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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 29 juin 2011

SpartaKus écrivain – ou dans l'Arène idéologique .

(Clovis Trouille, ou le penseur dans l'arène)



Je me suis battu dans la poussière pour changer le monde, et voilà : parfois le cercle du monde est plus petit que le cercle de tes bras - tes baisers embrassent et roulent les mondes comme le souffle du fleuve.

Le combat idéologique est ingrat . Il semble qu'il soit totalement vain . Nous voulons changer le monde, mais seul le changement des conditions matérielles de notre vie peut nous donner la certitude de ce changement – ne parlons nous pas de changement réel ? Alors que le combattant à l'épée – je veux dire par la force – le gangster, le rappeur ont immédiatement la jouissance de l'adrénaline, et le spectacle du déploiement de la violence physique ou verbale, et le récit de la victoire ou de la défaite . Un « intellectuel » culpabilisé peut croire, dans sa perspective neutralisée de travailleur intellectuel désarmé, avoir davantage le choix, la puissance de combattre immédiatement, quand il décide d'utiliser la violence .

Mais cela est illusoire . L'usage de la violence politique sans réflexion n'a pas affaibli le Système depuis des décennies . Dans les aventures de Simplicius Simplicissimus, dans Allah n'est pas obligé, ou encore dans d'un château l'autre – je lis les témoignages cyniques de zones de guerre offrent le spectacle d'un cheminement au jour le jour, sans déroulé clair ni but, et surtout sans que le monde ne change . Il en est de même de la diffusion du rap . La poésie de la révolte populaire peut entrainer les troupes d'une révolution, mais pas allumer l'incendie .

Quand – ce qui est notre problème - la guerre est celle d'une minorité infime contre une structure de pouvoir puissante, bureaucratique qui s'appuie sur des infrastructures matérielles d'imprégnation idéologique, et une idéologie officielle incontestée – il est évident que le combat pensé en terme de compétition sur un pied d'égalité, avec des règles, un jus belli, ne sera qu'une illusion hors de portée . Le quotidien de la révolte sera marqué par l'effet d'un moucheron sur la croupe du Taureau : au pire, quelque battements de queue de temps en temps, les aboiements des chiens de garde...et le sentiment qu'il ne se passe rien, que rien ne peut se passer pendant des années ou des siècles – le sentiment des dissidents de l'Est dans les années 50, et jusqu'à l'aube des années 80 . Et quand il se passera quelque chose, ce qui dominera est le total sentiment d'impuissance que Norton Cru fixe comme réalité de la guerre moderne pour le soldat de première ligne . C'est l'arrestation, celle de Coupat et des autres, cette masse d'hommes faisant irruption dans un vécu de combat fantomatique, impersonnel, avec la vision parfois des casques des CRS . Le quotidien sera marqué par un certain désespoir, par une fatigue certaine . Dans le Système, dans la culture qui est notre milieu de vie, nous n'existons pas – rien du tout – néant .

Pour le combattant de la minorité, il s'agit d'une guerre d'usure interminable et dépourvue de sens, risquant même de l'amener à penser illusoire ce qu'il a vu, et ce pourquoi il refuse l'idéologie officielle – ce qu'il a pu entrevoir dans des TAZ, une vie spirituelle libre, un art libre, une poésie libre s'élevant comme la fumée d'un feu entre les arbres, le droit d'être reconnu comme un artiste, un penseur, un poète, non comme un étudiant errant, un livreur de pizza, un pêcheur de crevettes, un rouage d'un sous-système, un marginal sans le sou . Qu'importe d'être pauvre, si le choix d'être poète est identifié et reconnu, et admis comme valable – qu'importe à l'ermite, au renonçant indien, d'être nu, si ceux qui le regardent voient un homme, un homme noble, et non une ordure, le produit du dysfonctionnement d'une machine . Qu'importe d'être nu, si le renonçant qui mendie trouve du pain, un peu de soupe prête, comme Henri le Saux le raconte à Arunachala . Dans le Spectacle, dans l'abrutissement quotidien, dans le divertissement aussi - les images d'une vie libre, orientée vers l'art et l'intensification des puissances de l'être, risquent de paraître aussi éloignées que le paradis des chrétiens, aussi inaccessibles que les portes de la Jérusalem Céleste dans la Rome de Néron .

Nous sommes dans le souterrain, dans les catacombes . Tout ce que tu fais, ô prisonnier, ton sang, tes mots, tes pensées sont imbibées de la ténèbre morne du souterrain . Et que peut-on faire, Fiodor, dans un souterrain ? Sinon parler pour rester humain - symboliser, et ainsi se remémorer le ciel, et la douceur du bouleau...et symboliser pour les éloigner, les écarter de nous, parce que leur souvenir me déchire - le temps sans étoile est une morsure . Si je t'oublie, Jérusalem ! Et pourtant ta pensée est une cette ancienne blessure de l'âme, celle même de Tristan, celle que je dois refuser de se laisser cicatriser pour respirer . Elle est l'analogue de la blessure de la perte de l'androgynie – l'essence de cette insatisfaction essentielle qui fait qu'aucun homme ne peut atteindre ce vers quoi il tend – qui fait de sa vie une ferveur qui se renouvelle à l'infini – le seul absolu de la vie humaine, le manque .

C'est dans la souffrance assumée du manque que je rencontre l'absolu – et nulle part ailleurs, dans la consommation, dans l'accumulation, dans le plaisir de se remplir . L'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend, l’œil ne se remplit pas de ce qu'il voit – le renoncement à la satisfaction est la voie de l'extase par l'intensification des contradictions . La souffrance est servante de la jouissance, et la folie complice de la raison . Ainsi continue notre guerre .

Le succès de la théorie de Debord, la société du Spectacle vient entre autres de l'absence de la vraie vie dans le Système pour la plupart des hommes, et particulièrement dans les secteurs des bureaux, de l'absence répandue de contact avec le travail physique complexe – mais cette absence n'est pas un fait naturel, c'est l'effet d'une domination . La plupart des teintures de la vie qui s'offrent à l'examen, ces visions du monde que l'on étudie souvent comme centrées sur une personne, une sensibilité incompréhensible, une idiopathie quelconque, sont des effets des forces s'exerçant dans des champs, mêlant matrices génératives sémantiques disponibles, et horizons et sols nutritifs plus ou moins empoisonnés vécus par les hommes . La société du Spectacle exprime la réalité du vide de la position du prolétariat intellectuel face à la réalité sociale dans le Système, sa position fonctionnelle désincarnée, impuissante de déployer ou même d'imaginer une prise concrète sur le monde, totalement asservie par le Système – mais pourtant enfoncée dans son fonctionnement de manière symbiotique, comme l'anguille dans un marécage . La société du Spectacle exprime la possibilité de participer à des massacres volontaires ou par accident en étant un fragment fonctionnel déresponsabilisé . Plus encore, elle exprime la complicité forcée de la vie humaine avec le Système .

Debord exprime de manière élaborée et politique la position ironique de Valéry : Dieu a tout fait de rien – mais le rien perce, et la position radicale de Stirner, qui passe par le renoncement à l'innocence et donc à la responsabilité, au choix éthique – de pures illusions consolatrices, et fonctionnelles, la moraline - pour atteindre le fond obscur où poser les pieds, invoquer la haine au commencement de l'ouvrage, et pousser à nouveau vers la surface, la respiration – je suis un fragment fonctionnel du Système, qui est un crime, et je n'y peux rien - et la lucidité du vide, le besoin soudain d'anéantir le néant : j'ai fondé ma cause sur rien . Mais c'est aussi ces linéaments philosophiques où des savoirs traditionnels, ou des expériences de vie, ou d'art, des situations, permettent de prendre conscience de la vacuité venimeuse du monde moderne . L'expérience commune qui nous relie est soit un vécu, soit la proximité, le frôlement d'un vécu – le vécu d'une fonction du Système : « Comme sa propre vie lui paraissait atroce, son âme fausse, mort son misérable corps, étranger le monde entier, vides les mouvements, les choses et les évènements qui l'entouraient. » Robert Walser, Petits Essais cité THBL, p 23 . Le creusement obstiné du néant moderne est la ligne d'abîme qui mène de Debord à la théorie du Bloom .

Le situationniste n'a pas de pensée, mais une manière fragmentaire de vivre des ruines des mondes. Il est essentiel de vivre cela : l'effort initial n'est pas de penser, c'est de désirer vivre à tout prix, à mort, une vie pleinement humaine, pour celui qui en ressent en lui les sources profondes – c'est cela, la ténacité indéfinie qui va permettre de construire des situations subversives - et aussi, de comprendre avec ses tripes que la libération de l'idéologie n'est absolument pas évidente, puisque l'ego est constitué par elle – qu'il se trouve, à la racine même de la révolte contre le monde moderne, un travail intérieur, une transformation spirituelle .

La vraie vie est absente – a été absentée du monde...Dans le Système de la production maximale, il est fonctionnel, même nécessaire – donc l'oligarchie l'impose - que le choix entre l'intégration, ou travail, et le vide morne de l'inoccupation sans but soit tranché aussi violemment que possible en faveur du premier – pour faire fuir les poissons vers les filets du travail . Pour imposer la construction d'un monde où l'esclave cherche un emploi avec terreur, et remercie d'être mis sous le joug de la fonction .

Toute réalisation humaine non fonctionnelle doit être éradiquée dans le Système : tous les liens humains, toute la culture populaire réelle, auto-produite et entretenue, la langue natale, la sémiotique complexe d'une culture - le langage du Système lui-même n'ont pas à être fortement investis par les dominés . Tout cela : inculturation, enracinement, excès de puissance spirituelle... n'est pas fonctionnel . La figure de la communauté paysanne, de l'artiste pauvre, banale encore dans le Paris romantique – Van Gogh et Gauguin peignant les bretons à Pont-Aven - la figure de l'ermite, du moine mendiant ou du renonçant, sont bannies – le clochard déchu, puant l'alcool et la pisse, ou le pauvre honteux sont mieux tolérés, en tant que repoussoir, image terrifiante de la sortie du Système . La télévision, qui vide la rue, et enferme chez soi à l'écoute de la voix du Système, est à opposer aux veillées paysannes anciennes, à l'arbre à palabres . La télévision est un maton mécanique, rien de plus, sauf si on se la raconte .

Plus encore, la drogue et l'illettrisme sont la règle des groupes les plus dominés dans le Système, depuis la contention de la drogue dans les Ghettos par la police des années 50 au moins, mais aussi depuis l'usage de l'alcool comme arme de destruction sur les populations indigènes dès le XVIIème siècle . La diffusion massive de stupéfiant exhibe non la noirceur de l'homme, mais le vide de la vie imposée là où la drogue se consomme –Voyons le destin de Christiane F, enfant d'une cité toute neuve de la banlieue berlinoise, la Cité Gropius – l'Allemagne, la grande puissance industrielle socio-démocrate, aux syndicats puissants, au cœur des Trente Glorieuses – et Christiane se drogue, se prostitue, fugue . Comment une enfant peut-elle se droguer à mort et se prostituer dans ce paradis de l'Ouest, avant la Crise, avant la chute du mur de Berlin ? Si ce n'est que bien avant d'être dégradés, les quartiers modernes étaient dégradants pour l'homme ? Et les misères rurales, l'ennui suicidaire et alcoolique des campagnes bretonnes déstructurées et déculturées par exemple ne furent pas en reste des banlieues pleines de hommes et vides de liens et de vie .

Le travail, la culture dominante, le mérite, la complaisance de la discrimination positive acceptée par l'indigène doivent être les seules portes de sortie de la misère, de la magouille et de la violence – c'est un tel dilemme qu'a vécu Jack London . Ainsi les artistes des mondes nouveaux oscillent-ils entre la fascination des bas-fonds et la fascination pour la culture dominante, eux même n'étant au fond nulle part, dans ce néant qu'il faut anéantir . Disons le : nous ne voulons pas être tout, tout avoir : nous voulons simplement le droit d'être quelque chose, de ne pas être d'abord salarié, consommateur, électeur, élu, représenté, représentant – mais avant tout être humain cherchant l'extase hors de l'ancien monde des morts . C'est de cette volonté d'être quelque chose, et non pas rien – de ne pas avoir honte de soi-même, de ne plus demander, de ne plus s'humilier, de ne plus demander d'autorisation pour ce qui relève du vital – que nait la nécessité de s'opposer, et donc la détermination de ce à quoi nous nous opposons, et enfin le concept de Système .

Le Système n'est pas d'abord un concept, mais le signe commun d'une expérience vécue de l'étouffement, de l'enfermement, de l'incarcération de l'homme censé être libre – une expérience banale, traduite dans la littérature par Kafka ou Boulgakov . Toute pensée qui s'élève parmi nous doit être légitimée ainsi, comme le signe commun, reconnu, d'une expérience partagée . Tu ne savais peut être pas la formuler ainsi ; mais l'essentiel est que tu le sentes ainsi, et qu'ainsi puisse s'ouvrir le partage des mondes, des luttes, mais aussi d'un repas . Ce qui est vivant, ce sont les liens des hommes entre eux, leur loyauté, leur sang et leur larmes – le seul liquide dans lequel ils puissent tremper les armes d'un combat pour à nouveau respirer – à nouveau affirmer que l'otium, le temps détaché des nécessités de production est un fondement de la vie humaine .

Il en est des derniers philosophes comme des derniers cardinaux d'avant Luther - non plus des hommes de Souffle, mais de pouvoir, d'argent et même de commerce, avec leurs intimidations morales ou leur "hédonisme" prêt à porter . Les derniers vestiges, consternants, de la chute de la République. L'idéologie officielle moderne, ce républicanisme de meute, sénile et itératif, est le masque de la domination totale d'une clique sans souffle, d'un lot de vieillards et de leurs laquais, qui prennent la pose de l'artiste et du transgresseur, par exemple parce qu'ils baisent en groupes, et ne croient pas dans la moraline officielle - qu'ils ne consomment pas la marchandise qu'ils vendent en masse . Ils profitent et organisent le brouillage du discours esthétique, les annonces répétées de la mort de l'art et de la littérature, au profit de leur jouissance de complices de l'oligarchie . Proclamer la mort cyclique de l'art permet de s'éditer sans vergogne, et d'éviter de se demander s'il n'existe pas des meurtriers . Il exercent leur fonction de domination avec appétit, avec graisse . Ils s'appuient sur une infrastructure médiatique et financière lourde, qui permet de se la jouer grand écrivain en payant des photographes, comme d'autres, journalistes, ont posé au journaliste victime de balles du pouvoir avec des maquillages de cinéma, sans la moindre honte . Ils appuient le pouvoir en place depuis toujours, et celui-ci les récompense . Ils dressent toujours des portraits fort nobles des vainqueurs du jour .

Ils sont le peuple gras opposé au peuple maigre du prolétariat spirituel . Ils sont les personnages secondaires bouffons du Maître et Marguerite, et les oubliés de l'histoire littéraire de chaque génération, malgré leur domination passée, écrasante – La litanie oubliée des prix de Rome du XIXème siècle, le prix Nobel de littérature de Sully Prudhomme, opposés à la vie âpre et pauvre, puis au procès de Baudelaire, ou à l'oubli de Lautréamont . En philosophie, où est l'élite des penseurs d'il y a moins d'un siècle, au delà de Bergson ? Le si diffusé « Traité de Morale Générale » de Le Senne ? Son non moins marquant « Traité de caractérologie » ?

Ils invoquent les rebelles et l'avant garde pour nourrir leur sottise enflée, les bourrelets massifs de leurs cous pelés, les sourires serviles des garçons de café ou de la Maison des écrivains . Ils récupèrent lentement les auteurs qui tout à la fois percent, deviennent visibles même contre eux, alors qu'ils sont encore vivants . Ils leurs proposent des récompenses, des postes, de la reconnaissance, obtenant, quand il s'agit d'êtres humains un peu égarés, un peu timides, ce qui est presque toujours le cas, une servilité parfois ridicule – voyez ce pauvre Houellebecq . Ils récupèrent et monopolisent l'interprétation des morts jusqu'au contresens, encore plus facilement – voyez le Nietzsche démocrate et tolérant, hédoniste, que l'on vend . Bien sûr, Nietzsche aurait un soutien fidèle de François Hollande, évidemment ! Le temps de Laurent le Magnifique est bien fini, comme ceux de Mécène ou de Frédéric II . Il faut un pouvoir sûr de lui, et des hommes de grandeur, pour imposer des hommes neufs et des mondes renouvelés, vivants, dangereux, comme un Kepler, cet étrange astrologue, comme un Jean Pic de la Mirandole, jeune homme emporté, fougueux, ou son ami – oui, son ami ! Savonarole .

Les derniers hommes – ces « philosophes » enferment les vivants irrécupérables dans une condamnation et un silence carcéraux, l'enfer véritable des auteurs . Ce silence qui se montre, se manifeste comme souveraine indifférence, la seule ayant puissance de créer chez celui à qui elle est opposée le sentiment d'inexistence, d'inutilité radicale des efforts du combat de reconnaissance – fausse conscience vécue par Nietzsche, dans son infinie solitude, ou par Rimbaud, fuyant trafiquer des armes vers l'Abyssinie – œuvre enfin réelle, concrète, loi de la fuite dans le vide hallucinatoire d'une saison en Enfer . Persuader un poète que vendre des mauvais fusils est plus puissant qu'écrire, tel est l'œuvre encore agissante du Système . Parfois, accidentellement, la guerre entre des factions de la sous-oligarchie intellectuelle crée des appels d'air pour les artistes pauvres de l'avant garde, et encore .

En tant que fonction d'une domination, fonction de bornage, de fermeture, de répression masquée ou non – la conscience des acteurs de remplir une fonction n'étant pas nécessaire pour qu'une fonction soit tenue - le rôle des intellectuels de service ne peut être que mortifère pour l'esprit . Ils sont des vieillards, aussi jeunes soient-ils . Ils inversent toujours la tradition dont ils se réclament, fut-elle à l'origine une religion pneumatique et libératoire, comme le christianisme devenu soutien du grand inquisiteur, ou encore une idéologie de la générosité, comme le communisme, ou de la liberté, comme le libéralisme .

La question des adversaires véritables dans la guerre idéologique est essentielle . L'Ancien Régime avait ses structures matérielles d'imprégnation idéologique, ses médias de masse : la messe dominicale obligatoire, qui martelait chaque semaine les valeurs puritaines de la Contre-Réforme et l'idéologie royale, et faisait lecture des ordonnances royales – bien avant les écoles paroissiales, moins importantes . L'enjeu de la révocation de l'Édit de Nantes n'était pas plus négligeable que celui de la lutte contre le déviationnisme en URSS : il était celui du monopole de la diffusion idéologique de masse . La censure royale des livres imprimés n'était qu'un complément du dressage gallican du clergé, tout comme aujourd'hui le pouvoir de l'édition passe indéfiniment après la presse, la radio et la télévision . Que les encyclopédistes aient violemment attaqué le clergé, qu'ils aient été anticléricaux, voire athées – ce n'était nullement le cas général – ne se comprend réellement que dans le champ idéologique de leur cycle de pouvoir, la guerre qu'ils avaient choisi de mener . Ils combattaient l'idéologie des puissances en place et leur infrastructure d'imprégnation idéologique . Le café de penseurs, ou l'Encyclopédie, ou les libelles clandestins, sont les moyens concurrents de diffusion que les Lumières mirent en place contre leurs ennemis .

Pour continuer cet exemple, être anticlérical aujourd'hui, quand le pouvoir du clergé n'est guère que symbolique, ce n'est plus préparer la révolution, c'est protéger les structures matérielles d'imprégnation idéologique effectivement en place . Les infrastructures de l'appareil idéologique dominant ici et maintenant sont massivement étrangères au clergé effectif, et ont été mises en place, souvent dans le cadre de la lutte pour la domination, contre le clergé, devenu un vestige limitant le déploiement de l'ordre bourgeois - comme l'école laïque, gratuite et obligatoire . Cette école était un pan essentiel de l'appareil idéologique d’État mis en place par la bourgeoisie à la fin du XIXème siècle – ce que manifeste, entre autres, les principes de dissolution des liens et des cultures locales que portait cette école, contemporaine et tout à fait analogue au modèle d'exploitation colonial . Jules Ferry est à la fois l'homme de l'école et l'homme de l'Empire colonial, c'est un fait . L'homme de la destruction de tout ce qui, dans la culture des civilisations, peut s'opposer au « progrès », c'est à dire à l'exploitation maximale des ressources naturelles ou humaines . Car l'exploitation maximale des ressources naturelles et humaines, l'asservissement de l'homme à la production de choses, n'est pas un élément de civilisation dans la mentalité traditionnelle .

L'idéologie officielle de l'État laïque préconise avec raison que l'État laïque ne doit pas avoir d'idéologie officielle - ainsi les choses sont plus claires, je veux dire plus paradoxales et mensongères . Car l'idéologie officielle réelle est le libéralisme au service de la domination effective . Il s'ensuit que l'anticléricalisme moderne de la presse, ou des syndicats, est un leurre, un vestige sans danger pour la domination effective . Ce qui est sans danger pour la domination ne nous est rien – ni à défendre, ni à ne pas défendre – un divertissement . Qu'importe, en réalité, le clergé dans le monde ? Il n'y a rien de plus qu'une incitation à être négligent, et à courir après des moulins .

Ce qui nous appartient en propre, c'est de déterminer le code de fer de notre propre analogon de l'anticléricalisme - Le récit de l'épopée de la libération de la tyrannie à l'étendard sanglant, de la tyrannie patriarcale, de toutes les tyrannies que l'on voudra s'accommodent parfaitement de la défense des tyrannies effectivement en place – depuis le chemin de croix du Christ face aux puissances de César, la marseillaise des colonnes infernales, jusqu'à l'Internationale, ou le Horst Wessel Lied . Et aujourd'hui, le récit de libération des Gender Studies, qui veulent confisquer au profit du Système les luttes des déclassés des genres dominants, non en désorganisant les classifications dominantes effectives, mais en intégrant les déclassés aux dispositifs de domination au nom de l'égalité et e l'accès à des « droits », le droit au mariage, ou le droit au travail – comme si le caractère oppressif de ces droits dépendait du « genre » des personnes classées dans leurs boîtes fonctionnelles...comme si être chauffeur de poids lourds à l'heure du GPS et du satellite était libérateur pour une femme plus que pour un homme, ou comme si un homme caissier rachetait l'exploitation des caissières .

Pour en revenir au clergé et à son remplacement effectif : le clergé n'a été réellement liquidé par la bourgeoisie que quand les médias de masse moderne, la presse, l'école, la radio et la télévision ont paru prêts à prendre le relais fonctionnel de cette structure médiatique issue de l'Ancien Régime . Les structures qui ont remplacé le clergé ne sont pas sans analogies fonctionnelles avec lui, mais de même que les fonctions de domination politique se diffusent par capillarité dans l'ensemble de la société, avec par exemple les sociétés de sécurité privée qui font la guerre, ou la décentralisation, les fonctions du clergé se dissolvent : la défense des œuvres, entre l'État et les domaines de l'Utilité publique ; la confession, domaine de la psychanalyse ; la moraline, domaine de la philosophie officielle ; l'école, partagée entre le clergé et le nouveau clergé laïque ; la transcendance, domaine particulièrement disputé, etc . Il reste que des communautés existantes restent structurées en partie autour de traditions religieuses .

Pour encadrer et assurer le caractère fonctionnel des communautés nouvellement agrées, comme plus anciennes, les oligarques hésitent entre l'instrumentalisation d'un clergé d'inspiration traditionnelle, à condition que ce clergé diffuse une version modernisée, c'est à dire assimilable, de la tradition dont il se réclame, ou la liquidation des clergés par son remplacement forcé, si nécessaire, par l'école laïque par exemple – les idéologues de ce courant n'étant pas très clairs sur ce point . Comme Napoléon se voulait théologien, nos oligarques incapables de comprendre l'essence même d'une tradition religieuse, donnent cependant des avis sur la saine théologie morale de traditions auxquelles ils n'appartiennent pas, des avis indifféremment sur la bioéthique catholique ou la théologie politique de l'Islam – cela montre le degré d'instrumentalisation de l'idéologie dont ils sont porteurs, en réalité . Un des catéchismes modernes de remplacement des plus nets s'appelle « philosophie », ce qui explique la volonté de le diffuser dès la primaire . Il convient de s'y arrêter un instant .

La « philosophie » officielle, pour faire sourire tous ceux qui l'ont subie, se divise en pratique ainsi : il y a les Valeurs, c'est à dire les idées qu'il n'est pas permis de discuter – dont la discussion peut être un délit . Les premiers principes doivent être hors de discussion (Lautréamont, Poésies I) . La ton adapté aux Valeurs est l'éloge, le rappel héroïque ; l'attitude adaptée la piété et le recueillement . Ainsi, la lecture officielle de la lettre de Guy Moquet . Cette lettre privée qui déchire spontanément le cœur est instrumentalisée pour inspirer piété et recueillement envers les autorités, comme la grave lecture du récit de la passion pouvait inspirer piété et recueillement envers le Prince de ce monde . Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c’est que la morale. Elle ne transige pas . (...)Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les générations jeunes et vieilles dans la voie de l’honnêteté et du travail . (Lautréamont, Poésies I) . L'avantage de ces cérémonies de la sainteté de la morale républicaine, c'est que quiconque les attaque est bien sûr mis en spectacle comme attaquant la sainteté elle- même, et donc promis au plus grand mépris : les oligarques pourront exprimer « leur plus vive émotion face aux lâches attaques », « leur complète solidarité » avec la droite s'ils sont de gauche et vice- versa, leur « profond rejet de ces procédés iniques, indignes d'un pays démocratique », etc .

Il y a ensuite les thèmes officiels, lieux de débats convenus et fort bornés, bornage tout à fait analogue au bornage étroit des « débats » médiatiques, qui ont lieu entre des « adversaires » qui se connaissent depuis longtemps, et dont les positions sont familières aux auditeurs : la dette publique, l'homme et le monde, la technique, bonne ou mauvaise, la science, vraie ou fausse, Galilée, la superstition, etc . Ces thèmes, non seulement il est permis de les discuter, mais il est indiscutable qu'il faille les discuter, et ne pas accepter de plier sa raison indomptable à des préjugés – la raison ne s'en pliant pas moins à cette injonction magistrale de ne pas plier sur ces sujets imposés . Ces « débats » sont censés montrer la liberté de pensée et de conscience en acte que promeut le Système dans la philosophie ; mais chacun qui en a fait l'expérience sait que cette « liberté » trouve très rapidement ses limites . Je me souviens même qu'il n'est permis d'être spinoziste qu'«avec ironie » . Il ne faut pas abuser du doute . La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute ; le doute est le commencement du désespoir ; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté . Au total, les mêmes « débats libres » se passent indéfiniment depuis la fin de la guerre, avec le même résultat prévisible, qui est le « progrès » .

Enfin, il y a toutes les idées que l'oligarchie, les médias ou la philosophie officielle s'interdit d'envisager et de discuter . La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte d’un geste. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui s’interpose ? O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! Depuis l'existence des démons jusqu'à la possibilité que « la philosophie moderne » soit une idéologie bornée – puisque nous avons les pieds sur terre et que nous vivons à une époque de fin des idéologies, n'est ce pas évident ? Ces idées sont nommées préjugés, idéologie, superstition, fanatisme, pseudo-science, etc, sans plus d'examen . C'est au prix de telles fermetures qu'il est possible d'écrire des éditoriaux moralisateurs en série, tous les jours depuis plus d'un siècle, et des manuels de philosophie...tout comme d'ailleurs des anti-manuels de philosophie qui ne sont que des décalques qui se veulent décalés des premiers, pour faire croire à leur lecteurs qu'ils ne sont pas les derniers des imbéciles – alors que le dernier des imbéciles est bien le dernier à apprendre qu'il est imbécile, c'est un principe .

Sur tout ce sous-système idéologique règne le cynisme ou la naïveté sotte des dominants d'une part – Arendt note bien que les plus haut dirigeants des empires totalitaires ne croyaient pas toujours en leur idéologie – et l'imbécilité massive et bécassière des masses d'autre part – imbécilité construite, mais aussi parfaitement naturelle, puisque dans le Système, et son « care » matriarcal, l'immense majorité des hommes n'éprouve ni désir ni besoin d'avoir des idées personnelles – cela ne mange pas de pain, n'améliore pas les revenus et en plus est stressant . L'idée d'Orwell d'une décence commune est tout à fait risible dans la pratique . La bêtise construite de la mentalité commune, liée au déracinement de toute culture populaire réelle et au matraquage médiatique natif n'empêche pas de vouloir dire « son opinion », ou d'avoir « ses idées » ; en général, il s'agit du mélange indigeste entre une perspective étriquée, des axiomes moralisateurs, et deux trois thèses pêchées au hasard, et souvent mal comprises . Ce mélange est le plus souvent très contradictoire, puisqu'il est au service de l'estime ou la mésestime de soi, ce qui est l'essence de l'opinion, une déformation narcissique et illusoire, et pas de la vérité .

Face à la masse inintelligible d'informations inquiétantes que délivre le monde moderne, la théorie du complot est particulièrement diffusée, et concurrence le progressisme imbécile, qui neutralise l'inquiétude en disant que tout sera toujours surmonté . De manière générale, des hommes politiques aventuriers peuvent instrumentaliser l'incompréhension insatisfaite et méfiante des masses, et lancer des slogans simplistes qui les satisfasse . La technique de production des slogans, et de leur articulation, se nomme communication politique . Au fond, les oligarchies ne croient rigoureusement en rien d'autre qu'en l'argent et en la puissance ; elles essaient simplement de trouver les discours les plus manipulateurs à chaque nouvelle élection, comme un cuisinier prépare une sauce qui doit plaire– et reconnaissent volontiers l'habileté de celui qui, plus habile, a su « surfer sur l'opinion ».

Dans ce contexte de domination idéologique dominante par itération et vide, l'erreur la plus commune, aujourd'hui, chez les jeunes auteurs, est encore de démarcher, de supplier les éditeurs pour être publiés . Il est évident que malgré la concurrence, les éditeurs ne veulent pas engager le fer avec l'oligarchie – ne le peuvent probablement pas . Attendre une reconnaissance du talent par l'oligarchie est une erreur ; la reconnaissance ira plus facilement aux auteurs étrangers – regardez le succès des traductions – ou morts, et aux œuvres de divertissement, plus rentables . Les auteurs étrangers ne menacent pas l'équilibre des pouvoirs et des territoires . La reconnaissance aussi ira aux personnages médiatiques, parce qu'ils vendent ; et enfin, aux enfants . Le reste, les miettes, iront à un ou plusieurs inconnus . Les chances de réussite sont sans doute plus faible que de s'évader d'Alcatraz . Guy Debord, en 1957, pensait qu'on ne pouvait aller plus loin vers le vide que le phénomène Sagan Drouet . Je vais donner un exemple de cette erreur d'appréciation . Dans le supplément télé du Nouvel Observateur daté du 29 juin 2011, une philosophe s'exprime sur les séries, ces fameuses séries télé qui permettent de fidéliser le temps de cerveau disponible . (Texte en caractères standards, commentaires en italique .)



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« On peut être spécialiste de Wittgenstein, traductrice de Stanley Cavell et aimer les séries . La preuve avec Sandra Laugier, professeurE à l'université de Paris I et défricheuse de nouveaux terrains philosophiques, elle ouvre plus grand le champ de la pensée, de l'éthique féministe du « Care » jusqu'au perfectionnement moral en passant par la culture populaire . Au fil des héroïnes de séries télé, elle pose les enjeux d'une éducation morale et féministe .

Dans la sous-culture médiatique, il est important d'être pointu et d'être sympa, proche des gens, ainsi d'aimer les séries . Il est vrai que la philosophie de « la culture populaire » est un nouveau terrain, et qu'il s'agit toujours d'ouvrir en grand, même si c'est ouvrir la baignoire vers le bas . Concernant ce concept trompeur de « culture populaire », rappelons la distinction essentielle entre produit culturel industriel de masse, à usage de domination, de vente de temps de cerveau, et la culture produite par le peuple comme une sève - les contes, les récits, le langage populaire, la poésie de la rue, le rap – mais celle-ci n'est pas vraiment ni morale ni féministe .

TeleObs : Quand on vous parle féminisme et séries télé, vous citez immédiatement « Buffy contre les vampires ».
SL : Buffy a été conçue dans un but féministe par son créateur (…) il avait vraiment pour objectif de changer les mentalités .
Q :Pourquoi dites vous que cette série est « un lieu d'éducation morale et féministe »?
R : Mon intérêt pour les séries est né de celui que je porte au philosophe Stanley Cavell, qui envisage le cinéma comme œuvre d'éducation morale . Dans le cas des séries, le rapport au temps est particulièrement propice à cet effet pédagogique (…)

Walt Disney et son Dream a Dream land se donnait une mission pédagogique et morale, à l'époque anticommuniste . Ce discours défrichant de nouveaux champs est la reprise universitaire de la moraline victorienne qui a servi lors de la fondation de l'industrie culturelle moderne, comme projet de domination – ce que les Victoriens, comme tous les bons bourgeois, nomment morale...Un commercial ne vendrait pas mieux la série dans un langage politiquement correct .

Q : que pensez vous d'une question comme Mad Men qui analyse le système de domination masculine ?
R : Cette charge critique contre la société pré-féministe des années 50 – 60 nous permet de mesurer ce qui a changé...comme ce qui n'a pas changé ! (…) enfin la série reflète la troisième vague du féminisme qui rappelle que l'on ne peut pas séparer enjeux de genre, de classe et de race . Cette approche intersectionnelle est donnée à penser au spectateur : on voit bien que la libération des Noirs et celle des femmes ne peuvent aller l'une sans l'autre .

Voilà un produit de divertissement industriel qui a de grandes ambitions, une charge critique blablabla ! Quand à la fameuse intersection qui permet de rendre moins grotesque, dans un des pays où les inégalités sociales sont les plus violentes au monde, le « féminisme » des femmes de l'oligarchie, sous-idéologie fonctionnelle à l'identification communautaire comme arme dans la lutte de tous contre tous dans une société libérale – on aurait du l'expliquer à Spartacus ou à Nelson Mandela . Mais d'abord est avant tout, l'effet de domination entre producteurs du Spectacle,c'est à dire propriétaires du capital de l'industrie culturelle de l'Empire, reconnus comme producteurs de Norme – selon quelle légitimité ?- et masse indistincte des consommateurs passifs soumis à une pédagogie morale visant à changer leurs mentalités est complètement passé sous silence .

Q : vous êtes une spécialiste de l'éthique du « Care » qui affirme l'importance du soin et de l'attention portée aux autres . (…)
R : (…) le care est au cœur du rapport que nous entretenons comme spectateurs avec ces personnages de séries : nous leur prêtons attention et nous découvrons que cette attention est facteur d'enrichissement personnel . Une occasion de cheminer vers une meilleure version de nous même...

Le « Care », on le voit, est une grande découverte morale, que les hommes du pré-féminisme ignoraient absolument . La réalité concrète de l'attention dans une communauté humaine réelle, ou le vide fictif de l'attention prêtée à un personnage formaté comme un produit industriel, cette distinction n'est pas abordée, inessentielle sans doute dans le processus pédagogique . Pourtant n'est-elle pas systématiquement instrumentalisé par des gouvernements au service cynique de l'oligarchie, qui font pleurer le bon peuple, mais pour qui dans le monde réel les pauvres peuvent crever ? La logique libérale reste à l'œuvre dans le concept même du lien, un échange entre deux pôles : il s'agit de s'enrichir en prêtant...quand à la meilleure version de nous même, cela fait tellement penser aux nouvelles versions de logiciels, toujours plus performantes...Nouveau firefox ! Nouvel Ariel ! Nouvelle version de la personne, plus morale, plus féministe, meilleure téléspectatricE !

Q : En France, on remarque à la fois que les nouvelles théories féministes peinent à s'imposer et que les héroïnes ne sont pas légion dans les séries...
R : on est coincé : l'égalité est inscrite dans la citoyenneté française...résultat le sexisme n'est même pas un sujet ! Les études de genre, si populaires aux États-Unis, sont très méprisées par les universitaires français, comme le sont d'ailleurs celles qui portent sur la culture populaire, dont font partie les séries...cela rejoint une hiérarchie très française entre le public et le privé, qui est une hiérarchie de genre : la vie publique, réservée aux hommes, est un lieu valorisé ; la vie privée, censée être le domaine des femmes, est dénigrée . Or la télévision fait partie intégrante du privé...

Il est vrai que les milieux populaires des Etats Unis se sentent très concernés par le genre, et que le Rap U.S. Est en est marqué . Mais au delà de ces affirmations qui masquent le caractère de classe des études de genre, le pire est sans doute le mépris de la hiérarchie comme simple soupçon, et la « hiérarchie » public-privé présentée comme genrée – c'est donc par machisme que l'on méprise à tort la télévision, n'est ce pas ? Alors que le festival de Cannes montre, par exemple, que la visibilité publique est d'abord un facteur de domination entre producteurs de culture industriel, hyperdominants, et consommateurs, dominés et repliés sur eux-même, à qui est laissée l'imitation des stars via des produits de masse imitant, etc . Bref, la domination sans partage de l'oligarchie par l'instrumentalisation du spectacle est présentée comme enrichissante, pédagogique, morale...une caricature de la propagande de guerre .

Ce qui en outre me révulse physiquement, c'est le ton de complaisance de l'auteurE – le sexisme, vous rendez vous compte, n'est pas un sujet à cause de l'égalité...quelle horreur cette égalité...on instrumentalise la moraline contre les principes les plus fondamentaux du droit – et en plus on prend des poses modernimorales dégoulinantes de sucre...

Je ne sais pas s'il est possible sans frémir de regarder l'abîme, la vacuité de cet être humain présenté comme philosophe dans la plus prestigieuse université française . Quand il y a Fukushima et les projets de centaines de nouvelles centrales pour suivre la croissance qui menace le monde de catastrophes sans références, la confiscation massive de la plus-value par des « plans d'austérité » au service de l'oligarchie... la révolte et l'étranglement des jeunes générations...la guerre coloniale dans la moitié du monde – voyez Chomsky...la guerre comme politique extérieure des États-Unis...l'exploitation féroce d'une main d'œuvre esclave en Chine, au Mexique, par centaine de millions, tous genres mêlés...ce que ce discours lénifiant, victorien, suppose d'aveuglement, d'une petite vie de rouage au service de la science, d'absence de profondeur et d'expérience humaine...étudier cela, quand on connait les Russes, les Polonais, et tous ceux qui ont pensé au XXème siècle...C'est presque inhumain . Un tel être, succéder à Sapho, à Louise Michel, Rosa Luxemburg, Marina Tsevetaeva, Anna Akhmatova, Simone Weil, à tant d'autres...Il est impossible de formuler des mots assez réalistes pour dire l'effroi que tout être humain attaché à l'humanité devrait ressentir dans un monde sain en lisant ces lignes .





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Comme l'un des fondements de l'ordre du Système reste l'ordre matrimonial et l'ordre de l'identité, il existe une alliance naturelle entre le monde homosexuel, le monde du polyamour, les libertins et l'imaginaire révolutionnaire . Mais il reste à la rendre vivante et non-assimilable .

L'objectif étant de poser les bases d'une stratégie, la question préalable est la suivante, je le répète : voulons nous plier l'échine, demander des autorisations pour simplement exister, ou devons nous prendre au sérieux que l'existence est un droit qui ne peut entraîner de culpabilité ni de culpabilisation ? Si nous répondons non à cette question, il reste à produire une analyse réaliste des rapports de force et à proposer cette stratégie désirée, et un ensemble de tactiques . Cette démarche d'ensemble doit prendre en compte l'ensemble des facteurs de la situation réelle, la question du pain et du toit pour les dominés, la question des liens entre les hommes et de leur force . Nous ne prétendons pas la définir, mais la dessiner à grands traits comme un monde possible .

La révolution du champ culturel ne peut se faire sans heurter . Mais dans ses grandes lignes, elles rentre immédiatement en discussion avec la fin du rapport sur la construction des situations de Guy Debord, en 1957, comme d'ailleurs avec l'ensemble de la contre-culture des siècles pré-féministes . C'est pour cette raison que la deuxième partie de ce texte, dans l'arène idéologique, sera aussi la dernière partie du rapport sur le rapport de Guy Debord .

Vive la mort !

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