicisme moderne", un "islam moderne", un "bouddhisme moderne", un "judaïsme moderne"tous réduits à un verbiage sentimental et agnostique .

Globalement favorable au Système, même quand elle se proclame anticapitaliste, la gauche ne s'est opposée que par les marges à l'immense progrès qui a emporté quelques peuples dans la tombe de manière regrettable mais inévitable . L'alliance de cette gauche progressiste fonctionnelle, favorable par principe à "la croissance" et à "l'activité" avec les "écologistes " relève de la farce .

Heureusement, de l'arborescence de la gauche ont germé des rameaux plus pertinents pour nous . Il était nécessaire pour cela que "l'intérêt des classes populaires" et le développement du Système soient compris comme réellement disjoints, ce que le monde moderne montre avec une certaine brutalité, la croissance du Système étant une croissance de la mécanisation de l'homme .

L'école de Francfort est particulièrement intéressante, qui a développé l'idée d'une dialectique de la Raison, plus exactement des Lumières, c'est à dire d'une auto-négation du processus de "libération" promis par les Lumières, ou d'une destruction des objectifs moraux de la gauche par la réalité du processus de développement . Mais cette richesse est fortement atteinte dans sa capacité d'opposition par la complicité intime, ontologique, (ou liée à la conception de ce qui est et de ce qui n'est pas), de leurs idéologies avec l'idéologie racine du Système, qui a eu pour résultat que des principes "révolutionnaires" sont devenus progressivement des principes idéologiques reconnus du Système, et des hommes "révolutionnaires" des laquais du Système . Les "principes de 1789" sont les mêmes de ceux de la "Loi le Chapelier"qui offrent les travailleurs manuels à l'exploitation salariale . Les principes de 68 n'ont pas empoisonné mais nourrit le développement libéral . Le travail de lucidité des penseurs issus de la gauche est à peine à ses débuts, mais est le plus souvent issu de l'école de Francfort .

Michéa, Lasch, par exemple ont commencé un tel travail . Leurs analyses de la société, de la personnalité de base narcissique, de l'archéologie du Système dans ses parties fonctionnelles politiques et économiques, et dans son idéologie fonctionnelle posant la dichotomie "politique" et "économie" comme des essences séparées, dont il faudrait que l'une n'interfère pas sur l'autre, et toutes ces sottises de mythes conceptuels, sont extrêmement puissantes et pertinentes . Mais l'ontologie de base de l'idéologie racine n'y est pas clairement identifiée, ce qui les conduit à ne proposer comme alternative au Système que la common décency supposée du peuple, un retour aux sources de la gauche, ce qui est d'une pauvreté insigne, et d'une efficacité illusoire . Pourquoi "l'homme du peuple"sait-il ce qui est décent, hors de toute mesure, de toute culture, de tout concept ? Pourquoi la décence commune du peuple serait -elle soudain mortelle au Système, alors qu'elle ne l'a nullement empêché jusqu'à ce jour ? En vertu d'une faculté . C'est infime . Le fondement ontologique de l'idéologie -racine est préservé .

Le modelage de la personnalité de base du peuple, et donc de sa notion de la décence, par le Système, est purement et simplement déniée . Très puissant dans sa partie critique et historique, le travail de Michéa bute sur d'étroites limites ontologiques, et un cadre moralisateur fonctionnel à l'idéologie racine . Car les méchants riches et les gentils pauvres, dans le Système, sont aussi largement complices qu'opposés . Tout homme à l'aise dans sa fonction doit désirer, vouloir croire la description que l'idéologie racine et le spectacle font de lui, comme d'un travailleur méritant, de quelqu'un qui se lève tôt, etc ; et également servir la finalité du Système avec zèle . La plus grande part des pauvres soutient toujours des libéraux . Demander 500 euros d'augmentation pour tous est parfaitement fonctionnel . Il n' y a là aucune décence, ni aucune indécence d'ailleurs . La dissidence spontanée la plus grande naît chez les marginaux ; mais nombre d'exclus ne sont pas marginaux . Nombre d'exclus sont de simples admirateurs des aspects les plus vides du Système, collectionneurs de grands écrans plats, et de toute sorte de produits et de biens "culturels" du Système . Donnez de l'argent à un rappeur révolté ; il achètera le logement et la voiture du médecin ou de l'avocat de la série américaine, et décorera sa maison de plastiques dorés, de moulures PVC, et de velours violets sur les murs, et parlera du mérite . Peut-on attendre de cela une réforme du Système ?

Je crois que Tiqqun marque le passage, dans le travail idéologique issu de la gauche, de la remise en cause fondamentale du fondement ontologique de l'idéologie racine . Ni Guattari ni Deleuze ne les y ont vraiment aidé, mais Foucault certainement, très lucide sur l'héritage des Lumières . Une telle déconstruction de l'idéologie racine parait terriblement abstraite et éloignée du peuple, mais pourtant les conséquences d'une diffusion de cette pensée seraient terriblement concrètes pour l'homme le plus ordinaire . La diffusion d'alternatives consistantes à l'idéologie officielle a certainement été une des causes majeures de l'effondrement de grands Empires .

Globalement pourtant, les recherches idéologiques de la gauche ont été incapables de s'opposer au développement protéiforme du Système, plus même, elles l'ont le plus souvent accompagné . Un Serge Halimi a su montrer l'importance cruciale du travail idéologique dans le développement du Système, mais n'a pas posé le début du problème de l'alternative idéologique . Le Monde Diplomatique a effleuré le problème de l'instrumentalisation de la lutte contre les discriminations au profit du Système, mais serait incapable de s'en dégager clairement . Des hommes de gauche qui se voudraient dissidents doivent s'y arrêter, et continuer à creuser, à y penser avec les sacrifices idéologiques qu'implique la lucidité . Mais pour eux, il faudra une véritable cruauté . En particulier, il faut sortir de l'analyse purement matérielle de l'oppression, et mettre en perspective l'importance de l'oppression et de la désagrégation culturelle des communautés, au nom de la "libération", de la "science" et de l"éducation" . Cette dernière oppression est rarement analysée par la "gauche" (je ne dis pas que rien n'a été fait à gauche à ce sujet, je dis que ce sujet est très peu audible) . Il faut espérer que le travail de Tiqqun donne des rejetons, alors qu'il semble au contraire encore dans l'impasse, faute d'héritiers . Sans doute fut-il trop novateur, trop lucide, ne pouvant être le fait que d'intellectuels sans enjeux, n'ayant rien à perdre . Car il y a tant à perdre, à abandonner . Ainsi Agamben a-t-il pris un projectile dans une réunion politique .

La gauche a également développé une pratique de la guerre asymétrique, dont la figure emblématique est Che Guevara, qui reste encore utilisée, particulièrement au Proche et au Moyen Orient . De populaire elle a évolué vers le terrorisme à la suite de leur abandon par les peuples . Cette infamie en soi, parfois utilisée par des hommes nobles et désespérés, est tant dans ses processus que dans ses résultats analogue à la pratique droitière de la dictature militaire, de la torture et de la terreur : il s'agit de pratiques implicitement matérialistes, qui ont un effet d'intensification matérielle globale favorable au Système . Terrorisme et terreur d'État ont évolué en miroir, fondés sur les mêmes principes . Globalement, l'ensemble de leurs révoltes largement manipulées a justifié le renforcement indéfini des forces de coercition dans le Système, entrainant un recul des libertés ; le cas de la Russie et du terrorisme tchétchène étant particulièrement éloquent . Le terrorisme s'avère là aussi être un échec massif .

Des résistances culturelles sont nées dans le monde par l'extension et l'intensification du Système, comme l'Islam radical, mais ces résistances usent semble-t-il des mêmes méthodes, tant de droite que de gauche, décrites . L'Iran utilise la violence contre son peuple et discrédite sa résistance au monde moderne, par exemple ; et la pratique de la guérilla et du terrorisme a surtout permis un renforcement indéfini des forces d'expansion du Système . Elles risquent les mêmes échecs, même si les sociétés où elles s'enracinent peuvent paraître plus proches d'elles que les sociétés occidentales du XXème siècle du catholicisme intégral . Sans aller plus loin dans l'analyse pour le moment, il semble que ces résistances ne puissent que freiner le déploiement du Système, ne se situant qu'en périphérie . Nous sommes au coeur, et nous pouvons agir davantage qu'eux : telle est l'évidence . L'opposition efficace doit être intérieure, telle est la thèse .

Notre thèse dans ce texte en effet, outre le constat d'échec des méthodologies issues de la droite et de la gauche pour arrêter le développement du Système, constat qui n'est pas l'objet de ce texte et qui s'impose puissamment, est celui d'un changement d'intensité de l'asymétrie, qui interdit l'usage à l'identique de la guerre psychologique ou révolutionnaire pour des raisons tant tactiques que stratégiques . Les conditions de la lutte changent, tant par l'évolution interne de la dissidence que par le développement du Système . Une chance historique apparaît pour la dissidence . Certaines des conditions de cette chance lui appartiennent en propre (elle a donc une capacité d'agir sur elles), d'autres non . Celles qui lui appartiennent en propre sont la possibilité actuelle de catalyser les principes dissidents des traditions les plus opposées pour réaliser, par cette alchimie idéologique, et grâce à l'acuité de l'analyse du Système que des dissidents ont rendu possible, un virus sans précédent pour l'idéologie racine, et de le diffuser massivement dans le Système . Peu avant la deuxième guerre mondiale, une telle opération avait crée une dissidence certes désunie et peu consciente d'elle-même, mais très menaçante pour la survie même du Système, et la guerre a détruit et enfoui ce souvenir . L'œuvre même de Simone Weil en porte des traces certaines, et en dessine le projet dans l'urgence de la catastrophe . Les conditions d'une reviviscence d'une dissidence puissante sont probablement réunies . L'ensemble forme le Kairos, l'occasion . Elle doit être saisie . Ce texte est aussi un appel à la résistance et à la dissidence adressée aux êtres humains qui pourront l'aborder, au nom des valeurs supérieures de la civilisation et de l'homme, et en tous les Noms pensables .

Les changements et leurs conséquences, et les préconisations que cela implique, sont repris et synthétisés sous forme de principes par commodité de lecture et d'écriture .

Premier principe : principe de compromission nécessaire liée à la dissymétrie maximale du rapport du dissident au Système :

La position du dissident est celle de l'extrême faiblesse et de la dépendance par rapport au Système . Il ne peut se nourrir, se vêtir, n'exister même que dans le Système . Il ne peut exister comme dissident que dans le Système . Le premier risque pour lui est de se définir négativement par référence au Système, et donc d'être entièrement déterminé par ce qu'il nie . Le risque aussi est, par ce désir de reconnaissance et de place au soleil qui est de l'essence de l'homme, d'accepter une place d'opposant officiel qui est définie par le Système et syntone à lui .

Le dissident doit être contradictoire avec le Système sans lui être contraire .

Il fait face à une domination extrême, si extrême qu'elle peut ne pas utiliser de sémiotique visible de la domination et de la soumission, ne pas l'abaisser ni humilier ouvertement, et le définir comme "libre" selon le Système .

"La dissidence, dans notre Système, est un paradoxe, puisque le Système pose que chacun peut penser, agir et être librement différent à l'intérieur du Système . Le Système se rêve comme sans séparation possible puisqu'il autorise en lui toutes les séparations légitimes . Par sa structure paradoxale il est proprement totalitaire . Est totalitaire le système social qui ne peut penser le cas d'exception, la sortie légitime . Sans sortie de secours un système social est une prison "

Dans cette position particulière, vouloir par la guerre matérielle éclaircir la séparation ami vs ennemi est servir le Système . Car le Système pourra alors identifier le dissident, l'isoler, et sans hâte, l'écraser . C'est l'histoire typique des groupuscules terroristes . Voyez J.P. Manchette, Nada, œuvre définitive sur le sujet :

"Il empoigna le micro, pressa la touche d'enregistrement et, tandis que la bande commençait à s'enrouler, il demeura un instant immobile, la bouche ouverte . Son visage était contracté comme au début de l'après midi, dans la baignoire .

-J'ai fait une erreur, dit-il soudain . Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du...
Il hésita.
-...du même piège à cons, acheva-t-il, et il continua aussitôt . Le régime se défend évidemment contre le terrorisme . Mais le système ne s'en défend pas, il l'encourage, il en fait la publicité . Le desperado est une marchandise, une valeur d'échange, un modèle de comportement comme le flic ou la sainte . L'État rêve d'une fin horrible et triomphale dans la mort, dans la guerre civile absolument généralisée entre les cohortes de flics et de mercenaires et les commandos du nihilisme (...) c'est le piège qui est tendu aux révoltés et je suis tombé dedans . Et je serais pas le seul . Et ça m'emmerde bien .(...)
-La condamnation du terrorisme, dit Buenaventura dans le micro, n'est pas une condamnation de l'insurrection, mais un appel à l'insurrection .
Il s'interrompit de nouveau, et un ricanement lui tordit la bouche .
-En conséquence, ajouta-t-il, je déclare le groupe "Nada" dissous .
Il arrêta l'enregistrement .
Et à l'unanimité encore ! cria-t-il dans l'ombre . Les vieilles traditions sont respectées .
Il sortit la cassette de l'enregistreur, la fourra dans une autre enveloppe qu'il ferma et sur laquelle il écrivit : Première et dernière contribution théorique de Buenaventura Diaz à sa propre histoire . "

L'art de cette guerre est un art du Spectacle, car le monde du bloom et le bloom sont une unité systémique concrète . En un sens originaire, l'homme du Système, l'idéologie du Système et le Système lui-même sont une chose unique . Le Spectacle n'est rien d'autre, selon la perspective, que le mensonge, la duperie, et l'illusion . Tel est le piège tendu aux révoltés .

"Tout l'art de la guerre est fondé sur la duperie . C'est pourquoi quand vous êtes capable, vous devez feindre l'incapacité, actif, la passivité . Proche que vous êtes loin, et loin, si loin, que vous êtes proche .Encouragez le à l'arrogance . Lorsqu'il est uni, divisez le . Quant il n'est pas prêt, attaquez le ." Sun Tzu .

L'histoire de la diffusion du Christianisme dans l'Empire Romain est un contre-exemple caractéristique : tant que les chrétiens ont été "autres", les persécutions ont eu leur sanglante efficacité ; c'est en convertissant dans l'aristocratie, en brouillant les frontières que les Chrétiens ont christianisé l'Empire, et tant pis pour les sectes de Purs, issu des martyrs, qui l'ont refusé, comme Tertullien . Deux partis s'opposèrent après les persécutions ; ceux qui voulaient exclure les chrétiens qui avaient menti sur leur foi pour sauver leur vie, et ceux qui voulaient les réintégrer sans les affliger excessivement . Les premiers paraissent d'une exigence plus élevée, mais leur attitude est suicidaire dans l'optique de la guerre idéologique, puisqu'ils s'offraient à la destruction par leur propre attitude .

Par ailleurs, la logique de course aux armements qui a marqué les mouvements terroristes s'opposant aux États ne peut pas aboutir à une réduction du déploiement de la puissance matérielle, mais bien au contraire à une spirale auto-renforçante aisée à justifier auprès de la population générale . En clair, l'opposition violente illégale est parfaitement syntone à l'entéléchie du Système .

Pour vérifier cette thèse au sujet de la criminalité organisée, il suffit de consulter le Gomorra de Roberto Saviano avec un minimum de sérieux . Ce livre montre que la séparation entre économie légale et illégale est surtout une structure du Spectacle . Le Spectacle est la conscience que la société prend d'elle même ; en tant que morale, la société ne peut que rejeter sa négativité énorme et concrète sur des groupes "criminels" pensés comme "extérieurs" et "marginaux" . Le Spectacle doit présenter comme essentiellement séparés, en tant que bonne conscience que le Système prend de lui même, ce qui est Un au cœur de son essence, ce qui lui est consubstantiel, l'avidité pure, mécanique et impitoyable qui se pare des oripeaux du politiquement correct et de l'humanité .

C'est à dire que l'évocation incantatoire du politiquement correct est un moment fonctionnel de la conquête et de l'exploitation du monde humain par le Système . Ce moment désarme les hommes ayant des limites morales fonctionnelles au Système à petite échelle, en tant que protégeant la domination interne des zones entièrement acquises au Système, mais des limites morales qui sont aussi des limites à son expansion violente au delà, à grande échelle . Ce double discours du Bien, à usage interne, et à usage offensif à l'externe, comme fondant un droit d'ingérence humanitaire, est une structure idéologique typique du Système, car les civilisations antérieures étaient le plus souvent capables d'assumer leur désir de conquête et de domination . On pourrait multiplier les exemples, depuis la conquête chrétienne des Empires indiens, la colonisation, la décolonisation, les guerres du proche Orient, et les nuages de paroles hautement morales qui ont accompagnées les ténèbres pratiques de ces guerres . Le caractère d'idéologie de guerre fonctionnelle du politiquement correct doit être dévoilé sans faillir .

En réalité la "criminalité" telle que le spectacle la définit dans ses principes est au cœur de certains États, même pas exotiques . La distinction réelle devient beaucoup plus difficile et arbitraire pour les juges . Une simple modification de la loi modifie considérablement la frontière entre le bien et le mal, et survient en cas de besoin, c'est à dire quand des notables légaux sont menacés . Une perte de pouvoir, et le vieux chef légitime devient un criminel dans le spectacle, le même spectacle qui faisait de lui un chef respecté .

Il s'ensuit de tout ce qui précède qu'une dissidence efficace doit être légaliste . Légaliste dans le spectacle, donc légaliste de manière spectaculaire, outrée . Cette position a des précédents . Les dissidents russes d'ailleurs se réclamaient de la constitution de l'URSS ou des traités internationaux signés par elle . Une dissidence efficace doit être en avance sur la réflexivité du Système, sur le spectacle et le science sociale officielle, pour le construire négativement sans être reconnu réciproquement comme négatif par le Système immunitaire du Système . C'est la stratégie virale . En écrivant publiquement ceci, je n'hypothèque rien, puisque le Système devra diffuser ces idées pour s'en protéger . La stratégie virale permet d'utiliser les veines vitales et l'énergie du Système pour se diffuser .

La guerre métaphysique doit vouloir le clair obscur, l'ambiguïté . Pour se diffuser, pour circuler librement dans les veines du Système, la pensée dissidente ne doit pas systématiquement correspondre au contraire de l'Idéologie racine, tel qu'il est justement défini par elle . Se réclamer de tels contraires, se réclamer du "négationnisme" ou du "Stalinisme" n'est qu'accepter de prendre la place de méchant donné par les maîtres que jouer le jeu du Système . Le Système adore les méchants, nazis fanatiques éleveurs de poulet, bolcheviks au couteau entre les dents, talibans machistes, obscurantistes et cruels . Évidemment !

Or la dissidence peut se réclamer de jugements de valeurs fonctionnels au Système pour condamner ou exposer les contradictions du Système avec lui même, car ces jugements varient en fonction de l'échelle et des intérêts, et aussi se réclamer de la raison scientifique la plus stricte, comme procéda la Société du Mont Pèlerin pour diffuser une version corrosive de l'idéologie racine . Mais en instrumentalisant des parties fonctionnelles du Système, le dissident n'oublie pas, lui, que le Système est unique . C'est cette réflexivité qui lui garantit son identité .

Dans sa conscience de soi, dans sa réflexivité propre, le dissident est un être nocturne, furtif . Enfin, il doit porter le poids de sa compromission, ne peut être innocent . Trop souvent le refus du monde se double d'un désir de pureté qui ne peut aboutir qu'à l'hypocrisie . "La race des innocents est éteinte depuis longtemps" . Le dissident sait qu'il ne peut être en pratique un pur . En particulier, je ne crois pas qu'il puisse éviter de prendre des poses, d'exploiter le gout du Système pour les "rebelles", et le processus d'autodépassement permanent du Système, dans le cadre d'une stratégie virale . J'y reviendrais .

Face aux persécutions, les juifs espagnols du Siècle d'Or se firent catholiques de pratique en conservant secrètement leur héritage . Ce sont les marranes . Le dissident ne peut être qu'un marrane s'il veut être . Car dans le holisme du Système, être signifie être une partie fonctionnelle du Système . Le dissident de ce fait doit distinguer l'extérieur qui relève de l'art du déguisement et de l'incognito - le j'avance masqué de Nietzsche, le Cygne de Léda-de la stratégie intérieure qui ne peut reposer que sur l'Être pour résister à la pression et à l'ivresse hystérisante du spectacle . La seule stratégie intérieure valable est celle de se tenir dans la vérité, selon des cycles lunatiques . La seule force du dissident est la rupture intérieure, radicale, et la vérité . Je parle de la vérité métaphysique, de celle qui relève de l'eau pour l'esprit . Les âmes nobles ne peuvent s'en passer, et savent la reconnaître . C'est ce qui est nommé Gnose .

Face à ce siècle, la vérité est un défi . Mais une vérité immorale face à la morale de propagande du Système : Le combattant spirituel doit intérieurement revendiquer le Mal tel que définit par l'idéologie racine comme sien, pour ne pas être récupérable . Cela n'est pas nécessaire dans le spectacle . Il est par contre nécessaire de penser par de là le bien et le mal, ne serait ce que pour saisir le Système comme une totalité au delà du miroir du Spectacle . Miroir qui est illusion et fragmentation ; non que chaque image soit fausse, mais qu'elle soit niée de la totalité où elle s'insère . Ainsi l'objet réel devient un mensonge sémiotique, insensiblement mais systématiquement . Le monde réel des hommes devient, par leur imprégnation par les cadres de l'idéologie racine qui commande leurs interprétations de leur monde, un spectacle de propagande . Tels étaient les nazis qui, face au ghetto de Varsovie, voyaient la laideur, la saleté et la dureté de caractère des juifs face aux enfants abandonnés mourants dans la rue, là où nous voyons la laideur morale et la cruauté des hommes qui ont organisé cette situation inhumaine .

Notre monde réel, frère, n'est pas réel, il est un objet construit par les cadres de l'idéologie racine, il est un spectacle de propagande . Abandonne ces cadres et tu verras un monde originaire . Fait silence de ces cadres ne serait-ce qu'une heure, et tu verras non le monde familier qui est le tien, mais le mystère caché dans le mystère, et l'obscurité involuée dans la lumière . Le monde retrouvera une fluidité et perdra toute évidence .

Car dans le monde systématique des choses, le bien revendiqué est un moteur du système, "le vrai est un moment du faux général" . (Debord). Ainsi Maldoror est-il né méchant . Fatalité extraordinaire !

Le risque essentiel d'une telle position est la récupération . Ce n'est pas la guerre qui doit l'empêcher, mais la fidélité, mais la rigueur d'une idéologie de fer . Il est permis d'imaginer la constitution de sociétés secrètes sur le modèle des carbonari . La rupture, la distinction de l'ennemi, le combat sont présents, toujours déjà présents, mais d'abord intérieurs - invisibles aux hommes d'extériorité .

Comprendre la possibilité d'une telle position est en soi un critérium . Nul ne l'a mieux exprimé qu'Oscar Wilde : "les vérités de la métaphysique sont les vérités des masques" . C'est toute l'essence du dandysme romantique . Ainsi le dissident sera-t-il immédiatement un homme de la clandestinité et des masques, un passager clandestin du Spectacle .

Deuxième principe : priorité à la lutte contre l'idéologie racine .
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Le Système qui ne pense de différence qu'a l'intérieur de lui-même se pense dans les termes d'une idéologie générale, l'idéologie racine, dont l'analyse complète reste à faire . Elle est essentielle, car l'analyse idéologique n'est autre que la destruction phénoménologique, la reconquête de la liberté de penser et d'agir dans un monde non déterminé par les positions du passé . Dans un horizon ontologique donné, il est possible de choisir ; des choix ont été faits, et ils sont oubliés comme choix, et vécus comme nature . Dans le monde, la nature même, de Jean Scot Erigène, les Anges existent plus intensément que moi ou qu'une pierre ; cela n'est plus le cas . Notre ontologie n'admet pas les même étants . Peut importe la raison ou le tort, ce qui importe est de revenir au lieu de la décision . Alors je reconquiers la puissance de légiférer sur l'être .

Notre ontologie qui est la matrice combinatoire générale des matrices idéologiques spécifiques, comme les libéralismes, le marxisme officiel, le nazisme, etc...doit être démontée pièce à pièce . Ses conséquences sont profondes et complexes, indéfinies, indiscutables . L'ontologie est une fondation de monde, science et art .

L'idéologie racine, le monde "réel" du Système, l'homme hypersocialisé produit par le Système sont uns en un sens originaire . Cette idéologie possède des caractéristiques très reconnaissables avec un peu d'entraînement :

Ontologiquement elle pose comme première et principale le mode d'existence de la chose matérielle, et mesure toute être en fonction de la chose ; la chose est le plus intensément, et plus on s'éloigne de ses caractéristiques d'objet sensible localisé dans le temps et dans l'espace, moins on est, d'une exténuation allant jusqu'à la négation pure et simple . Ainsi le signe, le spectacle, le mythe, sont secondairement, d'un être fantomatique ; le nombre est encore moins, à peine une représentation (mais quel est l'être représenté parle nombre?) ; n'est pas du tout, l'Ange . "Objectif" est mélioratif ; "subjectif" péjoratif .

Par exemple, pour citer des analogons thématiques de cette structure, la substance matérielle de l'homme , ou race, peut devenir l'expression la plus sûre, la plus "objective" d'une personne, en tant que la plus matérielle ; la substance matérielle de la société, ou structures de production, l'expression la plus déterminante, la plus "objective" d'une société ; ou l'expérience matérielle le critérium certain, la "preuve objective" de la "théorie scientifique". Ou encore, le substratum matériel, le cerveau, le point de fascination pour la compréhension de la pensée, à travers la psychophysiologie . Dans ces dispositions sémantiques apparaissent comme épiphénomènes respectivement la civilisation d'appartenance, l'idéologie racine, la théorie, ou l'âme .

Elle pose également les étants comme des atomes dotés d'identité fermée sur elle même et auto-suffisante, isolables par soi dont les liens sont des accidents, des contingences, et de ce fait ne peut développer une pensée sophistiquée des liens ; elle pense toute pluralité comme un tas . Elle ne peut penser l'ordre et harmonie comme étant de manière consistante, et les renvoie à l'illusion . Elle est naturellement nominaliste, les noms renvoyant seuls à une substance, verbes, compléments et adjectifs renvoyant à des accidents de la substance n'emportant pas décision dans la définition, dans l'essence . Car l'idéologie racine assimile l'essence à la définition .

Politiquement cette ontologie analoguée thématiquement abouti à une défense de l'individualisme et de toute les théories du contrat, les individus étant réellement, les communautés politiques étant des tas . Au fond à ses yeux la société n'existe pas .

Pour que les communautés soient réellement des tas, il est nécessaire que les individus qui les composent soient interchangeables, et ne soient engagés que dans des liens accidentels, donc révocables arbitrairement à tout moment ; en conséquence des communautés sans mémoire ni passé . "La lutte contre les discrimination" est le processus d'annihilation des différences conséquentes au profit d'un "droit à la différence" qui se réduit à un "droit aux différences" sans AUCUNE CONSÉQUENCE . Par là se parachève la dissolution de la communauté .

L'individu sans liens est pour le Système l'individu "libéré" ; ainsi le Système pense la liberté comme individuelle, et comme arbitraire, selon le principe du libre goût, du "j'aime" et "j'aime pas" souverain . Mais cette absence de liens est ce qui le rend totalement dépendant du Système pour maintenir le spectacle de sa souveraineté vide et sans conséquences.

Le droit est pensé comme devant être absolument homogène pour tout individu, pour tout lieu, et en tout temps . Cette conception est liée à l'incapacité à penser des différences fonctionnelles sur un horizon d'égalité de dignité, et donc à penser une communauté organique . Pour garantir cette uniformisation forcée, le Système doit s'engager dans une énorme bureaucratisation, et une inflation légale, car la réalité résiste à cette hybris de l'égalisation . Toute résistance locale au processus provoque la mise en place de nouveaux dispositifs d'égalisation, qui peuvent être absolument paradoxaux, comme "la discrimination positive" .

La dévalorisation par principe du passé en tant que passé, liée à la nécessaire négation des liens, est le progressisme, ou déroulement historique caractéristique de l'idéologie racine . Le culte de la jeunesse en est un analogon humain individuel .

Axiologiquement elle pose dans la puissance matérielle la plus haute valeur, avec la même règle d'exténuation de la valeur . Elle se représente le bonheur comme une accumulation indéfinie de biens, ou encore comme espace vital . La supériorité spirituelle est proprement impensable dans le Système, elle y apparaît comme forfanterie .

L'idéologie racine est ainsi nommée car son ontologie est la matrice combinatoire de toutes les description idéologiques locales, ainsi la théorie politique du contrat est l'analogon local de l'ontologie de la chose, les individus étant des choses, unes fermées sur elles même ; ainsi le matérialisme atomique et le mécanisme sont-ils des analogons locaux de cette ontologie pour construire une image de "l'infiniment petit". Si le mot "local" en contexte est ambigu, je parle dans le même sens de "thématique" .

Elle est aussi nommée ainsi parce que de fortes oppositions locales résultent en général d'inflexions divergentes dans la logique générale de idéologie racine mais dont la structure est sensiblement maintenue . Par exemple, le nazisme est une inflexion matérialiste-biologique, le communisme une inflexion centrée sur l'uniformisation bureaucratique, le libéralisme une inflexion privilégiant la rupture maximale des liens . Mais ces idéologies partielles se fondent sur la même idéologie racine, et conservent une finalité immanente, entéléchie, commune . Ainsi les hippies roulèrent-ils dans le véhicule qu'Hitler avait pensé et préparé .

C'est dans le cadre de l'idéologie racine que la structure matérielle précède, cause et détermine la structure idéologique de la société ; que la pensée est systématiquement disqualifiée comme perspective et opinion arbitraire, que le sexe faussement pensé comme brut, non intermédié-la pornographie - a plus de réalité que, est la vérité de l'érotique, que l'exploitation brute est la vérité du lien féodal et du salariat, selon le Manifeste de Marx, que la vacuité nihiliste est la vérité du sens, de la métaphysique et de la religion, que la propagande la plus abrutissante est la vérité de la rhétorique . Le sens général de cette direction de l'idéologie racine est la dé-symbolisation, la négation des médiations symboliques qui construisent l'être humain comme une œuvre d'art raffinée dans ce creuset qu'est une grande civilisation . Or la pornographie, l'exploitation, le nihilisme ne sont pas des transparences mais des constructions sémantiques-symboliques de la transparence, une illusion culturelle de transparence .

La pensée est intermédié par essence, même la pensée qui nie la médiation . Cette pensée paradoxale est mensonge, et l'idéologie racine est aussi la diffusion du mensonge et de l'hypocrisie à l'échelle d'une civilisation . Ce qui est appelé politiquement correct, ce langage mensonger qui doit être connu comme tel par celui qui l'utilise, en est une illustration dont la gravité doit être pensée : on demande aux hommes de mentir pour le bien, de sacrifier la sincérité et la spontanéité au nom de la morale .

L'idéologie racine a une structure paradoxale, ce qui avant d'être une faiblesse est une grande force qui lui permet de répondre à tout et d'avoir toujours raison .

La lutte contre la propagande doit croire en la vérité . La propagande liée à l'idéologie racine est une automatisation des comportements humains, une submersion de leur défense par la masse simultanée de l'information qui assaille les sens . Son modèle est le spectacle, le grand spectacle totalitaire, la répétition rythmique de la musique amplifiée, le cinéma . Cette submersion, cette domination fait du cinéma un art du féminin, qui réduit à une impuissance jouissive le spectateur . Une star du rock en scène possède les spectateurs, multiplie les figures de la domination . La musique la plus violente, la plus masculine, joue en réalité sur une ambivalence féminine, comme le rend sensible Marylin Manson . Ceci connu n'entraîne pas condamnation . La télévision est une nuance indiscrète de cette domination .

Le principe de l'idéologie racine peut être formulé ainsi : le cœur de l'œuvre de combat rapproché est le démontage systématique de l'idéologie-racine . Le démontage est la manifestation de l'arbitraire idéologique de la nature construite par l'idéologie racine . Cette idéologie est aveuglement, et négation du spirituel . Ainsi aucune force matérielle n'est nécessitée . L'humour le réalise aussi bien que la métaphysique technique, l'érotique comme le mystique . La foi en la supériorité du spirituel doit être conséquente . La force paradoxale de la rareté est une vérité ; l'infime en ce siècle est inversement grand en puissance . Enfin, il faut être conséquent avec la logique inflationniste du Système, et ne pas y participer .

L'idéologie racine est partie fonctionnelle du Système, et partie nécessaire à son fonctionnement . Si cette idéologie s'effondre, dévorée par les termites du souterrain, le Système ne pourra pas continuer dans son essence . Les modèles antérieurs sont l'Europe des Lumières, ou la christianisation de l'Empire romain .

La seule identification indispensable de l'ennemi n'est pas une personne, mais l'idéologie racine dans son caractère systémique, total, qui exige une guerre totale . Ecrasons l'infâme !

Et viva la muerte !


Principe Troisième : principe de clôture :

La pensée moderne connaît une tendance fondamentale à la fermeture et à la répétition mécanique de l'idéologie . La variété des écoles de 1910 et le monolithisme de 2010 sont des réalités flagrantes . Pour un peu, il n'est aucun producteur idéologique de nos jours, qui ne puisse faire à l'autre le baiser de paix . Cela n'est magnifique, comme un crépuscule mythique des idéologies, que pour ceux qui ne comprennent rien, et qui ne risquent plus d'avoir à le montrer, grâce au règne univoque d'une matrice mécanique . La réalité est que notre société est sclérosée au plus haut point, mais que sa puissance matérielle spectaculaire surmonte encore la nudité morbide du Système .

L'idéologie racine dominante est celle là même qui fourni les critères de recrutement des personnels des principales institutions du Système, dans ses analogons thématiques que l'on retrouve dans tous les domaines . L'idéologie racine irrigue la société par de multiples canaux comme l'eau une éponge . La société se structure selon la structure de l'idéologie, et réciproquement . Il existe des analogies formelles entre les divisions idéologiques et les divisions fonctionnelles de la bureaucratie, de même qu'il existe des analogies formelles entre le comportement des objets physiques et des fonctions mathématiques, ce qui rend possible la technoscience mathématique .

La construction de la réalité, la division des sous systèmes institutionnels, les articulations de l'idéologie sont un fait unique . La "réalité" produite par le Système, les critères d'évaluation de la ré-alité d'un étant, sont des institutions fonctionnelles du Système . La Logique de la découverte Scientifique de Karl Popper-par exemple- traite du principe de légitimité d'un énoncé portant sur la réalité dans le Système . A ce titre cette œuvre, comme tant d'autres sur un sujet analogue, porte sur la construction d'une légitimité non humaine dans le Système, d'une tiercéité née dans la Science . La Science devient le champ de la neutralité par excellence, c'est à dire de l'objectivité, dans la perspective du Système . Objectivité et souveraineté ont des homologies fonctionnelles, qui reposent sur leur finalité : il s'agit d'accorder des hommes sur un ens commune indiscutable . Ainsi la Souveraineté est-elle à l'abri de la décision humaine . L'importance de l'enjeu de la vérité scientifique n'est autre que la position de la Souveraineté . Anarchisme individualiste et épistémologique sont fonctionnellement liés, ce que savent aussi bien Feyerabend que Rorty-l'homme spéculaire . Ce dernier discours est à la fois une épine dans le flanc de la bureaucratie, mais aussi parfaitement récupérable, car ce discours de la pluralité des normes se place dans la perspective de l'articuler depuis une unité intelligible et normative du respect de la pluralité, celle même de la bureaucratie . (Voyez Deleuze- Guattari, milles plateaux )Et la bureaucratie moderne, intelligente, ne veut que cela, être tolérante . A condition que tout reste pareil .

L'idéologie racine, dont le fondement est de prétendre dire ce qui est et ce qui n'est pas, est celle là même justifiant, légitimant, le maintien au pouvoir de mandarins idéologiques formés aux subtilités du Système . Le sous-Système éducatif qui recrute et forme la haute bureaucratie - cela comprend aussi bien les cadres dit du privé que les cadres dit du public, et ce à l'échelle mondiale- ne recrute pas des imbéciles, mais sélectionne une pensée fortement opératoire, et non pas une puissance d'imaginer . Un tel "profil de compétence"a été retenu dans toutes les bureaucraties historiques . Cela apparait dans les bouleversements historiques, ou avec les transfuges ; les hommes de "partis de gauche" peuvent servir des objectifs de droite ou inversement, et divers régimes, que ce soit la IIIème République, le IIIème Reich ou les IVème et Vème Républiques, comme René bousquet, ou Maurice Papon . Les "créatifs", le Système les éloigne très nettement de l'exercice du pouvoir, et les cantonne par exemple à la publicité ou aux médias . Le Système, et cela n'a rien de surprenant, n'organise pas sa transformation, ne favorise pas sa critique . Dans les meilleures écoles ont apprend "l'esprit critique"sur des productions médiatiques ou sur des textes idéologiques, et on apprend par ailleurs le Droit, l'Éthique, bref les fondamentaux du Système . On apprend à discerner ce qui se discute et ce qui ne se discute pas- et cette distinction est basée sur les limites du Système, rien de plus .

Les cadres du Système posent leur expertise, c'est à dire leur légitimité extra-humaine, leur puissance à dire ce qui est . Au nom de la Science . L'usurpation était tentante . Elle est fréquente .

Dans les cas d'usurpation, l'expert revendique une souveraineté . Par sa bouche la Science parle . Or aucune phrase qui commence par "la Science dit que..." ne peut correspondre à une catégorie de proposition reconnaissable comme proposition scientifique . Faire parler la Science est bien l'expression profane d'une théologie, d'un Cela, qui est plus grand que tout homme, parle à travers moi . La Science en effet ne parle pas, mais l'homme .

Je ne veux pas laisser de confusion par cette dernière phrase . Et je maintiens le mot d'usurpation de la fonction souveraine par le discours ontologique de l'idéologie . Usurpation signifie que le vrai est ce qui est, que le langage humain est puissance de vérité . Le scepticisme classique ne peut servir très longtemps dans la guerre métaphysique . Rorty, comme Feyerabend, prétendent à la puissance de dire ce qui est et ce qui n'est pas, la vérité scientifique . Ils disent avec prétention à la vérité que la vérité n'est pas . Leur position est idéologique, avec juste un caractère masqué . Leur position est fonctionnelle à l'individualisme et donc au nominalisme du Système . Là n'est pas le lieu d'en débattre plus avant .

De ce que la science ne parle pas, il ne signifie pas que les expressions scientifiques soient complètement arbitraires . Au contraire, elles résultent d'une légitimité très construite . Le sceptique a besoin de la vérité pour affirmer la non-valeur de vérité de la vérité . Si je te dis que les clefs sont sur la table de la cuisine, cela à un sens concret évident dans la pratique quotidienne de la vérité . La structure ternaire du signe pointe, par la référence, la médiation de l'être . Toute parole s'énonce sur fond d'être, y compris le mensonge par référence négative, y compris la critique de la science . Je ne critique pas la vérité, mais l'usage idéologique de l'invocation de la Science comme instrument de légitimation du pouvoir bureaucratique . La critique éventuelle de la science moderne réelle sera étudiée ailleurs . Dans cet usage science et vérité effectives sont méprisées, non par le critique, mais bien par l'idéologue .

Le principe de mise au pas de la Science sera donné plus tard .

Le langage bureaucratique doit être solide comme un phénomène naturel, indiscutable, émotionnellement neutre, standardisé, c'est à dire qu'une expression doit correspondre à une procédure bureaucratique, comme "garde à vue", ""mise sur le marché", "restructuration" . Il doit être compréhensible, mais décourageant, "technique"pour l'extérieur . Enfin, son caractère pseudo-juridique n'est pas là pour garantir les libertés de son objet de manipulation, comme le "gardé à vue", mais pour déresponsabiliser au maximum tous les niveaux de décision, en permettant à chaque décision d'être comprise comme "technique", c'est à dire n'engageant aucune responsabilité morale, sans parler d'autres types de responsabilité . "Responsable mais pas coupable", tel se comprend le bureaucrate, ainsi le fameux Albert Speer . Le bureaucrate est la réalisation matérielle de la prédestination : dans l'exercice de ses fonctions, il ne peut rien faire qui le damne . Qu'il emprisonne, déporte, licencie en masse, organise l'exploitation d'hommes outre-mer, il ne fait qu'accomplir une nécessité immanente, lié à l'ordre public, à la réalité de la concurrence mondiale, etc . Il est vrai que chaque bureaucrate individuellement se sait remplaçable dans le Système global, il sait que d'aucuns désirent son poste, ses supérieurs y veillent . Il doit "apporter des résultats" . Il est impuissant à se révolter et puissant comme agent impersonnel . Il y a là un trait psychologique propice à la féminisation en cours de la bureaucratie . De ce fait la bureaucratie est portée à réaliser mécaniquement l'entéléchie du Système, et s'est avérée propre à tous les crimes . Il n'y a pas de plus grand criminels, sur les derniers siècles, que le bureaucrate terne que les systèmes d'enseignement fabriquent en grande série . Et c'est un criminel sans sadisme, sans cruauté, sans lubricité avouable . C'est un criminel terne, invisible, qui ne peut être affronté .

L'appareil bureaucratique qui est la condition à priori de la vie du Système, et que l'on retrouve dans toutes ses variantes, fonctionne selon des règles strictes et impersonnelles . La bureaucratie est à la fois très puissante, très rigide et très lourde . Son efficacité n'est pas la réalisation, mais l'étouffement . Elle est une police générale protéiforme . Son entéléchie est la conservation de ses règles de fonctionnement, et elle ne s'adapte que pour que tout reste pareil . Elle absorbe l'innovation comme un mur isolant absorbe un son, en éliminant comme bruit tout ce qui dans l'information qu'elle reçoit pourrait nuire à son fonctionnement et à sa reproduction . L'attaquer au nom de la vérité, en refusant le pli fonctionnel du spectacle, peut démontrer que la réponse ironique de Pilate, "Et qu'est ce que la vérité?", est encore parfaitement représentative de la position bureaucratique . Pour la bureaucratie ivre de sa puissance, la vérité, c'est la volonté de la bureaucratie - mais cela ne doit pas être dit . Car la bureaucratie joue le rôle du respect de la place vide de la référence, des fantômes . Ce que la technique doit réaliser, ce monde parfait toujours repoussé, et parfaitement repoussant .

Le véritable régime politique moderne n'est pas dans le spectacle versicolore de la diversité des totalitarismes, des démocraties, des monarchies, des crises et des années glorieuses, et j'en passe ; il est dans le processus d'assujettissement bureaucratique du monde . Et ce processus, depuis le Catasto de Florence au XIVème siècle, n'a pas connu de véritable coup d'arrêt . Le message le plus important de l'ouvrage de Tocqueville sur la Révolution française est aussi le moins spectaculaire, et le plus radical : il existe une continuité lourde de renforcement bureaucratique entre l'Ancien Régime et la Révolution . Nous devons de même devenir capables de discerner non seulement l'unité entéléchique du nazisme et de l'URSS, mais aussi des Trente Glorieuses et de l'URSS, et donc du nazisme et des évolutions modernes du Système .

Elle ne connaît que l'innovation locale, dans le cadre de la science normale intégrée dans un paradigme conforme à l'idéologie racine, ou dans une science utilisée comme formules pragmatiques incompréhensibles quand cette science est proprement incompatible avec l'idéologie racine, comme la mécanique quantique . Dans cette perspective l'innovation est fonction de la puissance matérielle déployée, du "gain d'échelle" pour "la recherche" . C'est au fond la seule innovation que peut reconnaître et comprendre le Système .

La bureaucratie s'assure par le contrôle des moyens et la définition des critères de réussite, dite d'évaluation, la conformité de la recherche avec son entéléchie propre - ne "réussissent" que les programmes de recherche qui confirment sa domination, et ne sont financés que ceux qui posent dès le principe leur conformité générale . Cela est analogue à la définition de la réalité .

La bureaucratie ne peut dans son fonctionnement normal voir naître des changements de paradigmes, c'est à dire de modes de pensée à un niveau profond . Cela est encore plus vrai dans le domaine des idéologies morales et politiques, puisque celles ci concernent de plus près ce qui est le centre de légitimation de la bureaucratie, et la souveraineté . Par contre elle les assimile très vite à son entéléchie .

Et ce même si l'idéologie officielle est violemment anti-bureaucratique, comme dans le cas du bolchevisme ou de l'ultra-libéralisme . Le Parti et les Soviets dans le premier cas, devinrent la racine de la floraison nouvelle de la bureaucratie ; et le mythe de la différence essentielle entre le Public (inefficace et bureaucratique) et le Privé (non bureaucratique par essence) permet à l'espèce ultralibérale de l'idéologie de légitimer la bureaucratisation sans entraves de la société par les grandes entreprises, bureaucraties géantes déliées de la tutelle de l'État .

La bureaucratie n'a jamais soutenu de révolution scientifique, sauf quand cette révolution lui permettait de renforcer son pouvoir, en minant un adversaire, comme l'Église, ou en produisant des armes supérieures, comme l'arme nucléaire . La véritable idole de la bureaucratie est la technique, la production immédiate de la puissance . Les freins institutionnels spécifiques empêchent l'innovation globale . Ces freins ont globalement parcellisé la recherche scientifique, et pas seulement dans une logique de spécialisation liée aux limites cognitives humaines, mais très largement aussi dans une logique sociale de garanties réciproques et de partage du pouvoir entre des disciplines dont les frontières sont d'abord sociologiques . De ce fait il est rendu très compliqué d'être un chercheur ambitieux, c'est à dire généraliste-paradigmatique, un architecte de conceptualités paradigmatiques, autre nom du projet métaphysique . Et de fait de tels personnages sont plus rares aujourd'hui qu'il y a cent ans, quand parurent dans un même cycle la théorie de la relativité générale, la mécanique quantique, les principia mathematica, et j'en passe . Le modèle contemporain est le spécialiste étroit qui à la fin de sa carrière fait de la vulgarisation, c'est à dire ânonne, dans le recueillement pieux des commentateurs analogiquement béats et incultes, comme une prophétie des lieux communs idéologiques - ceux qui savent trouveront aisément des exemples .

La clôture de la pensée moderne est conceptuelle, et cette clôture conceptuelle est l'image de la clôture bureaucratique de la société . Notre société ne peut être comparée à l'ouverture conceptuelle de la Grèce classique, faite de sociétés d'institutions aristocratiques-démocratiques (quelles que soient les limites légales de la citoyenneté dans chaque cité) sans bureaucraties, car notre société est une bureaucratie fermée se légitimant par un spectacle démocratique . L'Empire Romain a connu une fermeture conceptuelle parallèlement au développement de la première grande bureaucratie de l'histoire de l'Occident, et a évolué vers une pensée unique - voyez "Vers la pensée unique : La montée de l'intolérance dans l'Antiquité tardive" de Polymnia Athanassiadi aux belles lettres .

Il est probable qu'avec l'effort comique de faire une place à la Référence, ce que les bureaucrates nomment pompeusement l'éthique, sans trop savoir ce qu'il y a là dedans, la bureaucratie ne cesse de renforcer la circularité de son organisation et de son idéologie . Car leur seule Référence véritable, c'est elle même . Voyez la lutte contre les discriminations comme dispositif de domination .

Un corrélat de ce principe est que toute organisation fonctionnellement analogue produit des résultats analogues . Ainsi l'ensemble des partis politiques, quels qu'ils soient, aboutissent à la consolidation d'une oligarchie héréditaire et autistique, et sont en réalité beaucoup plus aptes à verrouiller ensemble l'espace des possibles qu'a s'opposer entre eux au delà des apparences spectaculaires (auxquelles plus personne ne croit) . Les derniers partis français, comme les Verts, ont su montrer la valeur d'airain de ces règles . La participation à la politique des partis est la participation au Système . Voyez l'ouvrage "les partis politiques" de Michels . Le spectacle de la politique tend à devenir un spectacle sans public . On en paye les spectateurs comme intermittents du spectacle et c'est justice . Pour ceux qui savent, les oppositions universitaires ne sont guère plus consistantes . L'organisation bureaucratique formate la pensée par nécessité immanente, et l'idéologie racine est la forme de ce formatage, l'un étant image de l'autre .

Ainsi le système clôture-t-il puissamment la créativité idéologique, afin de fermer l'espace des possibles et garantir sa domination et sa perpétuation . Reconquérir l'espace des possibles commence par reconquérir la puissance de penser une matrice générale incompatible avec l'idéologie racine . Et les dissidents doivent aussi rechercher des organisations différentes du principe bureaucratique .

3 commentaires:

Ludovic a dit…

Je suis vraiment très admiratif du travail fourni! Et je vous suis pour le moment, en attendant les autres principes, en tous points sur les objectifs et les techniques du Système, sur le bilan des diverses dissidences, sur la nécessité d'"en être sans en être" pour sortir du piège...

yelrah a dit…

Chapeau ! je découvre par hasard, je reviendrai plus longuement .
Connaissez vous ce site ?
A fouiller lui aussi ...
http://www.dedefensa.org/

lancelot a dit…

Super, merci!!!