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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

samedi 24 décembre 2011

Appel de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste .

(Araki)


De la neutralisation des liens dans le Système .

Face à la puissance du Système, les dissidents que nous sommes, amis – indignés, errants, révoltés, révolutionnaires en quête de cause, jeunes filles romantiques aux bords des rivières, ou artistes cyniques – ne sommes rien, résolument rien .

Pour garder cette lucidité du néant, il ne faut pas s'imaginer qu'il y ait de sentiment humain dans un système social . Un système social est analogue à un être vivant, il apprend, mémorise, opère des sélections, analogue donc à l'homme, certes . Mais un système donné ne porte son empathie que vers des sujets presque identiques . L'insecte est un être vivant, et la masse des hommes l'écrase avec indifférence – et il en est de même pour l'individu isolé dans le Système, dissident ou pas . Il n'est ni dessein général, ni vision, ni ouïe unique, ni passion, haine, ou méchanceté poussée dans le Système, comme l'imaginent les conspirationnistes . Cette vision est au fond une projection, la projection du sang chaud, et de la passion, sur l'écran indifférent du Système séculaire né du Capital . Léviathan est un reptile, voire une méduse, un dinosaure carnassier, froid, presque aveugle et sourd, qui ne vise qu'à se grossir et à se nourrir davantage, de notre sang comme de la sève des arbres, indifféremment . Les plus puissantes créatures humaines du Système peuvent être broyées, sang et os, par ses développements de puissance, avec la même indifférence que sa fortune les a posées au sommet .

L'oligarchie n'est pas tout le Système – nous même sommes des parties du Système . Dans le procès d'auto-production de lui-même, l'homme produit de l'étranger à lui-même, il produit des êtres, des systèmes qu'il ne maîtrise plus et qui définissent par auto-position leurs propres finalités, leurs entéléchies . Le Système est produit par l'homme, mais lui est devenu étranger, et même dangereux, hostile . Les guerres mondiales, l'accident nucléaire sont bien plus, dans la culture, qu'un cycle de mort et de danger, il sont aussi la manifestation violente, intime, que le Système est étranger, hostile, dévoreur de vies humaines . L'homme peut produire ce qui le dévore et être dominé et détruit par cela . C'est pour cette raison que les guerres, comme les accidents nucléaires, sont de tels nœuds de fixation de l'interprétation, alimentent autant de paroles, de livres, de films, sont de tels enjeux symboliques . La mémoire des guerres mondiales, l'inconcevable réalité des accidents nucléaires majeurs, leur vérité faite d'atrocité et de négation de tout espace de vie humaine, est quasi secrète, et couverte de bavardages indéfinis, car leur message relève d'un scandale public, fascinant par sa vérité crue, dans un monde moderne habitué aux mensonges permanent du Spectacle .

Et de même que le Spectacle produit le Spectacle de la liberté, c'est à dire que les hommes consommateurs prétendus « libres »obéissent statistiquement à l'évidence à la publicité et à la planification de la production ( voir Galbraith, le Nouveau Système Industriel), ou dit autrement, ne sont pas libres, mais se la racontent libres, de même les hommes emportés par les vagues de l'histoire, broyés par les nouvelles guerres coloniales, se la racontent l'histoire du progrès, progrès du Système comme progrès de l'homme . Les hommes, et c'était évident déjà dans la révolution française, et relevé par Joseph de Maistre, comme c'était évident au XIXème siècle et relevé par Marx, ne gouvernent pas les vagues de l'histoire, ils sont balayés par elles . En 1929 comme aujourd'hui, la gouvernance conçue comme souveraineté est une mythologie . Nous voyons de plus en plus que les Présidents, les Rois modernes, ne commandent pas, mais jouent le Spectacle du commandement – sont des acteurs ou des imposteurs . Voyez la femme la plus riche de France, passée sous tutelle, être au regard vide et sans discernement : il n'est besoin d'aucune qualité pour posséder un empire industriel . Pour se rassurer, les théoriciens du complot croient que derrière les imposteurs sont encore des êtres vivants, qui se cachent, croient que le monde est comme une poupée russe ; mais en réalité il n'est que le vide, et rien, absolument rien d'humain derrière les imposteurs du Spectacle . Un Système n'est pas un objet, il n' a pas de lieu déterminé absolument - il n'est pas de l'ordre du visible, même s'il ordonne le visible .

Il semble irréel mais il peut écraser tout homme . Il n'a pas de lieu, mais il a une place dans les cycles du temps – il peut être détruit .

Qu'est ce que la gouvernance ? C'est l'idée d'un gouvernement technique . Sur le principe, gouvernance, ou gouvernement technique, sont des noms modernes de la Tyrannie . Implicitement, cela signifie que les décisions d'un gouvernement de tel type sont techniques, c'est à dire les meilleures possibles, simples et vraies, et que toute critique de ces décisions relève soit d'une inexpertise, d'une ignorance, soit d'une perspective partisane, « idéologique » . Bref, toute critique d'un gouvernement technique, en dehors de la critique experte concernant « les modalités d'application », est soit ignorante donc illégitime, soit intéressée, donc fausse . Bien entendu, une telle présentation est un mensonge, très proche de l'idéologie de la fin des idéologies : il s'agit de se rendre indiscutable, pure voix de la réalité incontournable, de la force des choses .

Mais pourtant ce mot de gouvernance est porteur d'une vérité profonde : les gouvernements modernes n'ont pas le pouvoir de transformer le monde comme on veut le faire croire encore – et donc, par exemple, les élections modernes ne sont que des plébiscites du Système, et les partis anti-système des idiots utiles qui légitiment ces plébiscites . Les gouvernements modernes ne peuvent que discuter des « modalités d'application » des transformations fonctionnelles au Système, transformations qui sont nommées « réformes », et racontées par la propagande comme l'histoire d'un « progrès », alors que chacun vivant dans l'économie du Système, dans son cœur voit bien qu'il s'agit de l'histoire d'un asservissement toujours plus rigoureux – et peut accéder par sa raison à des informations quantitatives qui le montrent au delà de tout doute possible . L'oligarchie rétablit lentement un ordre d'exploitation de fer sur ses esclaves, après les atermoiements liés à la peur du communisme pendant la guerre froide . Le pluralisme social est mort, et seule règne la pure logique du Capital . L'État est instrumentalisé comme serviteur des intérêts de l'oligarchie, comme superstructure de coercition du Système, faite essentiellement de forces de police polymorphes . L'effondrement de l'URSS confirme Marx dans les pays capitalistes .

Comme dit Vaclav Havel, nous sommes les sans-pouvoir . Et il ne me semble pas possible d'acquérir une puissance sans un minimum d'organisation, ne serait-ce que celle, notée justement par Havel, d'agir de manière synchrone par le détachement individuel . Si déjà nous savons, ne serait-ce que par des sourires entendus, que nous ne croyons pas au bourrage de crâne du Système, nous savons synchroniser notre présentéisme au Système, notre absence de zèle – la première résistance des esclaves . L'URSS a tout d'abord souffert de cette absence de zèle . Il serait bien fol, l'esclave qui se passionne pour le travail, qui cherche à ex-ister hors de son néant radical de bloom par une activité asservie, et qui croit qu'il va se réaliser au travail ! Ne voit-il pas que son maître applique le principe de Debord : ne travaillez jamais !

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La liberté règne comme jamais dans l'histoire du monde, claironnent dans le vide, et face aux têtes baissées de la foule qui regarde ses pieds, en commençant à sentir que quelque chose ne va pas, entre les dettes et le pôle emploi et l'arrogance des employeurs, les journalistes stipendiés de l'optimisme officiel . Quelque chose est pourri au royaume du Danemark . Comparable à l'URSS : la vie est devenue meilleure ! , tel est le cri du Système, dans le monde de la crise et de Fukushima .

Quelque chose est pourri au royaume du Danemark - Pourtant, et comme dans les modèles totalitaires, le stade actuel du Système rend la réalisation d'organisations dissidentes très difficiles .

Analogue aux modèles totalitaires, le Système tend a s'assurer le monopole des liens entre les hommes : liens des sociétés anonymes, liens des dettes, lien « contractuel » du droit du travail, lien du mariage et du pacs, qui sont des contrats ; lien des associations, soit innocentes et fragmentaires, et par là fonctionnelles, comme les clubs de sport ou les sociétés de charité, soit clairement fonctionnelles, comme les grands clubs de sports populaires qui produisent de l'unanimité électorale chez les esclaves sur le modèle des jeux romains, liens des réseaux sociaux . Le Système tolère les liens familiaux, et le Rotary Club, mais réprime les ligues dissoutes, l'appartenance à une « bande », l'association de malfaiteurs, encore plus d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, comme l'ANC de Nelson Mandela, ou le féroce Julien Coupat .

Le Système fait des hommes des individus, des atomes ; puis il veille jalousement à ce qu'ils le restent, au nom de la sauvegarde de leur liberté . Le Système est prêt à s'assurer de ta liberté même contre ton avis – car il définit la liberté indépendamment de ton avis, évidemment . Ce n'est pas être libre, par exemple, de rentrer librement dans une association polygame ou polyandre ; ce n'est pas être libre de se prostituer, et c'est absolument librement qu'on choisit d'être caissière ou agent de surface . Ce n'est pas être libre et ne pas se respecter que de désirer se couvrir le visage en public, pour cacher quoi, hein ? C'est être libre et affirmer son respect de soi que de s'habiller à la dernière mode exactement comme tous les autres . Ce n'est pas être libre de respecter une tradition religieuse en croyant le faire volontairement, si elle est contraire aux cadres du Système . C'est être libre de respecter une tradition religieuse en croyant le faire volontairement, si elle est conforme aux cadres du Système . Ce n'est pas être libre de ne pas croire du tout à la liberté et au progrès dans le Système, c'est être prisonnier d'une idéologie réductrice et inhumaine . C'est être libre de croire librement à l'idéologie racine et au Spectacle . Ce n'est pas être libre de donner trop d'argent à quelqu'un pour des motifs futiles, parce qu'il nous sort d'un ennui mortel, cela mérite la tutelle . C'est être libre d'en donner des valises à un parti politique, pour une élection ; c'est ne pas être libre d'en donner à une secte . C'est être libre, pour un adolescent, d'être un no-life obèse, tu es libre de jouer, merdre . C'est être au maximum de sa liberté de faire chaque semaine ses courses au supermarché, et ainsi de participer à l'oeuvre salutaire et libre de sélection des meilleurs produits et des entreprises les plus performantes par l'effet magique de la concurrence . Et c'est librement que tu te places sur le marché du travail . Big Brother sait mieux que toi ce qu'est être libre .

Quelle belle connerie, quel conte idiot, quand même, que notre monde, dans l'état pitoyable où il se trouve . Le plus fort, c'est que les hommes modernes ont tellement, tellement de liens avec ce Système, qu'il leur est devenu indispensable de croire en l'idéologie racine, parce que sinon leur vie leur apparaîtrait telle qu'elle est au fond, une vie de rats emmurés, emmenés vers une destination inconnue mais menaçante par un Titanic ivre .

Même la littérature syndicale et politique dite d'extrême gauche – SUD, le NPA - est complètement structurée par les logiciels du Système, entre leur respect maladif et jargonnant des Genders, placés avant la lutte des classes en permanence, la libre circulation des particules humaines, leur incompréhension que la force des sans force est le lien, la force des clans gitans . Le genre, par exemple, n'est pas une qualité individuelle accidentelle à une personne qui la choisit seul, « librement » dans la conception de l'idéologie racine, qui assimile isolement social et liberté . Le genre est le pôle d'un lien ; on est d'un sexe parce qu'il en est un autre, comme on est fils parce qu'il est un père, et non par libre choix individuel . Qui veut choisir son genre doit commencer par trancher tous les liens, ou être effectivement sans liens, devenir de fait cet atome libre de droit, ou encore proie pour tous par une ruse d'inversion classique du Système, que les dispositifs du Système vont ordonnancer pour la bonne gouvernance au service de la production . Pour ceux qui savent, l'individu transgenre, l'atome libre de droit et libre-circulant, est très exactement l'homo sacer d'Agamben, un intouchable, sans personne d'humain qui réponde de lui – sa « liberté » réside dans la fiction, dans le fait de se la raconter à soi-même – sa « liberté » lui vaut d'être livré pieds et poings liés au Système . Il n'y a pas plus spontanément hostile au Genre qu'un clan gitan communautaire, vous pouvez aller vérifier . Un membre d'un clan est tout sauf un atome qui choisit ce qu'il est, avec personne qui réponde de lui . Il se trouve aussi dans cette littérature d' « extrême gauche » des revendications sans critique ni recul à l'augmentation des « droits », des revenus des salaires et des quantités de marchandise « pour vivre dignement », mesurant la dignité par l'argent et la marchandise, ce qui est justement le message du Système à ses esclaves .

L'extrême gauche électorale exprime la vacuité bornée de la classe moyenne dominée des petits employés, enivrés à l'école d'idéologie julesferriste, et qui y ont cru . Ils y croient encore, et se présentent tout propret comme des petits cochons de Tex Avery aux élections . C'est vraiment effrayant de limites – quelle farce, quelle triste farce, là encore .

Que même le pauvre Houellebecq, qui sait si bien dépeindre le cauchemar blanc qu'est la vie dans le Système, son manque radical d'enjeu vital, son ennui omniprésent et morbide, et la recherche désespérée d'expédients par les hommes – la drogue, le meurtre, le sexe au plus haut degré comme le héros d'American Psycho, la violence, les sports esssssstrèmes, la connerie pure et simple du supporter, le délire progressiste des Gender, les mondes imaginaires des jeux de rôle ou en réseau, le conspirationnisme...toutes ces recherches qui sont précisément analogues à celles des hommes exaspérés de l'intérieur, enfermés dans une prison . L'exaspération produit cette surenchère de délire massacreur que retrace si puissamment Gullo Gullo, roman clef pour le monde moderne de Bulatovic .

(Aparté en passant, pour les Jean Baptiste qui aplanissent les voies du Grand Roman à venir, et regardant la route qui poudroie, et l'herbe qui verdoie, ne voient rien venir : ce grand roman est écrit et publié, nous l'avons vu, mais ce n'est pas le livre qui manque, c'est la capacité de le lire à son niveau de pensée, sans s'y chercher soi-même, sans se placer comme mesure .)

Que même Houellebecq donc, cet être veule et faible, en vienne à considérer que le Système est un beau truc libre à défendre contre de méchants terroristes extérieurs, quelle vision de l'âme des hommes modernes, aspirés par le nihilisme, terrorisés par eux-même, se refusant définitivement à la morsure de la lucidité, du désespoir . Ces hommes s'aveuglent volontairement, se percent les yeux et le cœur de poignards pour ne pas renier leur vie, leur humanité pleurarde trop repue pour vivre debout . Qui peut être lucide sans voir à quel point les ténèbres qui menacent notre monde sont internes à ce monde, sont des cauchemars de ce monde qui ne cessent de percer, comme étant la manifestation tangible du caractère cauchemardesque de ce monde ? Nous marchons dans les vestiges, dans les ruines d'un monde humain, avec les souvenirs de mondes humains – cela nous protège encore, permet le maintien d'îles de raffinement et de noblesse - mais le monde réel, pratique, dans son organisation globale, n'est déjà plus, insidieusement, une civilisation .

Se retourner, sortir du chant des sirènes, comme Ulysse, c'est une libération qui passe par les liens – par l'ordre contre sa propre liberté, contre le soi-même qui écoute le chant des sirènes du Système . C'est s'organiser, comme dit le Comité Invisible, « être du côté de ceux qui s'organisent ». Mais comment ? Pourquoi est-ce si difficile, et si décevant ?

***


Si nous jetons un œil rétrospectif et actuel sur les puissantes organisations existantes, nous voyons les règles suivantes . Tout d'abord, l'organisation, de ce fait qu'elle opère des sélections collectives, est nécessairement une contrainte pour ses membres . Elle n'est évidemment pas qu'une contrainte : elle est aussi une puissance, par exemple . Mais elle est aussi une contrainte . Il existe donc, de manière évidente ou non, des séries de motivations pour pousser un être humain à devenir membre d'une organisation .

Deuxième point essentiel, les organisations traditionnelles de manière habituelle motivent par de nombreuses raisons, et non par une isolée . Mais les organisations modernes isolent les motivations, et les plus puissantes s'appuient sur le besoin physiologique, par ce que le monde moderne a isolé sous le nom d'économie, ou ensemble des activités de production ou de répartition de richesses – en considérant que les services sont des activités visant à obtenir des richesses, donc des activités de répartition . En vérité, la chevalerie médiévale est un service du grand seigneur capable de nourrir et de loger les chevaliers, par exemple . Un très grand nombre de liens humains sont liés aux richesses : la clientèle romaine, qui passe par le don de nourriture, le système féodal, qui passe par le fief, ou la mafia, qui passe par le contrôle et la répartition des revenus des activités interdites, donc plus dangereuses, exigeant la pratique de la violence et le secret .

Les liens de religion, dans l'Église par exemple, ne sont certes pas essentiellement économiques, pas plus que le lien féodal ; mais les fonctions religieuses sont en général liées à des moyens d'existence, même modestes .

Ce que je veux dire, c'est que les liens des organisations traditionnelles s'appuient aussi, comme garde-fou, sur le besoin ; c'est à dire qu'il est de ce fait malaisé d'en sortir . Le chevalier sans terre devient un faidit, un chevalier en fuite, un rônin au Japon ; l'homme de l'honorable société a ses antécédents, ses revenus, ses ennemis ; le curé a peu de chances de trouver un emploi aisément . Dans les organisations traditionnelles, le besoin a une place, mais le besoin n'est pas l'unique motivation d'appartenance . Au contraire, les plus puissantes organisations modernes sont puissantes par l'instrumentalisation du besoin : les besoins vitaux sont une arme d'asservissement dans la société moderne, et l'homme n'en est nullement libéré, sinon dans le Spectacle .

Une organisation qui partage des biens a des membres sans difficulté ; ainsi la police trouve aisément ses hommes de main, comme toutes les entreprises trouvent leurs salariés, et plus aisément encore les cadres, ceux à qui ont fait croire qu'ils sont du côté du pouvoir pour les porter à pressurer les autres serfs, mais qui découvrent qu'ils ne sont pas du côté du pouvoir quand on les licencie pour leur âge, ou après une faute minime, comme ce préfet qui avait gardé des meubles et des bibelots de sa Préfecture, quand les chefs peuvent tout se permettre .

Les partis politiques reconnus distribuent des fonctions, des prestiges, et les opulents revenus de la République – comme dit Hollande, si je suis élu, personne de mes amis ne sera à l'écart de la table ; ou comme le proverbe africain, là où la chèvre est attachée, là elle broute . Par cette puissance de distribution de gratifications, ils ont énormément de membres ; la motivation est le partage des biens . Il peuvent n'avoir qu'une unité idéologique très lâche, des membres parfaitement stupides ou méchants, des escrocs, il n'en resteront pas moins puissants grâce à l'argent de l'État . C'est à dire que les services de l'État, le Spectacle, les grandes entreprises, les collectivités territoriales, les partis et les syndicats forment une unité systémique – ils sont les sous-systèmes locaux coordonnés du Système mondial – dont les conflits sont très largement valables pour le Spectacle d'abord, et pas du tout essentiels en réalité . Ils s'assurent ainsi le monopole de la redistribution légitime de richesse, donc de la première puissance de création et de maintien du lien social, et le monopole de l'énonciation du droit, de la morale, et de l'exercice de la violence légitime - toutes puissances dont ils ne se privent pas d'user largement .

La solidarité globale des différents sous-systèmes fonctionnels du Système, en France ou ailleurs, est assez évidente pour être pas davantage montrée . Au plan individuel, des rivalités impitoyables peuvent naître ; on peut soutenir un homme pour obtenir un place dominante dans une grande organisation financière internationale, puis le détruire avec acharnement s'il menace un pouvoir personnel ; mais toutes ces rivalités restent parfaitement fonctionnelles, ne serait-ce qu'en permettant la prospérité du Spectacle . De plus, le financement légal des partis politiques en fonction du nombre de leurs élus crée l'unanimité des partis existants : aucun parti nouveau ne peut aisément apparaître face à des partis ayant de larges financements à redistribuer . La puissance des hommes politiques et des partis actuels ne tient qu'à ce clientélisme ; si la source se tarit, aussitôt l'homme, le parti sont abandonnés . En 1995, la cohorte infinie des amis de Balladur a disparu en quelque instants à l'annonce de sa défaite . En 2007, la victoire de Nicolas Sarkozy l'a rendu de gauche pour Charlie Hebdo .

Le Système est puissant de toutes ces clientèles superposées qui quadrillent les villes, les régions, les États, les continents . Il suffit de souligner que pour neutraliser la plupart des puissances d'organisations qui pourraient menacer le Système de domination en place, il a suffit, en 1901, de créer les associations à but non-lucratif . Il existe ainsi deux types légaux d'organisations : les sociétés à but lucratif, strictement définies dans leur organisation pour être fonctionnelles, produire, vendre ou acheter ; et les associations à but non lucratif, dont les formes d'organisation sont aussi définies par la loi sur le modèle démocratique, donc conformes et impuissantes à faire d'importants écarts – la police, ou l'oligarchie, elles, ne sont sûrement pas organisées ainsi .

Une organisation féodale est par exemple à but lucratif, mais définit ses liens de manière non conforme à ceux internes à une société à but lucratif légale ; il s'ensuit qu'une telle organisation est éliminée d'office, interdite . La liberté d'association est un mensonge dans le Système : les associations ne peuvent expérimenter des ordres de liens non conformes aux modèles pré-donnés, et donner force contraignante à ces ordres nouveaux, car le Système s'assure de la liberté individuelle, même volontairement engagée . A titre d'exemple, la République a pu disperser des communautés monastiques contre la volonté des moines, au nom du caractère inacceptable juridiquement des liens perpétuels . Autre exemple, il pourrait appartenir, dans une optique contractuelle, aux conjoints d'un couple de définir librement leur type de lien, par exemple de poser ce qui leur apparaitrait comme une faute justifiant une rupture – ce qui n'est pas le cas .

Enfin, limiter strictement le droit des organisations à distribuer des biens, c'est en réalité s'assurer de la neutralisation complète de toutes les organisations qui pourraient être non-fonctionnelles .

Pourquoi ? La question que nous posons est celle de puissances d'organisation existant parmi les serfs salariés, ou chômeurs, atomisés avec soin, ou reliés à des organisations fonctionnelles . Le Système s'assure, de manière stable et durable, que jamais la pression du besoin n'amènera des hommes à s'intégrer dans des organisations qui lui sont hostiles . Il s'assure le monopole de la satisfaction des besoins vitaux et de la distribution des richesses, le monopole de toutes les formes de lien de clientèle ou de rétribution légitimes . Il annule toute résistance organisée de manière somme toute très simple . Malgré le désaveu massif des partis et des syndicats existants, rien de nouveau n'a pu naître et bousculer le Système . Aucune grande pensée de sortie – pourtant, Dieu sait qu'il y en a eu – n'a pu s'affirmer en Europe . Malgré les indignés, l'immense insatisfaction est étouffée, ou canalisée vers le Front National, instrumentalisé en défouloir et repoussoir, permettant de dire « nous ou le chaos », aux dirigeants absolument vides de solutions du Système . Sans besoin, le plaisir devient la principale motivation des organisations et des liens existants en dehors des formes prévues .

Quelles sont les grandes organisations visibles dans le Spectacle ? La motivation de ces organisations est en général, je le répète, le plaisir, le loisir . Les associations (externes aux entreprises et aux partis établis) les plus puissantes en France de ces dernières années sont les associations sportives, les collectifs gays et lesbiens et les associations de chasse et de pêche . La simple puissance de ces associations leur permet d'obtenir des droits particuliers tout à fait saisissants . Il y a plus d'argent dans les clubs de foot, ces trucs débiles, que dans les Universités ou dans les Musées, et les niveaux de salaires y sont assez copieux ; un footballeur gagne parfois en un mois le salaire d'une vie de chercheur . Les gays et lesbiens sont plus puissants que les catholiques, par exemple, alors qu'une communauté fondée sur l'orientation sexuelle apparaît extraordinairement superficielle et post-culturelle ; enfin Chasse Pêche nature et Tradition, une communauté basée sur le loisir, sans aucune perspective globale, a pu rassembler plus que les partis nationalistes régionaux . Les teufeurs, ou les surfeurs, sont également aussi visibles que les Indignés, voir plus . Bref, des finalités sectaires et immatures forment des organisations parfaitement fonctionnelles . Qui peut croire que l'unité humaine se suffise de l'orientation sexuelle, du foot et du surf, ou de la distinction entre les vrais et les faux chasseurs, et pas de la langue maternelle, par exemple ? Une telle lacune, une telle immaturité ne peut se comprendre que pour des êtres humains complètement dépendants d'un Système matriarcal, qui s'assure gentiment de la satisfaction de leurs besoins matériels, et leur dit de regarder la télé, de jouer, de vivre leur vie sexuelle librement et de trimer comme des abrutis, pendant qu'il s'occupe de tout le reste, c'est à dire de l'histoire . Un surfeur, c'est un grand enfant qui croit que l'essence de la vie humaine est de jouer indéfiniment tout nu sur la plage . Un jeune gay est un fêtard drôle et original ; un vieux, c'est une horreur de vacuité défoncé à la cocaïne .

Trop de révolutionnaires ne veulent pas voir l'abrutissement des masses . Si X% d'une population a des croyances d'abruti, croit qu'il suffit de jeter les étrangers à la mer ou de porter le smic à 5000 euros pour résoudre tous les problèmes, cela ne signifie pas seulement qu'il faut apporter au peuple des informations, l'information est disponible depuis des décennies . Cela signifie que les abrutis ont des croyances d'abrutis, et qu'il ne changeront plus facilement . Plus l'abrutissement est ancien, plus il est difficiles de sortir de l'abrutissement, puisque les mécanismes de défense de l'ego défendent l'abrutissement lui-même de plus en plus, pour ne pas permettre de considérer tout le récit de la vie comme une vacuité ridicule et illusoire . Une organisation de masse dans le monde moderne semble condamnée à avoir une propagande simpliste .

Il s'ensuit déjà que l'ambition de créer des organisations compactes d'Avant-garde, peu nombreuses mais puissantes, capable de rassembler sans se trahir trop vite, me semble déjà une grande ambition . Et que les 99% des indignés se leurrent sur la profondeur de l'enracinement du Système, sur la collusion des esclaves à leur exploitation, sur les énormes difficultés qui se posent dans la création de liens puissants, capables de balancer le Système .

***


Donnez à une organisation révolutionnaire européenne les moyens de la police nationale française, et vous verrez que la capacité à financer des recherches, à faire de la propagande, à entretenir un maillage territorial, des écoles de formation à la subversion, aux modes de déstabilisation et à l'action, à entretenir de vastes internats, des flottes de véhicules capables d'intervenir en masse, etc...ferait de cette organisation un danger massif et mortel pour l'Europe de la crise de la dette, et des gouvernements tenus par des employés des banques d'affaires . Équiper les opposants libyens a fait d'une opposition impuissante une force capable de détruire le sous-système local . Mais ces moyens, nous ne les avons pas et nous ne les aurons pas .

La lutte contre une tyrannie ne peut se faire sur les points où elle est forte, comme la lutte armée – ce qui illustre que les cas de lutte armée résultent le plus souvent d'une intervention étrangère masquée – mais sur les points où elle est faible . Et je crois que la tyrannie moderne est faible avant tout sur son impuissance de plus en plus manifeste à donner du sens à l'ensemble de la vie humaine . Les perspectives données à la jeunesse – une vie de travail sur des salaires faibles à rembourser une dette fantomatique pour une retraite à 78 ans, en regardant les festins de l'oligarchie – ne peuvent être admises avec résignation que par des générations déculturées et profondément immatures . La masse des hommes peuvent rester ainsi, mais sûrement pas un nombre significatif de gens qui prétendent avoir une vie un peu humaine et découvrent lentement le Système tel qu'il est, derrière le Spectacle et l'éducation reçue : une structure cynique d'exploitation qui se pare des grands mots de Démocratie et de Liberté .

Mais cette découverte essentielle, même assortie d'une détermination au combat, ne suffit pas à créer des êtres capables de lien, capable de s'organiser efficacement . Si nous regardons le XXème siècle, la capacité à rentrer dans des liens inconditionnels est une compétence qui s'est toujours forgée dans des luttes très dures, la lutte contre une dictature policière pour les bolcheviks ou les dissidents, les résistants ; la guerre totale pour les anciens combattants, voilà ce que furent par exemple le parti bolchevik de 1917 ou le C.N.R . Le Système se garde bien d'offrir de telles possibilités par une répression excessive, ou collective .

Créer un réseau sans mémoire d'épreuves, je le tiens pour immensément difficile . Nos épreuves ne peuvent être comparées qu'à celles des Lumières, ou à celle des intellectuels des peuples colonisés dans les années d'avant 1945, une grande patience sous un régime à la fois vaguement bienveillant par indifférence et curiosité, discriminatoire et hostile aux moments cruciaux . Nous avons besoin d'une puissance idéologique capable de détacher des hommes de l'idéologie libérale ; nous avons besoin de pratiques collectives de refus ; nous avons besoin d'une réflexion sur le mode de vie individuel qui permette une dissidence consciente et méthodique .

Nous avons besoin d'espaces de lutte où nous construire comme dissidents . Nous cherchons la voie de la dissidence dans le régime capitaliste, et le pouvoir des sans-pouvoir . Vaclav Havel comme Gandhi la nomment : se-tenir dans la Vérité . Nous devons faire l'effort de penser une alternative aux moyens de communication du Système, et nous n'en avons pas le courage pour l'instant . Il y a tant de choses à faire . Nous sommes vaincu, mais d'une défaite sans sujet .

Nous devons retrouver un chemin de combat .

Nous sommes un ordre, et j'invite tous ceux qui le veulent à commencer à penser ce retour, à penser ces retrouvailles avec le combat social, politique et culturel par delà les partis et les idéologies du passé . J'annonce que l'Encyclopédie va commencer, dans le cadre d'un congrès fondateur de la deuxième Internationale Situationniste Immédiatiste, à recenser les expériences locales des combattants, indignés militants, poètes, artistes, de tous les hommes – êtres humains libres qui ont vécu l'expérience amère des difficultés du combat . Un mémorial pour avoir une puissance et une pensée collective de reprise en main du destin de l'homme par lui-même, contre la puissance aveugle du Capital .

Il s'agit de simplement refuser le vide du monde moderne comme étant l'expression de la force des choses, ou encore de crier que la victoire actuel du Système n'a rien d'éternel – les hommes des mondes ont posé tant de mondes, et ils en poseront encore . Tout Empire périra – et Babylone périra , et tout indique que cette chute énorme risque d'être un drame global.

L'ordre actuel du monde est en soi une crise de l'humanité . Et si la victoire nous échappe, avoir pu combattre est déjà une victoire de la liberté .

L'esprit de résistance doit supplanter toutes nos immondes résignations . Il y a encore tant à vivre, à aimer, à rire, à souffrir .

Vive la mort !

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