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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 7 octobre 2020

Plutôt mourir .

(Von Stuck)
La philosophie est à la fois l'objet d'une guerre de domination, pour en définir le contenu, et donc le marché – le marché de toutes les envies de mener une vie en largeur, hauteur et profondeur – et le lieu d'un bavardage, le lieu de l'oubli d'une essence . Car l'objet de la philosophie, originairement, est sophia, la sagesse, le logos héraclitéen, la gnose pythagoricienne . Le désir de gnose est la philosophie, dit Platon . Ce qui m'importe, ici, est de poser la distinction de deux axes de développement du projet de l'amour de la sagesse . Le premier est de l'ordre du Manuel d'Epictète : il s'agit d'un manuel pratique de vie humaine, dont le modèle le plus puissant est le Hagakure . Le deuxième est de l'ordre du développement d'un savoir systématique, comme chez Aristote . Il est est vrai que ces deux axes sont organiquement liés . Car c'est selon la nature du monde qu'il faut vivre . Mais une philosophie sans vie est mort . La sagesse doit mordre sur l'existence concrète – car ton amour est un feu dévorant . Je dis doit, c'est à dire qu'elle doit non seulement être, mais exister dans le monde . La sagesse doit être puissance pour n'être pas fantasmagorie ; feu pour n'être pas fumée . La science est puissance et jouissance – tel est de devenir comme un dieu, connaissant l'arbre de la science du bien et du mal . Puissance de fonder, et jouissance du savoir qui s'exprime pleinement dans l'érotique, dans le regard posé sur les splendeurs de la chair, sur les secrets du sexe . Le séducteur qui regarde une femme follement désirée nue à ses côtés, abandonnée, endormie, sait ce qu'est la puissance et la jouissance . Mais cette jouissance et cette puissance, et cette jouissance de la puissance, ne sont pas celles d'un oiseau de proie . Le tueur qui détruit ne trouve pas la félicité, mais une soif éternelle de destruction et d'humiliation qui sont la haine de sa propre destruction et de sa propre humiliation . L'homme cruel est un homme détruit, ou même minable . La jouissance du sage est l'image de Dieu, de l'être conscience félicité, image indéfinie du dieu inséré dans les cercles du temps . Il est possible que Casanova soit un plus puissant philosophe du savoir et de la liberté que Kant, en proclamant l’homme ne peut jouir de ce qu’il sait qu’autant qu’il peut le communiquer à quelqu’un . Le savoir qui vaut est jouissance commune du savoir . Et Saint Simon un philosophe politique bien plus exact que Rousseau . A quel point la vérité de la torsion des sentiments occultes des politiques, leur désir si intense de la mort de leurs adversaires et le froideur et l’impassibilité du désir qui ne peut s'avouer – car l'aveu du désir politique est une faiblesse - est supérieure aux contes puérils du Contrat Social . Imagine-t-on Kant s'évader de prison par les toits vertigineux de Venise, comme Casanova s'évadant de la prison des Plombs de Venise ? Et quel plus grande preuve du haut désir de liberté, que de l'affronter à la mort ? La sagesse qui n'éprouve pas la rage du désir, comment peut-elle s'assurer de sa puissance et de sa profondeur? Celui qui confronte sa terreur organique à son désir éprouve la violence viscérale de son désir . Celui qui offre son corps dans le combat, celle qui offre son corps à un homme aimé qui est aussi un fauve brûlant de consommer sa chair et son désir, mesure en lui-même la réalité de son désir, et par cette réalité produit l'intensité de sa vie, à la mesure de la peur et des défenses surmontées par le déchainement de la puissance . La puissance est par nature ambivalence, destruction et terreur, création et intensification ascendante comme le panache du nuage d'orage . Sans exposer son corps – le serment féodal le disait, qui parlait d'exposer son corps pour son Seigneur – il n'est pas possible de s'assurer de ses liens . Je sais que j'ai confiance dans mes mains en escaladant sans m'encorder, je sais que je devrais sortir mes tripes pour passer là où je ne passerais pas encordé, parce que je m’aiderais . Je sais que j'ai confiance en ma vue, en mes réflexes, que je m'oblige à une concentration extrême et à un souffle court, quand je roule à la limite de la glissade, la nuit, sur une route de montagne battue par la pluie . Et que j'entends, comme en rêve prémonitoire, une sirène lancinante . Non, je ne mourrais pas aujourd’hui . Ou encore quand je porte au maximum la charge de fonte sur un geste dont l'échec serait l'explosion des articulations, des os de mon corps . La volonté, la rage se concentrent en un point unique, en une explosion secrète . La différence entre l'homme noble et le fol est que le premier sait frôler les limites, frôler la mort, sans toute fois se briser . Car il s'agit de chercher aux frontières de la mort le souffle d'une vie plus puissante . La puissance de liberté, cet invisible qui rend les hommes indomptables par la terreur la plus extrême – ne peut s'expliquer que par une pensée intime, formulée ou informulée, qui est : plutôt mourir . Et la certitude de se tenir dans cette décision est le fondement de l'héroïsme humain . Il ne suffit pas de faire des théories éthiques, mais de se tenir dans la vérité . Il ne s'agit pas de connaître la loi, mais de savoir si je me pencherais vers l'étranger blessé, si je pourrais fermer le cercle de mes bras sur mon ennemi au jour de sa mort . Il ne s'agit pas d'une pensée ou d'une volonté au sens classique . Si je tombe dans une rivière en crue qui me balaye comme un corps mort, je combattrais jusqu'à l'extrême de mes forces pour respirer et regagner la rive, par une puissance qui me traverse et dépasse la volonté, comme celui qui court jusqu'à l'agonie devant un fauve, ou un homme qui veut le tuer . Oui, j'ai couru jusqu'à m'en écorcher la gorge, et à l'épuisement je me suis retourné pour me battre par la force du désespoir, au delà de toute réflexion, avec l'intense volonté de tuer et de déchirer, moi le pacifique . Plutôt mourir, c'est ce qui traverse l'homme qui sait qu'il perdrait toute dignité humaine en refusant un affrontement à des forces qui menacent sa vie, et cela dépend profondément de sa culture, de sa philosophie inscrite en lui comme la saveur de son sang ou le soleil de son désir, qui l'entraine bien au delà de la raison et de son ego . Tristan dit plutôt mourir que de perdre Iseult ; le Spartiate plutôt mourir que de reculer ; le vassal ou le résistant soumis à la torture jusqu'à la mort plutôt mourir que de trahir . Sentir une telle puissance en soi, je crois que c'est une des plus hautes dignités de l'homme . L'homme a cette puissance redoutable de brûler ses vaisseaux . Et toute grandeur de la pensée est la recherche de la dureté d'affirmer jusqu'au bout la grandeur infime de la dignité . Je le retrouve dans la mort de Socrate, la mort du Christ ou l'austérité du Manuel, dans l’âpreté du Hagakure . La mort est l'essence du Bushido , l'essence de la Voie. La puissance de la liberté est la puissance même de la dissidence . Plutôt mourir ! Tout le poids de ce monde réuni sur un point ne peut l'écraser, ni même l'atteindre . Viva la muerte !

L'incarcération du monde et la lutte pour la liberté .

Je ne suis pas un critique littéraire . Si les lectures m'intéressent, c'est en temps qu'expliquant des structures de l'existence humaine, existence qui est comme une voile tendue de contraires . Pour pleinement saisir cela, il est sans doute préférable de lire les œuvres citées, avant ou après . Par ailleurs, une pensée n'est pas pour tous . L'Afrique du Nord se révolte . Très probablement, les faits sont en cours, tout va changer pour que rien ne change – l'oligarchie va légèrement se déplacer, sans plus . Comme en France en 1830 ou en 1848, de nouveaux régimes vont se mettre en place qui vont « moderniser » la façade politique des pays . Les puissances du négatif, dans ces pays, ne peuvent guère aller au delà . L'impérialisme intensif et extensif du Système ne peut se jouer seulement sur ces périphéries . Mais les élites spirituelles, étudiantes ou non, de ces pays, peuvent commencer à prendre conscience d'elles-même et de leur guerre essentielle . Le centre de la guerre peut lui, être périphérique – la TAZ n'a pas de lieu . Le centre de la guerre en cours n'est pas – malheureusement - les manifestations des périphéries . La lutte contre de vieilles oligarchies corrompues adossées à des dictatures policières relève de l'évidence, et donc de la normalité dans le Système . L'immense espoir des hommes est assimilable, et l'impact des révoltes amorti, exténué . Si - par contre - un peuple se soulevait pour chasser du pouvoir une oligarchie locale labellisée par « le monde libre », si le même phénomène avait lieu en Grèce ou en Irlande, le sens de tels évènements serait nettement révolutionnaire . Mais nous ne sommes pas encore dans une telle situation . Si ce diagnostic pessimiste à court terme était avéré, si l'assimilation des révoltes populaires devait se confirmer, l'involution des élites révolutionnaires doit les conduire non au désespoir, mais au travail de pensée . Un tel travail doit être rigoureux, mais n'est pas austère par nature – sinon parce que les produits de l'industrie culturelle habituent à la plus fade facilité, et qu'il fait rééduquer le goût à des nourritures plus fortes, plus épicées, plus capiteuses . Les élites spirituelles peuvent découvrir et redécouvrir leur tradition et leur patrie, qui ne sont pas dans les civilisations mortes, mais qui est le pays de l'aube des mondes . Les mondes humains sont en ruines ; le monde doit être renouvelé pour redevenir une patrie, un lieu où vivre pour les êtres humains . Le centre de la guerre n'est pas géographique mais spirituel . Ce qui s'inaugure à nouveau, c'est une guerre de civilisation, une guerre civile mondiale . L'Univers moderne, de plus en plus, apparaît sous son visage d'incarcération des mondes humains . Les prisons ne sont plus les camps des totalitarismes passés, mais les multitudes de bracelets électroniques, dont les moindres ne sont pas les virus cérébraux de l'idéologie racine, ces spires conceptuelles et matrices verbales qui rendent invisibles les réseaux de soie qui lentement, recouvrent le monde et l'étouffent . Face à l'étouffement du monde, les hommes prisonniers des idéologies modernes en viennent à se sentir criminels, c'est l'effet de l'hypersocialisation, de la culpabilisation par l'idéologie, où par réaction à admirer les criminels . Ce admiration est massive depuis plus d'un siècle et caractérise le présent cycle . C'est le sujet de deux courts textes du XIXème siècle : le bonheur dans le crime de Barbey d'Aurevilly, auteur de tradition catholique ; et de Marx, bénéfices secondaires du crime . A quelque chose près les hommes sont contemporains, du XIXème siècle, et placés dans des cases ennemies . Les oligarchies bousculées par les révoltes de l'Orient sont les parties visibles d'immenses icebergs formés, sédimentés depuis des dizaines de lunes, par le rire de glace du Système . Le visible est un brouillard, une illusion, non pas rien, mais pourtant égarement . Le recul du temps permet de retrouver le fil d'Ariane du déroulement du temps . Le monde du spectacle est le monde de la propagande omniprésente . Les murs de nos prisons sont fait des grands mots et des images séduisantes, des images sexuelles, des sirènes de l'Ancien monde . Les murs de nos prisons sont beaux, excitants, maîtres des illusions . Les illusions politiques sont aussi des illusions . L'Ancien monde est le nôtre, vu dans une perspective de puissance, de délivrance et de renouvellement : de révolution . Il est le nôtre par la négativité qui le creuse, les gouffres percutants que voilent le chaos des images . La vérité du monde moderne n'est pas la liberté qui s'affirme dans le Spectacle . Ni en Afrique du Nord, ni dans l'ancien monde libre, ni dans les ex-pays communistes . Le monde moderne est l'héritier du monde bourgeois critiqué par Marx, il est le monde de la maximisation de la production, de la croissance économique ; il est le monde du Capital, ou plutôt du Système dont le capital, et aussi le Spectacle, sont une fonction vitale et une métonymie . La liberté dont il se pare est la liberté du Capital d'écraser les hommes dans le salariat, comme des agrumes dont il faut retirer le jus, et de monter des pyramides de richesses pour les livrer à l'adoration du peuple . Le Système moderne n'a libéré personne de l'antique esclavage du besoin, et n'a eu de cesse de le redoubler, de supprimer les temps et les espaces sans contraintes, les pays de transhumances, les mers du Sud, les carnavals, les fêtes orgiaques de régénération du monde, les hommes libres, en redoublant toujours davantage les besoins, en instrumentalisant les désirs pour dominer et aliéner . C'est le propre travail de l'homme, sa propre activité, qui en se sédimentant secrète les prisons indéfinies, molles, où il s'englue, s'envase, insensiblement, sans même se rendre compte de la rigor mortis qui se propage d'abord à son esprit et à son âme . Dans le Système comme dans les camps, les prisonniers construisent leurs prisons . Mais dans la version libérale du Système, c'est le jeu de la « liberté individuelle » et du « marché libre et non faussé » qui construit indéfiniment les cases et les toiles d'araignées qui s'accumulent dans tous les mondes, pour former une prison à l'échelle mondiale, sans extérieur géographique . Les hommes sont des boîtes, des cercueils qui se déplacent . La liberté est l'objectif officiel indéfiniment reporté dans l'avenir du troisième totalitarisme, sur un schématisme analogue au modèle soviétique . Les peuples qui se révoltent doivent cesser de croire au promesses de liberté, l'exiger immédiatement – pas de confiture hier, confiture demain, mais confiture aujourd'hui . La liberté n'est pas, si elle n'est pas immédiate . La liberté médiatisée par le Spectacle est la fausse liberté des modernes : la liberté effective du spectacle, et le spectacle de la liberté de l'homme . Cette liberté est à la liberté ce que la pornographie est au sexe – structurellement analogue, et également misérable . Le report temporel est toujours indéfini, mortel pour la puissance qui se déploie – cette puissance ne peut être reportée . Toute l'histoire des conflits politiques l'atteste : ceux qui veulent le plus vite négocier et promettre sont des membres de l'oligarchie . L'oligarchie est l'ensemble des hommes au service du Système, et elle doit tomber avec la chute de Babylone . Comme se précipitent pour négocier les hommes des syndicats, les représentants de la technocratie mondiale, les prix Nobel ! Mais négocier quoi ? Avec qui ? Et quel Saint Simon sardonique pourrait dépeindre ces chefs d'État, ces ministres de pays du Sud choyés par les puissants des pays riches, qui deviennent d'un seul coup, en perdant leur pouvoir dans leurs États, des corrompus, des tortionnaires, des criminels, ce que personne, oui personne ne savait...les mandats d'Interpol...la moralité soudaine des personnels politiques et humanitaires, quelle corruption, quelle amoralité ne manifeste-t-elle pas massivement chez les dirigeants européens et américains, quelle hypocrisie, quelle moraline ! Qui peut douter que les même fermeront les yeux sur la remise en ordre brutale, mais discrète, des nouveaux régimes ? Le nouveau monde bourgeois est analogue à l'ancien ordre victorien, moral et répugnant . La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes . Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. Les manifestations, les grèves, ne peuvent plus suffire aux nouvelles formes d'oppression . Parce que le monde nouveau ne peut se dire dans les mots du système, dans sa liberté, dans sa fraternité de spectacle, dans sa tolérance de pacotille . Le Système réduit l'ensemble des hommes à des fonctionnalités, des outils, des instruments animés au service de la production et/ou de la consommation . L'outil animé, c'est la définition antique de l'esclave . Des grands humanistes veulent libérer les animaux, sans voir que les ouvriers du tiers monde sont moins que cela . L'Aigle est plus que l'outil animé, que l'animal de trait, que l'homme moderne . L'activité humaine libre produit les murs qui l'enferme, si la destruction n'est pas vantée . Les hommes des anciens mondes savaient qu'il ne fallait pas travailler au delà du nécessaire – c'est la sagesse de l'Ecclésiaste . Vive la mort . Une société de croissance et de travail à la moraline, c'est la voie directe vers l'enferment de toute liberté . La destruction est légitime . La rage est légitime . La négativité est la seule source de toute création . L'homme n'est homme que par la création . La création est la négation de ce qui est . L'homme le plus puissant est une puissance de négativité . Une société où l'on crée moralement, avec respect, où l'on crée pour s'indigner, est une société qui ne respecte pas l'essence de l'homme, une société de mouches qui secrètent leur toiles d'araignées . Le Diable est, analogue à Adam, le premier créateur de mondes à partir de l'indistinction de l'Éden . Plus exactement, c'est la Lumière, la séparation, qui fait exister la Ténèbre, donc la liberté . Les diaboliques fascinent dans un monde d'enfermement moral sans précédent . Comme l'écrit aussi Hakim Bey dans Zone interdite : les principales sources d'énergie créative du Spectacle sont toutes en prison . Si vous n'êtes pas une famille nucléaire, si vous n'êtes pas en voyage organisé (…) Babylone se fait haine devant quiconque prend réellement plaisir à la vie (…) vous devez, par définition, être en train d'enfreindre une loi . C'est pour cette raison qu'il est un bonheur dans le crime . Barbey d'Aurevilly fut, comme tout vrai poète, du parti du Diable sans le savoir . Marx sait voir le Crime, mais il le pense comme utilité bourgeoise : Le criminel produit une impression tantôt morale, tantôt tragique, et rend un « service » en piquant au vif les sentiments moraux et esthétiques du publie. Il ne produit pas seulement les livres de droit criminel, la loi criminelle elle-même, et ainsi les législateurs, mais aussi l'art, la littérature, les romans et les drames tragiques dont le thème est la criminalité, tel que Œdipe et Richard III, ou Le Voleur de Schiller, etc. Le criminel interrompt la monotonie et la sécurité de la vie bourgeoise. Il la protège ainsi contre la stagnation et fait émerger cette tension à fleur de peau, cette mobilité de l'esprit sans lesquelles le stimulus de la compétition elle-même serait fort mince. Il donne ainsi une nouvelle impulsion aux forces productrices. Le crime peut légitimement être pensé comme la cause et la justification des organes de répression, qui ont besoin du criminel – et de même que l'on peut poser que l'Inquisition a crée les sorcières pour exister plus intensément, il est possible de poser que l'ordre susciterait des criminels s'il ne s'en trouvait pas des tout faits, pour justifier son existence . Il fait cependant reconnaître que l'abolition de toute répression ne produit pas le retour à l'Éden, mais le règne anarchique des puissants, la guerre civile – ce qui suffit à contester l'anarchisme naïf . A Pitcairn, les naufragés du Bounty s'entretuèrent presque jusqu'au dernier ; et les zones sans ordre du monde ne sont pas des Woodstock, mais des zones grises du crime organisé . Assurément l'ordre juste doit être collectivement construit . Le « crime » n'en est pas moins libérateur quand l'étouffement autorise la résistance à l'oppression . Dans la nouvelle le bonheur dans le crime, Barbey évoque la passion d'amour entre Hauteclaire Stassin, fille d'un vieux maître d'armes sans fortune, redoutable escrimeuse, modèle d'homme libre et puissant, avec cette sauvagerie essentielle qui la fait sublime, sexuelle, à la fois glaciale et brûlante – qui la fait défier du regard une panthère, et lui fait baisser les yeux, dans la présentation du personnage - et le comte de Savigny, notable local, dans V..., une petite ville bornée de la Normandie rurale . La passion entre Hauteclaire et le comte, qui a fait un mariage traditionnel naît à petit feu, discrètement, évanescente ; et quand Hauteclaire disparaît de la ville, Barbey a ces phrases d'une véracité cruelle digne du Manifeste de Marx : « comme les autres jeunes filles de la ville – internées dans cette case d'échiquier d'une ville de province comme les chevaux dans l'entrepont d'un bâtiment . » Il convient de penser aux implications de ce propos . L'internement est le sorte d'enfermement que l'on fait alors au fous ; mais surtout l'image des chevaux dans l'entrepont d'un navire évoque irrésistiblement le sort des esclaves noirs – des espaces étroits, sans lumière, des entraves, un enfermement, une détresse sans limites . C'est alors la forme la plus absurde et la plus cruelle de l'esclavage, car l'homme matière première de l'industrie, l'usine d'extermination, n'avait pas encore été inventée par le déroulement implacable du progrès . Disons le : les jeunes femmes stupides sont des esclaves, des bêtes, bêtifiées par leur éducation aveuglante, soit paysannes et soumises, soit nobles et non moins aveugles : « C'était (la femme du comte de Savigny) une vraie femme de V...qui ne savait rien de rien que ceci : c'est qu'elle était noble, et qu'en dehors de la noblesse, le monde n'était pas digne d'un regard...le sentiment de leur noblesse est la seule passion des femmes de V... (...) » Barbey ne peut dissimuler ceci, qu'il insinue au milieu de commentaires moralisateurs : les femmes de V...sont des chevaux internés, et éduquées à l'aveuglement et à la soumission à un ordre mesquin et mortellement ennuyeux . La femme du comte de Savigny est une figure de l'aliénation, comme est une figure de l'aliénation moderne la jeune fille de Tiqqun . Comme la jeune fille de Tiqqun, elle se voit grande, noble et libre dans son miroir, sans aucune voie d'accès à la conscience de son emprisonnement . La jeune fille rangée dans ses cases peinturlurées, enivrée de musique bling bling, dans l'entrepont des centres commerciaux et des travaux de services : Telle fut l'évolution récente du monde, son intégration intensive et extensive renouvelée : Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. En clair, la révolte de la sublime Hauteclaire Stassin, qui ne fut ni diminuée ni aveuglée par cette éducation mortifère, mais qui est un félin sauvage, est parfaitement légitime . Il est aisé, en parcourant cette nouvelle, de montrer que Barbey est du parti du Diable, que le meurtre de la femme du comte de V..., qui permet le mariage scandaleux du Comte et de Hauteclaire, l'alliance de deux êtres humains parfaitement nobles, puissants, beaux et sains, est presque fatale . Et l'époque ne s'y trompa pas, qui commença par interdire le livre . Le XIXème siècle, le siècle de Darwin, est cynique et machiavélien . Tel est aussi le fond du récit de Barbey . (…) la pureté de ce bonheur, souillé par un crime dont j'étais sûr, je ne l'ai pas vue, je ne dirais pas ternie, mais assombrie une seule minute ni un seul jour . (…) c'est à terrasser, n'est-il pas vrai ? Tous les moralistes de la terre, qui ont inventé le bel axiome du vice puni et de la vertu récompensée ! On pense à Sade et à Justine, mais voyez Stirner : Dès l'instant où il ouvre les yeux à la lumière, l'homme cherche à se dégager et à se conquérir au milieu du chaos où il roule confondu avec le reste du monde. Mais tout ce que touche l'enfant se rebelle contre ses tentatives et affirme son indépen­dan­ce. Chacun faisant de soi le centre et se heurtant de toutes parts à la même prétention chez tous les autres, le conflit, la lutte pour l'autonomie et la suprématie est inévitable. Vaincre ou être vaincu — pas d'autre alternative. Le vainqueur sera le maître, le vain­cu sera l’esclave: l'un jouira de la souveraineté et des « droits du seigneur », l'autre remplira, plein de respect et de crainte, ses « devoirs de sujet ». Notre navire, notre prison, notre Titanic qui fonce aveuglément sur une eau glaciale, dans la brume, pour gagner on ne sait quelle terre d'opportunités, la terre promise du spectacle, sinistre inversion de la Terre où coulent le lait et le miel, le pays des quatre fleuves . Le Dream a Dream land du Système, qui ne cesse de se dérober dans l'avenir, comme un mirage qui nous entraînerait vers les naufrages, vers le Kraken de la fin du Cycle, non vers les monstres qui gardent les extrémités de l'océan . Nous y sommes comme des chevaux dans l'entrepont, mais nous pouvons encore penser, nous pouvons encore choisir d'être Hauteclaire Stassin, c'est à dire celle qui porte l'épée . Barbey, par la gloire de Hauteclaire et de Savigny, et pour leur crime violent, est dans une sympathie pour l'épée qui est celle du Marx du Manifeste à l'échelle de la société : En somme, les communistes appuient en tous pays tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre social et politique existant. Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement. Enfin, les communistes travaillent à l'union et à l'entente des partis démocratiques de tous les pays. Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Bien sûr, le choix de la révolte contre le destin de machine animée qui est le leur, et le nôtre – Marx, Barbey, Hauteclaire, le comte, nous – est aussi l'affrontement de la morale collective, de l'isolement : abandonnés et solitaires comme ils l'étaient...note Barbey . Le choix de la révolte est le combat contre la fatalité sociale qui interdit même leur lien d'amour, fatalité sociale qui est négation morbide de leur vie essentielle . Comme cela a été démontré, nul autre amour n'est pareil à l'extase de l'instant où un souffle adhère à un souffle dans un baiser (...) la bouche est puit du souffle, porte de l'esprit et des trois mondes. (...) les souffles deviennent Un - un seul amour. Qu'il me baise des baisers de sa bouche, que son souffle puisse être uni au mien et ne se sépare jamais de lui - Zohar, repris par Pic de la Mirandole . Le choix de la révolte est le choix de la respiration des mondes, du souffle qui porte Hauteclaire Stassin, et le Comte de Savigny, d'une révolte par tous les moyens, par delà le Bien et le Mal, y compris par violence et par ruse, et par masques . Une liberté si grande et si sauvage a attiré la haine du bétail . Mais qu'importe le bétail ! Tous ceux qui se sont résignés haïssent la splendeur héroïque du désir de Hauteclaire et du Comte, leur combativité ivre et rieuse, la volupté éclatante de leurs embrassements, leur mépris de la respectabilité des morts vivants– . Déjà Iseult, splendeur féline et délicieuse dans un monde de fer, fut livrée aux lépreux – mais ceux-ci la respectèrent mieux que les piliers de l'ordre pourri du royaume...déjà Tristan combattit par l'épée . Et nôtre âge est âge de haine, de colère et d'hostilité . Car la fin de l'ivresse de la croissance est la gueule de bois du rationalisme progressiste, sa transformation en haine hystérique, malveillante, en accumulation de contraintes légales, en âge de la boue . Le règne de la moraline, de l'indignation, quand Hakim Bey sait défendre le plaisir sauvage de la chasse . William Blake dit justement : l'Aigle ne perdit jamais autant de temps que quand il se résigna à écouter le corbeau . Car la splendeur de leur visage ne dit ni ne cèle, mais fait signe . « Cet air surhumain de la fierté dans l'amour heureux, qu'elle a du donner à Serlon (le comte), qui d'abord, lui, ne l'avait pas, elle continue, après vingt ans, de l'avoir encore, et je ne l'ai vu ni diminuer, ni se voiler un instant sur la face de ces deux Privilégiés de la vie . C'est par cet air là qu'ils ont toujours répondu victorieusement à tout, à l'abandon, aux mauvais propos, au mépris de l'opinion indignée (…) on leur tourna le dos . On les laissa se repaître d'eux tant qu'ils voulurent...seulement, ils ne s'en sont jamais repus, à ce qu'il paraît ; encore toute à l'heure, leur faim d'eux même n'est pas encore assouvie . » William Blake note : le visage qui ne donne pas de lumière ne deviendra pas étoile . Tel est le bonheur dans le crime . La jouissance dans le combat désespéré entre les mâchoires de la mort, quand le monde vous fait étouffer comme un poisson au fond d'une barque . Dans un ordre pétrifié, toute création, toute aspiration sauvage, toute grande passion imprévisible est finalement – un crime . La révolution est un crime, dans la perspective de l'ordre . Sortir des cales du grand navire ivre, de notre monde, ne peut être que le résultat d'un immense effort de pensée, de ressaisissement du destin de l'homme par l'homme, après des siècles de règne de la bourgeoisie et de l'idéologie racine, dans leurs formes indéfinies, à la variété largement illusoire . Ce monde est dans une impasse mortifère . Tout homme de désir et de pensée le sait obscurément, et ce aussi bien dans l'héritage de Joseph de Maistre et du dandysme – une révolte contre le monde moderne - chez Barbey d'Aurevilly, dans la tradition gnostique chez Blake ou Guénon, avec leur défiance envers l'Ancien des jours qui compte et mesure, chez Marx lui-même, ou chez le post-hippy sardonique Hakim Bey, si peu rigoureux . L'épée de la révolte de la vie et du souffle de l'être humain contre la cristallisation mortifère d'un ordre faux et menteur doit être forgée, tissée de ces forces éparses . Ce travail souterrain, charbonneux, ce travail dans l'obscur de l'obscurité, est une étrange et dangereuse alchimie . Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvais dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue . Mais voilà, il naît une pensée qui à nouveau, est l'ombre de la perspective de l'ordre . Nous sommes passés dans cette ombre, c'est fait -c'est la Zone interdite la plus réelle, un état d'âme, la dialectique, non une région du monde . Cet ordre de fer que nous condamnons, cet ordre est le crime . Et tout homme véritable est complice de crime . La race des innocents est éteinte . Nous avons au mieux les délices de l'Âge de fer, dans le crime, le bonheur dans le crime, et l'attente de l'Aube . Cette attente est un crime pour le Système ; mais dans la perspective de l'attente, elle est la respiration même . Sphinx... Vive la mort !

Point sec sur "la question israélienne" dans l'Internationale .

(Valse avec Bachir)


Une question hante les interrogations sur le monde moderne, revient en boucle, par multiples itérations, dans tous les discours ; cette question cyclique obsessionnelle a fait à l'ensemble des mouvements révolutionnaires autant de mal que l'ensemble des think tanks libéraux . L'internationale se doit de prendre position sur ce sujet, pour ne pas s'épuiser à y revenir .

L'origine de l'existence de l'État d'Israël est la réalité massive de l'incapacité des hommes et des gouvernements européens à protéger la liberté et la vie de leurs concitoyens de religion israélites, telle qu'elle s'est manifestée avec une atrocité sans nom pendant la deuxième guerre mondiale . Les discussions polémiques, à enjeux politiques, sont à la fois obscènes et ridicules : le fait de la Solution finale est suffisant pour l'attester . La perte des communautés juives européennes a été une perte, une grande perte pour l'Europe, et la fin de l'Europe culturelle d'avant 1933 – mais on ne revient pas sur le passé .

Qu'un être humain normal ne puisse pas faire confiance aux autorités de son pays pour garantir sa vie, cela appelle pour lui deux solutions : soit s'assurer du pouvoir sur place, ce qui n'est pas toujours possible, quoiqu'on en dise, à une minorité (voir le cas des Tutsis au Rwanda), soit s'exiler et se protéger soit-même dans un État qui vous appartienne . Demander à des hommes ayant connu la guerre de faire confiance aux puissances européennes pour les protéger n'est pas sérieux ; et quand cette demande est formulée par des « antisionistes »hargneux, elle relève des fables de la Fontaine, d'un loup demandant à l'agneau de lui faire confiance .

Le projet d'un État national juif existait déjà avec le sionisme . Le sionisme, en soi, est un aspect de l'idéologie nationaliste européenne, et le projet sioniste a été aussi soutenu d'ailleurs par des antisémites . Une internationale comme l'ISI montre assez, par son existence même, ce qu'a de venimeux le nationalisme comme idéologie exclusive, comme puissance de destruction de la culture et aussi de la puissance européenne ; il faudra y revenir . Cette idéologie sioniste est sœur de l'idéologie européenne .

L'État d'Israël est un produit de l'histoire européenne, un produit des faiblesses, des échecs et des crimes de l'Europe . Quelque part, tout européen est touché par cet État, concerné par cet État. Je ne pose pas là des responsabilités, pas plus que je ne crois tous les européens responsables de la Traite des noirs ; je porte un jugement sur l'histoire . L'Europe aurait pu être une puissance d'intégration et d'harmonie, comme l'Empire d'Alexandre ; mais voilà, ce n'a pas été le cas .

D'un point de vue humain, l'attachement à l'histoire et à la sécurité d'Israël de la part de ses citoyens sont parfaitement compréhensibles ; tout autre perspective est une perspective de guerre, car de refus de comprendre l'autre . Par simple expérience de pensée, je sais que juif, je serais évidemment hypersensible à l'existence et à la sécurité d'Israël . Étant un être humain, je me refuse à souhaiter la destruction d'êtres humains, ou a envisager leur existence comme un problème en soi . Comment un être humain pourrait-il ne serait-ce que discuter avec quelqu'un qui envisage son existence comme un problème ? L'antisionisme doctrinaire est parfaitement fonctionnel au sionisme doctrinaire .

Il n'en demeure pas moins que comme tous les nationalismes, le sionisme a été instrumentalisé par une oligarchie étroite, un tout petit nombre qui accapare l'essentiel des ressources du pays, et ne fixe pas de limites à ses accaparements . Ce tout petit nombre a aussi poussé, grâce au nationalisme, un grand nombre de jeunes israéliens à participer à des guerres, et même à des crimes de guerre, pour lier dans le sang le sort de l'État oligarchique au sort du peuple . Les traumatismes de ces crimes ne sont pas mesurés, mais exprimés par des œuvres de très grande valeur, comme le terrible Valse avec Bachir, sur les massacres de Sabra et Chatila . L'instrumentalisation du projet national au profit d'une oligarchie, l'appauvrissent du peuple, les dirigeants des mouvements sociaux israéliens en sont conscients, en souffrent, et cherchent des solutions avec inventivité et courage . Le cœur véritable des enjeux du Système n'est pas le choc des civilisations, mais l'accaparement oligarchique des ressources matérielles, au profit de la maximisation du profit et de la puissance matérielle – et tout conflit, en tant que favorisant des processus symétriques de course aux armements, et en justifiant la mobilisation à bas prix de la main d'œuvre au nom de la guerre, y est favorable . Le Système nourrit la guerre tant que la guerre nourrit le Système .

Dans ce cadre le résultat de l'« antisionisme », comme celui de toutes les attaques indistinctes contre les habitants de ce pays dit "État d'Israël", est de solidariser, au nom de la sécurité, les habitants pauvres avec l'oligarchie. Les habitants d'Israël ne sont pas plus, ni moins responsables des crimes de leur oligarchie, que les paysans bretons n'étaient responsables de la Traite des noirs . Le peuple d'Israël n'est pas plus responsable que nous des guerres coloniales . Verser le sang du petit peuple est une atrocité . Une atrocité gratuite et stupide ne venge pas d'autres atrocités gratuites et stupides, mais les perpétue . L'oligarchie peut ainsi indéfiniment aggraver les dispositifs de tous ordres qui concourent à garantir son pouvoir et sa domination à visée perpétuelle . En particulier elle peut renforcer sans cesse le contrôle de la population, et aggraver l'exploitation des démunis, leur réduction vers l'état de pure fonction dépersonnalisée . Il existe pourtant en Israël un puissant potentiel de transformation, y compris dans les services secrets et dans l'armée ; et l'internationale situationniste ne considère pas les militants israéliens comme plus criminels de fait que tous ceux qui vivent dans le Système . Nous ne cherchons pas l'innocence, et nous ne la revendiquons pas : de l'innocence, il ne reste plus que le spectacle .

Le conflit Israélo-palestinien a servi aux dirigeants des pays arabes à se faire passer pour révolutionnaires, en menant des projets de puissance qui ne le sont nullement . Les « révolutions arabes », aussi décevantes et instrumentalisées fussent-elles, ont assez montré que l'antisionisme était un thème de propagande des États pour se dispenser de parler des enjeux consistants, qui sont le partage des pouvoirs et des richesses, et la liberté individuelle de vivre, d'atteindre le niveau humain de la vie . Ce conflit est, comme la guerre froide, le masque et le jouet qui permet aux grands enfants immatures asservis par le Spectacle de s'occuper, et de laisser les gens sérieux de l'oligarchie s'occuper du monde réel, c'est à dire quadriller et partager le monde entre eux . Nous voulons libérer le monde de ce quadrillage, et nous ne pouvons jouer avec toutes les causes du Spectacle . Il n'existe aucune obligation de prendre parti pour « Israël » inconditionnellement, ou pour « les Arabes » inconditionnellement, pas plus qu'il n'est obligatoire d'être pour le PSG ou pour l'OM .

Le « conflit israélo-palestinien » illustre aussi un autre aspect de la guerre spectaculaire : c'est celui de l'encouragement à l'usage de la force du faible au fort . Nombre d'émeutes urbaines ont pris dans le monde l'aspect de l'Intifada ; mais en dehors des bénéfices secondaires pour les émeutiers, qui enfin sortent du néant et du marasme et se découvrent vivants et puissants, les émeutes urbaines sont tout à fait catastrophiques en général . Elles servent et justifient le renforcement indéfini du fort, c'est à dire de l'oligarchie . L'oligarchie peut ainsi, à l'abri d'une propagande massive et entendue, construire tranquillement un monde à sa seule mesure . Construire un dispositif juridique de plus en plus arbitraire . Promouvoir l'usage de toutes sortes d'armes de haute technologie non-létales, c'est à dire minimisant les risques contre-spectaculaires de l'usage massif de la force ( voyez le rôle révolutionnaire des massacres contre-révolutionnaires, et l'efficacité du secret dans l'application du plan Condor). Diffuser l'usage de techniques de surveillances mises au point en zones de guerre . Et tellement d'autres modes de gouvernance par le chaos que la liste ne peut être même envisagée . Bref, les émeutes urbaines font des zones de guerre coloniale du monde des laboratoires de la domination sociale de l'oligarchie sur ses bases de départ . Le Système tend à se comporter ainsi comme une armée sur un territoire occupé, ce qu'Arendt avait noté dans les origines du totalitarisme . Les émeutes urbaines accélèrent et développent le potentiel totalitaire du Système : c'est tellement vrai que des unités de la police, dans certains pays, sont spécialisées dans la provocation et l'aggravation des violences lors des manifestations .

S'il est une leçon de Gene Sharp qu'il faut noter, c'est bien celle-ci : un mouvement révolutionnaire ne doit jamais attaquer un État sur ses points forts, dans un domaine où le mouvement révolutionnaire est faible . Attaquer militairement un État, pour des marginaux, est à la fois suicidaire et contre-productif . Nous autres marginaux, fondant notre cause sur rien, nous pouvons nous faire nous même Avant-garde parce que nous sommes infiniment plus puissants dans la créativité, dans l'ordre symbolique, dans la culture, dans le passionnement et l'intensification de la vie, que tous les laquais du Système, qui n'écrivent que parce qu'ils sont payés . Toute la culture catholique du XVIIIème siècle, avec ses prestigieux héritages, n' a tenu face aux Lumières que par les énormes moyens des écoles, des séminaires, des monastères, des pensions, des Universités . Au delà de ces moyens, elle était morte, sans plus de souffle que les feux follets d'un corps mort dans un marécage .

Tout le champ culturel de l'Europe est verrouillé, politiquement verrouillé, par des laquais du Système . Mais ce verrouillage ne tient que par la propriété des moyens de diffusion médiatique, par les programmes des écoles, par la diffusion de la culture de la vénération du Grand Artiste, toujours mort et le scalp étendu comme un drapeau, par le contrôle clientéliste de l'Université, par l'appropriation de la presse promotionnelle, dite « critique » . Les laquais qui organisent des commémorations, quadrillent les œuvres dans des musées, sont des croque-morts, des gardiens de tombeaux, des eunuques gardiens de Harem, qui privent les aventuriers de ce qu'ils sont impuissants à avoir . Les morts préfèrent toujours les morts, car les vivants pourraient les surprendre, être imprévisibles, rejeter l'ignoble arraisonnement des révoltés par la police culturelle . L'invocation rituelle du Grand Artiste ou des Arts Premiers s'accompagnent d'une impuissance masquée à avoir une œuvre, à faire de la vie une œuvre, à passionner l'existence présente . L'art est pour la vie et non pour les tombeaux . La vie, l'Eden, doivent être sans cesse renouvelés ici et maintenant . On ne peut pas demander à un être normal, fonctionnel, à un bureaucrate de la culture ou à un cadre d'accomplir une tâche qui demande de la démesure – et la révolution dans la culture demande de la démesure .

Les laquais du Système monopolisent les médias oligarchiques . Les contenus culturels vivants de ces énormes moyens s'orientent tendanciellement vers le néant . La voix du mannequin, du réalisateur de cinéma, du journaliste, du passant dans les micro-trottoirs, la voix de l'universitaire – cette voix unique du Système est celle de la police, parce que tout autre propos n'est pas repris ; et cela est de plus en plus visible, de même que, privé de toute vie spirituelle, la défense du catholicisme vers la fin du XVIIIème siècle a fini par apparaître comme la seule défense grimaçante d'intérêts matériels . Les moyens matériels, les dispositifs militaires ou de maintien de l'ordre, les espaces d'expérimentation démesurée de ces moyens, les marginaux n'y ont pas accès . Croire y avoir accès, se manifester dans le Spectacle à leur sujet, c'est croire qu'être est être dans le Spectacle, alors même que n'est manifesté dans le Spectacle que le vrai asservi au faux général .

Nous n'avons pas accès à la guerre, à la réalité du « conflit israélo-palestinien », pas plus qu'il n'existe en ce monde d'accès réel à toutes les théories du complot dont la diffusion massive est évidemment liée à la scission que vivent les hommes du monde moderne . Dans le Spectacle, les hommes modernes sont des gagnants, dans les avatars des jeux et des films, dans les spectacles sportifs où ils se projettent, dans les propagandes politiques, dans le show business même . Et dans la réalité, ils sont des esclaves . La théorie du complot comble l'abîme, en proposant une histoire de puissance aussi fantasmatique que leur puissance fantasmée, leur toute puissance immature d'enfants du Spectacle ; ainsi, si eux ne sont pas tous puissants, c'est à cause non du réel mais d'une projection de toute puissance mauvaise . Ce clivage est encore un moyen de se préserver du réel .

L'internationale situationniste s'est ajoutée le mot immédiatiste pour dire ceci : nous avons soif et faim de réalité, et nous prononçons la sortie du Spectacle, la discipline individuelle de désensorcellement du Système . Les situationnistes veulent développer et diffuser les puissances d'accès de l'individu à la réalité immédiate de sa vie, à l'âpre saveur de la vie, qui mêle le sang, le sperme, la cyprine, la merde, la mort et les roses indissolublement . Faire l'amour n'est pas être le spectateur passif de la pornographie . S'entrelacer, combattre les linéaments, la saveur, la rudesse et les parfums du monde réel n'est pas être spectateur, ou fantasmer sa vie, ou se la raconter . Il n'est pas toujours possible de prendre des précautions et de vivre . La vie, c'est faire l'amour et la guerre au monde, jusqu'à en crever .

Nous n'avons pas accès à la guerre matérielle – nous avons accès au champ, au sous-système culturel . Là est le lieu de notre puissance ; le lieu de notre guerre ; et s'il le faut, le lieu de notre défaite . Pourtant, qu'il y ait un lieu du kairos est déjà une victoire – de pouvoir subir une défaite, d'engager le combat, est déjà une victoire . Seule l'éternité pèse . La vérité de la vie – cet insaisissable nous possède . Nous sommes des possédés, de ce qui ne peut nous être enlevé . Toute la puissance du Système ne peut rien contre ce qui est absolument vital et essentiel . Comme l'écrit Tiqqun, le monde s'implique en une réalité, la guerre, et en la diversion de cette réalité .

Le Spectacle ne cesse d'arraisonner le monde de la pensée, et le somme de prendre parti ; mais nous ne sommes pas des parties du Spectacle . Le « conflit israélo-palestinien » n'est pas un conflit pour l'Internationale Situationniste . Ce conflit spectaculaire est un détournement et une cristallisation illusoire des puissances actuelles de transformation du monde . Nous n'avons ni à être sionistes ni à être antisionistes ; et actuellement, penser une fin de l'État d'Israël en tant qu'entité démographique n'est rien d'autre que penser un génocide . Il n' y a aucune grandeur à trouver dans cette direction, pas plus que la déportation des européens d'Algérie en 1962 n'est un sujet de fierté pour sortir de l'organisation étouffante des Nations, de l'appropriation et du cloisonnement du monde, et de la représentation spectaculaire de la Nation par des membres élus de l'oligarchie – tous ces dispositifs symboliques du droit national et international qui sont fonctionnels avec la confiscation du monde au profit du tout petit nombre que produit le Système .

La deuxième Internationale doit être, et non se représenter ; à ce titre, elle doit se concentrer sur les tâches essentielles, destinales, la révolution dans le champ culturel, en lien avec toutes les autres transformations révolutionnaires, dans tous les lieux du monde .

A Paris, à Tokyo, à Berlin, à Varsovie, à Tanger, à Moscou, à New York, à Riyad, à Los Angeles, à Tunis, à Téhéran , à Alep comme à Jérusalem .

Viva la muerte !

dimanche 14 septembre 2014

De l'unité de la réalité et de la pluralité des mondes.




Il n'existe pas plusieurs réalités dans un monde. Il y a une réalité, et une indéfinité de mots vides. Tu peux toujours dire le contraire, c'est le propre des mots. Mais tu comprendras ce que je veux dire le jour où tu seras atteint d'un cancer dévorant, ou acculé contre une falaise par un prédateur à l'intérieur de ton corps. Pourquoi est-ce si difficile de le comprendre ? Ce jour là, que te vaudront la théorie des univers parallèles, ou les grandes phrases "c'est moi qui crée ma propre réalité ?"

Ceux qui parlent de la pluralité des réalités parlent de la pluralité des mots, et oublient une chose essentielle : l'unité de la réalité est, mais ne peut être dite. Les mots ne peuvent par nature dire l'un, mais seulement le divers. Ce que l'on ne peut pas dire est, et est d'une puissance plus grande que le dicible.

C'est pourquoi la puissance est une, et pourquoi les bavardages des hommes échouent à changer la réalité. Agir n'est pas parler ; parler n'est pas agir. Agir, pour un groupe humain, c'est se faire un dans l'action. Pouvoir agir, c'est être organisé et discipliné, pour passer d'un chaos d'actions et de rétroactions à somme nulle vers une puissance unique capable de bousculer la réalité, de la faire sortir de ses répétitions infinies, de porter l'aurore des autres mondes.

Dans cette perspective, l'individualisme libéral est l'organisation scientifique de l'impuissance des hommes au profit du seul ordre restant, l'organisation capitaliste toute puissante. La confusion entre la parole et la réalité, effective dans le langage, est aussi un symptôme d'asservissement, quand on pose que faire une assemblée délibérante, un débat à la télévision, est agir. Agir, c'est se soumettre toujours plus radicalement aux fins de l'action, et non s'agiter. Agir, c'est attendre silencieusement le kairos, comme le léopard attend dans les hautes herbes.

Tu peux méditer avec le monde dans ta main. Mais pour le monde, tu est comme une noix perdue sur les sentes des bêtes sauvages. Toute l'importance que nous donnons à notre peau ! L'envers de notre indignation de la mort et du don est l'ego, et non la justice. 

Le refus de l'organisation au nom de la liberté, typique de l'idéologie et de l'éducation libérale, est un verrou de l'asservissement général des hommes libres. S'affirmer dans le monde est moins agir que de devenir invisible. La visibilité est un nom de la complicité. Je ne veux d'autre visibilité que celle du feu de camp dans la montagne, la nuit - les poussières d'étoiles dans ton regard. Je ne veux d'autre visibilité que la nostalgie de l'absence.

Nous défendons cette peau qui sera dévorée par la mort - alors que nous pouvons la livrer aveuglément au feu.

Le Spectacle de la liberté et l'asservissement au Capital sont une réalité, seule et même.



samedi 30 août 2014

Sur les facettes indéfinies des miroirs.




(Ancienne amérique du Sud)


Si je devais avoir un testament politique, il serait le suivant : la société hypercapitaliste qui plie le monde à la loi de l'argent, la société plurielle de l'idéologie de gauche (l'autre nom du marché du travail mondialisé), la société construite par l'art contemporain, la société des guerres "civiles de démocratisation" dans l'ex-tiers monde (autre nom de l'impérialisme), la société du "plaisir sexuel comme acte politique fort", la société du Spectacle, est une et une seule société : la société capitaliste. 

Dans le Spectacle, ces différentes faces indéfinies d'un miroir à N dimensions sont dissociées par la Morale. Pour les idéologues du Contemporain, il est possible de choisir au Nom du Bien et du Mal : refuser le Capital et adorer la société plurielle qu'il produit et avoir un discours cohérent et produire une action efficace. Ce choix est ILLUSOIRE. Aucune opposition morale efficace n'est JAMAIS apparue depuis DEUX SIÈCLES. Les opposants de gauche doivent se faire mal : le capitalisme doit être accepté ou refusé en bloc - tout les réformistes ont toujours été les meilleurs serviteurs du Capital en le rendant vivable.

Politiquement, la religion est morte, même si elle bouge encore. L'opium du peuple pour le capitalisme post-contemporain, c'est la morale. Elle est au pouvoir, elle montre régulièrement ses axes du Mal à exterminer. Et ça marche pour Bush, paysan texan vulgaire, exactement comme pour nous, européens postmodernes prétentieux  - cette dernière phrase ne sera choquante que pour quelqu'un qui veut encore et encore maintenir des différences morales entre les frères prêcheurs. Pensez y, amis : leur politique intérieure et extérieure est au fond exactement identique dans ses effets - encadrer, moraliser, envahir.


Il est possible de refuser ou d'accepter : le vrai, c'est le tout. Il est illusoire de choisir. Choisir, c'est accepter.

mardi 19 août 2014

Les mâchoires de la mort, ou l'horizon du désespoir comme Amor Fati du souterrain.

    


La révolution n'est pas un débat ou un cocktail mondain. Elle n'est pas une pétition de normalien. 

Rien d'authentiquement révolutionnaire ne peut sortir du centre hardware et software du système moderne, être reconnu et fêté par ces centres. Rien d'authentiquement révolutionnaire ne peut sortir des ministères,  des médias mainstream,  des universités et des grandes écoles sans les quitter, y compris dans ce qui nous fait encore plaisir ou penser, y compris l'essentiel du cinéma ou de l'art moderne.

L'idéologie du genre est un produit des universités américaines,  dont l'inscription annuelle peut valoir des dizaines de milliers de dollars. La French Theory est un produit des universités parisiennes. Aucun jeune noir de telle ou telle ville pourrie des US ne s'y intéresse. Ce sont les intellectuels bourgeois qui les parlent.

"Si un bourgeois dit du bien de toi, demande toi quelle faute tu as commise." Debord.

"La révolution n'est pas une dissertation ou un cocktail mondain : elle est un acte de violence." Mao.

Penser la révolte dissymétrique avec Gandhi n'est pas une école de la faiblesse ou d'indignation grandiloquente et stérile, mais la lucidité de comprendre qu'une véritable révolte ne peut être que très longue, âpre, amère même, comme furent l'effort opiniâtre et méthodique de Diderot ou de Marx.

Il n'est aucune voie facile. Et au fond, nous devons aimer l'âpreté et l'amertume, le couteau du vent de steppe et le rire de glace - par principe, par amour du destin. Car sans amour du destin, le révolté est cet homme qui finit par dire entre ses dents : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.

Le Hagakure répond depuis toujours : "si le choix est entre survivre et mourir, il est préférable de mourir. Cela est de moins en moins compris, mais les choses sont très simples...L'homme noble est celui qui se bat sans espoir ni desespoir comme dans les mâchoires de la mort."

Le dernier espoir des hommes est sans naïveté aucune, ni morale, ni valeur, et porte la couleur de ténèbres. Il est au delà du désespoir,  comme la haute étincelle de l'âme est au delà de Dieu, de l'être - au delà du désert de l'homme, de la nuit obscure, et du nuage d'inconnaissance.


lundi 7 juillet 2014

Mythes et miroirs de la rédemption par l'art.



Disons-le, pour être lucide : il existe une distinction fondamentale entre la création authentique et la consommation bourgeoise de la culture. Cette culture n'a jamais sauvé personne, émancipé personne, sorti personne de la misère morale, malgré ses prétentions à être une religion républicaine avec ses temples, les Maisons de la Culture.

La culture bourgeoise est une forme de divertissement qui mêle plaisir du spectacle et les préoccupations ultimes des dominants : montrer sa puissance et sa fortune dans le décorum et la dépense, avec par exemple les costumes et les loges à l'opéra ou les jouets géants de Koons, et élaborer des stratégies de distinction de soi et de séparation de soi et de la masse par le raffinement - séparation qui prend souvent la forme dans l'art contemporain d'un culte transgressif donc chic de ce que le peuple trouve méprisable ou obscène (sculptures tas d'ordures, provocations sexuelles, monochromes de Withman...)

Ces stratégies bourgeoises deviennent absurdes dans les idéologies de la bourgeoisie "progressiste", celle qui veut garantir à tout homme son bonheur de la possesion matérielle et symbolique de certitudes - le revenu d'existence à titre gratuit et un pauvre catéchisme moral à l'égalité - illusion de possession qui rend si vide l'homme bourgeois bien pensant. Absurdités quand de Candides autistes essaient d'éduquer le peuple aux valeurs raffinées de l'art contemporain, lequel art contemporain est essentiellement une arme de guerre sociale dirigée par la bourgeoisie contre les valeurs du peuple. L'échec complet de ces "politiques d'ouverture culturelle" est patent. À ce titre, le réalisme socialiste des bolcheviques était plus respectueux des valeurs populaires que tous les arts de la gauche culturelle réunie.

Les divertissements populaires ne cherchent pas la distinction, car tout homme du peuple à ce jeu social a perdu depuis l'enfance, mais la vie et la célébration du groupe protecteur du corps et de l'ego, groupe constitué y compris par opposition aux autres groupes, tout comme par l'exercice et le spectacle de la force de ses champions. C'est toute la différence entre le foot ou la boxe et le tennis ou le théâtre contemporain. Je n'en fais pas la transcription politique.

Ce qui a sauvé, émancipé des personnes, c'est de trouver des voies symboliques à l'expansion de la puissance à travers eux, à l'intensité cruelle et blessée de leur besoin de consolation et de leur désir désespéré de reconnaissance, alors même qu'ils étaient écrasés par le talon de fer de la société bourgeoise, la même qui organise le festival d'Avignon et les expositions d'art contemporain.

La misère humaine et l'errance, l'isolement, c'est le point commun de Nietzsche, Rimbaud, de Baudelaire, de Van Gogh comme de Gauguin, et même d'un bourgeois déraciné par l'art comme Oscar Wilde - un Gauguin offert pour un hébergement a longtemps bouché le trou d'un poulailler - la misère et l'errance aussi de Martin Eden dit Jack London et sa recherche du paradis terrestre dans un monde crépusculaire.

Ce sont de tels hommes qui ont pu être sauvés ou émancipés par l'art, c'est à dire par l'affirmation tragique de leur désir d'Eden dans un monde complétement égaré, et fermé à tout haut désir, avilissant ou condamnant leurs visions - réduction des fleurs du mal à des choses sales, sexuelles, méprisables - infamie et procès pour pornographie, voyez Baudelaire, Wilde, la réputation faite à Nietzsche d'être mort de démence syphilitique attrapée dans les bordels. 

Abaisser, salir, réduire, c'est tout le travail de la digestion culturelle des petits esprits et des biens pensants. Baudelaire a pris de la boue et en a fait de l'or, comme Dieu faisant Ève de l'humus ; mais la digestion culturelle de la société bourgeoise prend les plus grandes oeuvres et produit des déchets, réduits à sa vision bornée, comme cette thèse qui fait de Maldoror et de ses ricanements infernaux une pochade d'écolier. Et Blake ? Une farce ?

La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, et nombreux sont les aveugles qui croient voir.

Ce monde corrompu qui enténèbre les artistes n'est autre le vieux monde bourgeois - le monde qui sécrète justement ses divertissements de haute distinction que sont l'industrie du luxe et l'art contemporain. Nous autres n'avons ni reconnaissance ni solidarité d'aucune sorte avec les artistes qui se sont mis au service de la domination du Capital. Ils peuvent être des amis, comme on aime des puissances déchues ou avilies. Mais leur fortune et leur gloire sont fortune et gloire de service aux rois du monde, et tomberont en poussière avec la fortune et la gloire des maîtres. 

La part de la beauté reste à l'artiste devenu par force Hamlet - témoin délirant d'un crime - et Lear, individu délirant dans le désert auprès du souvenir du Royaume. Ce délire est le symptôme du monde moderne.

Vive la mort !