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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mardi 10 mai 2011

Les problèmes comme creusement II : les prisons de l'âme .

(Massacre de la Saint Barthélémy)




Que fait-on des enfants ? Devons nous accepter les formes de pensée qui conduisent à les compter comme de trop, à accepter leur mort ? Je dis sans hésiter : non, il n'existe aucune obligation de compter des hommes comme étant de trop . J'ai entendu ces mots : chaque être a sa place, et elle lui est parfaite – telle est la maxime de l'ordre .


Le concept libéral du problème est la subjectivité pure de l'être posé comme obstacle dans la perspective du désir individuel . Chacun se pose les problèmes comme il veut ; et il peut d'autant plus écarter les obstacles à son désir qu'il est puissant, et riche . Si un homme riche veut aller sur la lune par plaisir, pour la valeur des dettes d'une nation étalées sur un siècle, l'idéologie racine ne voit aucune raison de douter du bien fondé de ce désir, de même que celui qui voudrait faire un palais d'or fin sur le modèle d'un cartoon de Disney, ou un lapin géant en aluminium poli, ou un Mickey éphémère en structure acier et pots de fleurs pour vingt millions d'euros, c'est à dire 200 épargnes de vies d'ouvriers . Dans l'idéologie racine, il n'est aucune responsabilité liée à la fortune – et cette perspective est tout à fait étrangère aux civilisations qui nous ont précédé . Je dirais même : cette perspective est un abaissement de l'homme riche .


Car il est également légitime de considérer que le riche étant investi d'une puissance sociale, il a aussi des responsabilités sociales – et cette perspective, nullement égalitaire, est celle de l'antiquité, du moyen âge et de l'époque moderne . Ce qui est une forme de l'art contemporain, et présenté comme relevant de la fraicheur des rêves d'enfants est constamment inquiétant dans la perspective du Yi-King : les pères se comportent comme de petits enfants, qui font de grands monuments à leurs doudous et payent des palaces et des cimetières pour leurs chiens en méprisant ouvertement les hommes . Il était réservé à notre cycle de voir ruiner des Églises, des Universités, fermer des hôpitaux, et de voir les sommes qui permettraient des œuvres majeures, de garder ouverts des lieux pour les hommes, consacrées à payer de grands lapins d'aluminium poli rose . De voir ces sommes payées à des commerciaux qui s'autoproclament artistes sans même réaliser leurs œuvres – et de voir de tels emblèmes de l'idéologie racine exposés dans des lieux d'État et d'histoire collective sous les acclamations de ceux qui s'autoproclament « monde de la culture » . Pendant ce temps, la centrale de Fukushima pollue le monde, et les occidentaux font la guerre à toute sortes de pays d'organisations sans même prendre le temps de consulter leurs peuples, ce qui n'est rien, leurs lois et les oracles – ce qui est une perspective de malédiction .


Il était réservé à notre temps de voir ces doudous monumentaux être appelés Art ; d'avoir pour cela l'appui d'intellectuels de service ; car ils sont des produits industriels et montrent une formidable régression . Le syndrome de Peter Pan n'est pas purement celui de Mickaël Jackson . L'immaturité est un mal, un venin typique du Système – ce qu'avait déjà vu Gombrowicz .


Il reste des organisations du Système qui ne peuvent appliquer en toute rigueur ce modèle mortifère . C'est d'abord le secteur scientifique, industriel et technique .


***


Nous étudions les domaines de conservation d'une obligation de construction commune des problèmes . Comment se laisser interpeller par les problèmes massifs d'une époque ?


La négation de la vérité, et l'incapacité organisée à élaborer des problèmes communs est possible grâce à l'énorme puissance industrielle, technique, et scientifique, qui sert de bouclier au retour du principe de réalité, retour qui devient chaque jour plus évident et plus massif . De même que le Système en 1914 étouffait de plus en plus et devait trouver des voies nouvelles d'expansion, de même le Système de 2011 étouffe, et cherche des voies nouvelles d'expansion . Et quand le Système étouffe, il se rencontre toujours des gens pour penser que des masses plus ou moins grandes de population sont de trop . Une brume génocidaire monte dans les veines, dans les cerveaux, dans les discours, lentement, insidieusement . Qui sera de trop cette fois ci ? Les bourses n'ont pas mal réagi aux évènements japonais, qui laissent augurer des investissements, des travaux, bref de la croissance . Le massacre peut faire de la croissance – malheur à l'homme qui sera sur la route de l'expansion maximale de la puissance matérielle : il ne sera pas mieux traité que tous les peuples liquidés dans les derniers siècles, ni mieux traités que les kangourous australiens – penser à cet emblème d'écrasement qu'est le pare-kangourous des camions . Les anciens hindous s'asseyaient au bord des routes bouchées par les vaches sacrées – c'était un autre monde, que celui où le temps humain était respecté .


Le bouclier de l'extrême puissance technologique protège les folies, l'intégrisme des idéologues de l'idéologie racine . Car dans ces domaines d'activité du bouclier, on ne joue pas trop avec la vérité – un constructeur d'avion ne peut être doctrinairement libéral, et poser que le caprice individuel associé à la volonté suffit à construire un avion fonctionnel, ou encore considérer que l'opinion verbeuse d'un profane vaut les arguments d'un ingénieur, réduits à n'être qu'une opinion . Par contre, ce que l'organisation industrielle nie évidemment dans sa pratique, elle sera prêt à le reconnaître en morale ou en théologie, et aussi en politique sur certains sujets – mais parce que cela n'a pour elle aucune importance . Il n'y a pas d'opinion en science et en technique, mais en matière de philosophie, d'art ou de théologie tout ne serait qu'opinion – tel est le fond de l'idéologie racine . L'idée de liberté d'opinion en science n'effleure presque jamais, sauf chez un Feyerabend par exemple ; l'idée que le premier venu va donner un avis pertinent sur l'éthique ou sur la Gnose est extrêmement répandue – sans parler du plus extrême subjectivisme théorique qui règne en esthétique, et qui rend les penseurs impuissants à se défendre contre l'ignorance la plus crasse de la culture des membres de l'oligarchie .


Pourtant sans la puissance moderne issue du culte scientifique de l'objectivité, une société fragile ne résisterait pas six mois à la corrosion libérale, créatrice de division – de guerre civile - et de perte du principe de réalité, comme le montrent assez toutes les sociétés humaines mortes au contact du Système . Dans le Système, il est beaucoup plus important de produire un avion que de produire un monde commun . La production technique concentre la discipline, l'ordre, le respect de l'expérience, la vérité ; et la construction de la Cité court hasard, laissée à un culte aberrant de la spontanéité et du caprice individuel . Mais cette aberration apparente est parfaitement fonctionnelle, puisque l'Oligarchie peut ainsi régner au nom de mesures techniques, présentées comme neutres, objectives, quant il s'agit de choisir des voies . L'expansion maximale de la puissance matérielle posée comme fin suprême n'est ainsi jamais interrogée .


Amusez vous enfants, des hommes sérieux vous gouvernent – tel est le message du Système . Telle est l'immaturité entretenue . Au siècle des catastrophes, cette incapacité organisée d'un agir collectif, responsable et réaliste amène les hommes vers les désastres . La question est de savoir si, quand va s'épuiser la capacité de dénier les problèmes du monde, il sera encore temps pour les hommes de faire face à l'histoire . Cela dépend de notre capacité à se laisser interpeller par les problèmes . Comment s'analysent les problèmes ?


Un problème est souvent illusoire, puisqu'il fait reposer une situation sur un élément isolé . Un professeur de mathématiques pose un problème de mathématiques à une classe . Son véritable problème est de faire réaliser le problème à la classe, pour mettre en place un élément du programme – il se fout du contenu du problème, au fond, il fait semblant . L'élève dans la classe est face au problème, en théorie . En réalité, son problème est plus vaste, et il est l'ensemble de son attitude face à la situation . Il peut accepter la règle du jeu pour faire plaisir à un adulte qu'il aime, ou par esprit de compétition avec un autre élève . La solution prévue institutionnellement est de résoudre le problème dans le cadre des mathématiques . Une solution pour lui - si son impuissance face au problème est avérée, ou si sa capacité à s'intéresser au problème est atteinte - est de perturber le cours, pour que l'on ne parvienne pas à aborder le problème de mathématiques – qu'il impose le problème, le sien .


En clair, l'institutionnalisation du cadre où se pose le problème – en termes populaires, dans l'exemple donné le respect de l'école - doit être forte, pour que l'identification du problème soit indiscutée . La menace sur le pouvoir de l'enseignant, qui est loin d'être personnel, menace l'identification correcte – je veux dire légitime - du problème . Un problème repose sur un cadrage institutionnel qui permet de l'affronter . A l'échelle de la guerre en cours, que l'humanité considère ses problèmes sans passer à des « solutions » fantasmatiques ou suicidaires passe par l'instauration d'un pouvoir légitime – ce qui semble presque impossible . Il est donc probable que le problème du Système ne puisse que s'imposer dans l'extériorité inassimilable de l'être .


Pour conclure sur ce commencement, je ne veux pas revenir sur toute l'épistémologie du problème et de la question théorique du problème ; mais simplement rappeler, avec un fort souvenir de l'excellent Quine, que l'ensemble théorique d'un système analysant une situation à partir d'une théorie ne remet en jeu que des éléments périphériques de la théorie, qui s'auto-constituent comme tels dans la situation d'analyse .


Autrement dit, une théorie n'est jamais prouvée, mais sert de grille d'interprétation du monde, qui de se fait se confirme d'elle même...tant que des problèmes inassimilables ne provoquent de rupture du fonctionnement de l'ensemble composé du système d'analyse, machine ou groupe d'êtres humains, et de l'idéologie qui sert de syntaxe et de sémantique d'analyse . Exemple : le nazisme ne pouvait pas être démontré faux à l'État nazi par un raisonnement, il fallait créer le problème inassimilable de la défaite militaire radicale pour rompre son fonctionnement global . Prolongement : il n'est pas possible de démontrer dans les termes de l'idéologie racine la fausseté du fonctionnement de l'analyse fondée sur l'idéologie racine ; mais le problème inassimilable d'un mur écologique pourrait rompre son fonctionnement global .


Dans la perspective d'un être humain individuel, l'idéologie structure la psyché, et les mécanismes de défense de l'ego défendent aussi les postulats de l'idéologie . L'idéologie est la syntaxe et la sémantique du récit de soi qui est l'image expliquée de l'ego impliqué . L'ensemble psychique – idéologique, pour un être humain, par exemple la perspective d'un scientifique positiviste, est analysable en contenu idéologique de ses croyances et dans sa structuration psychique, ces deux aspects étant co-adaptés . La défense de l'idéologie étant liée intimement à la défense de l'ego sera encore plus sévère, et au delà de toute rationalité, comme ces militants de l'absurde qui passent leur vie à démontrer l'inexistence des fantômes – comme si l'inexistant sans enjeu psychique méritait le sacrifice de la vie humaine . Il est donc très peu probable de troubler, par des arguments même très rigoureux, un fanatisme idéologique .


L'expérience pourrait alors être un facteur d'espoir, comme la rencontre indubitable d'un fantôme pour le militant anti-fantômes . Mais là encore, le caractère indubitable de la rencontre est inaccessible, sauf si la psyché est acculée à choisir entre la destruction et la recomposition idéologique . Le militant fortement structuré préfèrera croire avec son psychiatre qu'il a rêvé, plutôt que de tout remettre à plat . Les hommes de ce temps nient leurs rêves, et préfèrent croire des structures idéologiques à des évidences vécues ; préfèrent nier la vie, nier le goût du miel que ressentaient les visiteurs de Marie d'Oigny, plutôt que de douter de leur endoctrinement . Ils ne peuvent comprendre le Hagakure, qui dit : les rêves sont la manifestation de la Vérité . Un homme qui nie ses rêves tend à devenir une machine fonctionnelle ; un homme qui traite d'illusion son vécu au nom de la cohérence ontologique illusoire de l'idéologie -comme Claude Bernard niant sa liberté au nom du déterminisme idéologique, relisez le vraiment ! - porte en lui une prison plus profonde que tous les cachots .


Un ami parlait de folie en citant Nietzsche pleurant, en demandant à un cheval pardon pour Descartes . Mais l'homme qui ressent l'âme du cheval ne peut-il pleurer de l'horreur intime de l'idéologie de l'animal machine ?


La nécessité d'une confrontation vitale avec la réalité, pour remettre en cause la structuration idéologique de l'ego - Jack London sut très bien le faire ressentir dans le Loup des mers, où un jeune étudiant bourgeois se retrouve, après un naufrage, aux prises avec l'humanité impitoyable d'un navire baleinier, commandé par Loup Larsen, modèle du surhomme libéral et nietzschéen, homme subtil, nihiliste et destructeur, figue philosophique du Système . Le jeune homme était comme nous, protégé de la réalité par l'argent ; mais face à la perspective d'être réduit à l'esclavage par des hommes répugnants, il va apprendre le maniement du couteau et le risque de mort, pour la plus grande joie didactique de Loup Larsen – et pourtant le jeune homme saura préserver son humanité malgré tout, ne reniera pas la bonté qui le porte . London est une figure de l'hésitation entre le vie, la respiration d'un homme puissant, quasi primitif, et la menace du nihilisme idéologique moderne – d'une hésitation entre la splendeur du monde, et la voie du désespoir de croire en la vérité du darwinisme social – de vivre ou de mourir . Homme autodidacte, comme Barrès, il n'a pu clairement trouver la force de rejeter le nihilisme européen – le socialisme n'étant au fond qu'une variante de ce nihilisme . Barrès, à la fin de sa vie, a trouvé le Levant, terre de songes ; Simone Weil, elle, a pu faire le pas, accomplir la percée de renier totalement l'idéologie racine – semble-t-il aidée par la lecture de Guénon .


Jack London, jusqu'à son suicide, a su préserver son humanité face à l'idéologie racine, et admirer les anciens peuples qui l'ignoraient . Et c'est cela, la perspective la plus profonde et la plus intime de l'Encyclopédie : au siècle des catastrophes, préserver la part du faible, et la part du sage, quand le riche et le violent règnent sans partage .


Pour revenir au modèle du savant positiviste rigidement structuré sur une idéologie rigide, ce modèle humain ne retiendra pas les éléments de ses observations qui heurtent frontalement sa théorie – voir à ce sujet Denton, Évolution, une théorie en crise, qui liste une série d'observations très peu compatible avec la théorie classique de l'évolution, et qui sont mises de côté par les « scientifiques » . Il pourra remettre en cause tout élément qui ne contrarie pas la théorie générale . Et ce, même si toute son âme, tout son corps se révolte contre la laideur de ses croyances ou de ses actes . Un des chefs SS chargé des territoires de l'Est, selon Hillberg, eut d'horribles troubles psychosomatiques, une dépression profonde, des ulcérations atroces de l'estomac, et dut prendre un long congé – mais reprit ensuite ses fonctions . Aucune de ses observations ne le sortira jamais de son idéologie, sauf si sa capacité d'observateur et son honnêteté sont exceptionnelles, et sa structuration psychique pas trop défensive . Un observateur lucide des siècles derniers conviendra que la structuration idéologique de la psyché s'apparente de plus près qu'on ne veut bien le dire à l'ancienne possession démoniaque ; et que les horreurs des guerres de religion ne sont pas le fait de croyances en d'autres mondes, mais du processus déjà avancé d'idéologisation de l'appartenance religieuse .


Dans la perspective de l'analyse collective des impasses de la présente humanité, cela signifie que la capacité du monde à se laisser interpeller à temps par les problèmes du Système, sans développer des attitudes violentes déjà très sensibles – pensez au nombre de conflits en cours - suppose une déprogrammation avancée de l'idéologie racine, et une organisation solide .


Viva la muerte !


1 commentaire:

atlas a dit…

Le problème

Son énonciation est performative
Pour les thuriféraires de l’obscur
Refusant d’écouter une devise Shadock
La solution en seule ontologie

Contre l’immaturité du syndrome de Peter Pan
Se décortique le rhizome de l’idéologie racine
Quand acquiesce une lecture impavide
Rendue à l’inutilité du prochain article

Les guerres en CEC ont toujours nettoyé le sang
Avec les massacres qui cautérisent le problème
L’empire libéral remontant à la Mésopotamie
L’aberration fonctionnelle de l’objectivité, dîtes-vous

Est posée la relativité fonctionnelle du problème
Ainsi que la problématique qui découle du schmilblick
L’impasse fictive de l’humanité relève de cette illusion
Avec une vue de l’esprit qui engendre auto-confirmation