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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

samedi 24 septembre 2011

Être comme chair de révolution .

(Andrew Bell)



PRÉAMBULE SUR LE VOCABULAIRE DE L'ONTOLOGIE .

Ce vocabulaire est aujourd'hui très confus, puisque il est courant d'exprimer l'être par deux mots spécifiques, réalité et existence .

Je précise que ces deux mots seront utilisés dans ce texte dans leur sens originaire, sans guillemets, et dans leur sens courant, qui est d'« être bien attesté », l'équivalent philosophique de « vu à la télé » des publicités pour sombres ploucs, entre guillemets . Si quelqu'un dit « c'est réel », ou « cela existe », à propos de quelque chose, le sens pragmatique le plus courant est équivalent à attester la possibilité d'en faire une expérience sensible . Ces deux mots ne sont pas précisément distingués dans l'usage courant .

Réalité est le terme le plus déterminé ; il désigne l'ensemble de ce qui a un caractère de res, de chose ; à ce titre il est possible, en ontologie, de nier le caractère réel des nombres, ou des signes ; en effet, ce qui est réel, c'est un objet, mais non le processus de signification que le signe engage . Par exemple, un panneau de sens interdit est réel ; le sens qui lui est donné n'est pas une chose . Existence signifie ex-sistere, se tenir hors (du Principe) ; à ce titre, tout existe, sauf le Principe . Un métaphysicien rigoureux devrait dire : Dieu est, mais n'existe pas, et n'est pas réel ; et malgré la forme grammaticale négative de ces propositions, il ne s'agit pas de déterminations, de négations de l'être de Dieu ; bien au contraire, la réalité, et l'existence sont des négations de l'être, et ces propositions visées ne sont pas autrement que des négations de négations, donc des positions . Autant dire que de manière rigoureuse, les débats modernes sur l'existence de Dieu sont habituellement dépourvus de sens, quand il s'agit d'évaluer la réalité ou l'existence de Dieu .

Le fait que «réalité », caractère de chose, petit domaine de l'ontologie, soit devenu par métonymie le nom de l'être, tout comme le nom d'existence ; ce fait a un sens essentiel dans l'histoire de la pensée occidentale de l'être . Ce fait ne se comprend que dans le sens fonctionnel qu'il prend pour le système général de production de l'homme moderne, un étant n'existant que pour des réalités . La compréhension de ce sens peut ainsi avoir un sens révolutionnaire .

René Guénon, dans « les états multiples de l'être », pose que l'être lui même est déjà une détermination, et que la forme la plus générale est la possibilité universelle . Guénon pense l'être en acte comme manifestation, et pose la puissance comme excédant l'acte avec raison ; mais pour des raisons de tradition philosophique, nous conserverons l'être comme terme le plus général, et le verbe être comme pouvant désigner toutes les modalités, y compris une puissance ; ainsi nous dirons qu'une puissance d'être dans un monde possible est un étant, est à son degré propre . Il est périlleux pour l'homme de supposer que son imagination excède l'être en puissance, tellement plus grand et plus puissant que lui ; au contraire, j'ai tendance à penser que tout ce qui peut être imaginé est possible, et donc est de quelque manière .

L'homme, la conscience humaine excède toujours son être-là ; le prisonnier peut imaginer la mort de ses gardiens, l'effondrement de sa prison . L'homme est par essence, là où il vit, le négatif du réel ; et dans la polarisation du connu entre Moi et Non-moi, il est même le pôle négatif de ce qu'il pose comme être . De ce fait, la plupart des rêveries sont des rêveries de puissance, de négation du monde vécu . Mais l'homme qui s'entrelace avec le négatif, qui danse avec la mort, sépare rêverie et monde imaginal, sur lequel l'ego n'a pas plus de puissance que sur une montagne barrant l'horizon ; et l'homme de puissance sait quelle volonté implacable il lui faudra déployer pour faire entrer l'imagination dans le monde vécu . Le prisonnier digne de son évasion méprise la rêverie – je te vomirais par ma bouche-, en fait l'ascèse, pour bander l'arc de sa violence la plus intime – c'est à ce prix qu'il sait que tout ce qu'il imagine est possible – au prix de son sang . Rêver le réel, le programme de Novalis, n'est pas un programme pour hommes tièdes ; c'est l'enfer de la négativité la plus profonde, l'alliance à la nuit pour atteindre la lumière .

LA CONSTRUCTION DE L'IMAGE SÉMANTIQUE ET IMAGINALE DE L'ÊTRE, OU LA PRODUCTION SOCIALE DE LA « RÉALITÉ » .

Le degré de construction de l'ontologie est maximal : l'homme, ou sa conscience, ne connaît que ses réactions à ce qu'il pose comme étant étranger à lui, et cela, ses réactions, peuvent lui servir à connaître, peuvent être des signes du monde – mais il n'a accès qu'à lui même et à ses mouvements intérieurs . « Les sentiments ne sont pas des représentations relatives au monde extérieur, mais des adaptations internes à des situations internes des systèmes psychiques », dit Luhmann .

L'être dont nous parlons nait de la division originaire du Moi et du non-Moi sur l'horizon impensable de l'Un . Dans les déterminations de l'indéterminé fondamental qu'est l'être – sans aucune détermination, dit Hegel dans la « Science de la Logique », mais aucune pensée ne peut naître sans la détermination du Soi – l'homme produit un discours qui est matrice de classifications, ou ontologie . Par exemple, une des plus anciennes ontologies est la classification des étants en vivants, animés (animal), végétal, minéral . « L'homme et le monde » est aussi une ontologie, tout comme « la hiérarchie céleste » de Denys l'Aréopagite . Une classification sous forme de discours est matrice de classifications ; ou encore, en classification comme en langage, l'acte est une puissance, et la puissance est un acte . L'homme qui entend une langue pour la répéter et l'apprendre illustre ce processus . Les classifications ontologiques sont véhiculées par le langage, et ce de manière en général implicite . Celui qui parle avec l'autorité de la parole, et qui donc est un archétype de la parole de la tribu, celui-là construit le monde de la tribu .

De l'intérieur d'un langage, et particulièrement nos langages, qui utilisent la copule être à tout bout de champ, l'attribution d'un objet à une classe - « ceci est un arbre ; ceci est un homme ; ceci est un noir » est pensée par le performateur de l'acte de langage comme la reconnaissance d'un être . Je plisse les yeux, en voyant une forme étrange dans les déchets en putréfaction du marécage, et je m'écrie : « ah, c'est un crocodile » . Il est exact que la reconnaissance de l'objet, son attribution à une classe, m'apportent des informations importantes sur l'objet ; un morceau de bois n'est pas la même matrice d'actions et de danger qu'un crocodile . Mais il est également vrai que cette opération de découpage dans le réel et d'attribution à une classe est une opération qui limite les possibles, et la curiosité . Quand je découvre un étant inconnu, non classable, ma volonté et mon attention, mon intensité d'être au monde atteint un développement maximal : La puissance du regard tient largement à la capacité de s'étonner, de contempler un monde toujours nouveau .

Une autre fonction de la sémantique de l'attribution d'une classe à un être, l'opération de classification, est que le métonymie qui la fonde – l'espèce pour l'individu, ou la caractéristique pour classer dans l'espèce – est une opération de réduction idéologique, donc au prévisible de la matrice d'actions légitimes de la classe . La réduction idéologique est la réduction des personnes singulières, et des singuliers en général, à l'identité classificatoire d'une différence . L'effet de toute réduction est à la fois une assurance d'identité pour l'ego, et celui d'un enfermement, d'une condamnation, pour celui qui la subit . Pour ceux qui font cette opération de réduction, l'effet est celui d'une réduction de l'incertitude – un effet essentiellement recherché par toute organisation sociale et par le système psychique . Par exemple, le fait de qualifier un être humain d' « homosexuel » est supposer que sa teinture sexuelle est déterminante de sa couleur, quels que soient ses autres caractères .

Le caractère auto-constituant de la réalité sociale aboutit à donner une existence à des communauté d'hommes dotées de caractères stigmatisants, c'est à dire fortement marqués pour la classification dans la société . Le paradoxe n'est pas que l'on présente de telles communautés comme libératrices pour leurs membres, ce qui est vrai de l'intérieur de communautés marginales pour tous les marginaux, telle la cour des miracles – mais la puissance de la structuration de ces communautés tient à la force de l'exclusion qui les fonde – et la lutte de certains « marginaux »pour la fin de cette exclusion devrait être la fin de leur caractère de communauté . Par exemple la normalisation de l'homosexualité est une normalisation, pas une libération . Les marginaux assumés ne doivent en rien regretter leur marginalité, et écarter autant que du fumier ceux qui veulent les normaliser, comme les voyageurs méprisent les sédentarisés .

La puissance de classification, de construction sémantique du monde, caractéristique du langage, est aussi une exténuation de la puissance d'être au monde ; ainsi le monde doit être cycliquement renouvelé, les mots à nouveau proclamés dans l'ordre originaire – que ce soit la recherche de la langue adamique ou le retour heideggerien au jardin des racines grecques . L'Ecclésiaste note : « les mots sont usés, on ne peut plus les dire » . Il existe un lien intime entre le printemps, comme renouvellement de la vie, et la poésie, qui est l'exercice effectif du renouvellement par retour à l'origine du langage, le printemps du langage . Les cycles de renouvellement se superposent, du rythme des Aubes et des Crépuscules, aux années, et aux Grande Années qui voient l'arrêt temporaire du mouvement des astres, et sont le renouvellement du monde en sa totalité . C'est ce qu'un hadith signale ainsi : le jour où le soleil se lèvera à son couchant .

Les calendriers d'occident ont très longtemps été fixés sur le style de Pâques, c'est à dire sur le changement de l'année fixé au printemps ; et le changement de l'année fixé au cœur extrême de l'obscurcissement hivernal est sans doute le signe de l'âge des ténèbres . Comme la fixation du calendrier, du début de la nouvelle année, les ontologies sont variables, et fixées par la souveraineté humaine . Et comme le calendrier, l'ontologie est un problème politique, plus exactement une question de souveraineté . La réalité comme construction sociale est un rapport social médiatisé par une ontologie . C'est pour cela qu'un changement de la domination entraîne un changement de la « réalité », et que l'instance supposée neutre de détermination « objective » de la réalité, la Science, a eu une telle importance stratégique lors des révolutions du XXème siècle .

L'expérience de pensée de faire varier les calendriers, les ontologies, d'accepter la réalité d'êtres considérés comme inexistants dans le monde moderne, comme les démons, ou comme Quine, de faire varier les catégories grammaticales de la substance, de l'accident, et de l'action – comme dans la phrase « soudainement, dans les nuages, il luna », qui remplace le terme de substance, le nom, par un verbe - est une discipline intérieure indispensable pour acquérir la fluidification des catégories – la puissance de repenser, et donc de refonder un monde nouveau .

LA RÉALITÉ COMME CONSTRUCTION SOCIALE EST UN RAPPORT SOCIAL MÉDIATISÉ PAR UNE ONTOLOGIE .

Dans les civilisations que je connais, on considère cela avec pitié : croire que tout ce que l'on imagine est possible . Dans l'Empire Romain, on aurait considéré comme une fiction absurde le récit de la mise en place de nos institutions démocratiques ; et les progressistes un peu bornés considèrent symétriquement avec pitié les croyances politiques du passé, par exemple le culte impérial . Il est indispensable à l'unité d'une civilisation de limiter les possibles, de poser des limites à l'imagination des hommes . Poser des limites n'est pas simplement parler de réalité, mais bien limiter les possibilités réelles de poser des actions ; car les matrices d'action et de communication et des hommes sont fondées sur l'ontologie .

Poser des limites à l'imagination est poser de l'indiscutable ; et le nom de l'indiscutable est, du moins chez les modernes, non pas le domaine du « tabou », de « l'interdit » ou du « sacré », mais le nom de « réalité » . Dans le monde moderne, l'indiscutable est nommé « réalité ». La Réalité est construite dans le langage comme une instance qui prend la parole, une parole souveraine ; et comme la réalité est quelque peu muette, une nouvelle instance humaine ne cesse d'interroger ce sphinx, et cette Pythie est la Science . Le discours scientiste se reconnaît, selon des formes plus ou moins voilées, à ses invocations de la Science, et du Fait, dont la forme la plus grossière est le « La Science dit que », « la Science nous a appris que », « X a découvert » suivi d'une théorie, nécessairement construite et conjecturale...La matrice sémantique est toujours analogue . Je rappelle qu'un discours réellement scientifique ne dira jamais « la Science dit que », parce qu'il n'existe rien de tel que la Science, et que ces mots ne sont que le masque d'un brutal argument d'autorité . A ce genre d'arguments, je conseille de répondre : ah bon, la Science vous a dit que...? Pourriez vous me la présenter...? Il n'y a que des hommes qui parlent par la science moderne, et une ivresse de domination .

La science moderne, depuis le XVIIème siècle, n'est pas en cause ; elle est un ensemble de propos et de problématiques triangulées par une relation à l'être, en soi très libre, une interrogation radicale de l'ontologie dominante, ce qui est encore frappant à ce jour dans l'épistémologie, la mécanique quantique ou la théorie des cordes ; je ne parle que de des usages idéologiques de l'instance fantomatique nommée Science .

Ce qui m'importe, c'est que « la réalité » occupe chez les modernes le site d'une quasi-divinité, un lieu essentiel de la détermination du possible et de l'impossible, de l'imposition des limites – que la réalité est une focale déterminante du pouvoir dans le Système, un dispositif de domination fondamental . La réalité comme construction sociale est un rapport social médiatisé par une ontologie .

Il importe de concevoir l'aspect fonctionnel de l'ontologie, comme de l'idéologie en général . Parler d' « d'aspect fonctionnel » peut avoir ce sens : le sens ultime de l'ontologie n'est pas fermé dans la clôture apparente de l'ontologie . L'ontologie ne peut se comprendre dans ses enjeux de domination que par référence au champ plus général de la domination . A ce titre, il n'existe aucune ontologie libératrice en soi, mais une ontologie libératrice dans un contexte de domination, très exactement comme il n'existe pas de dominé, ou d'exploité, sans domination effective . Pour illustrer, je dirais qu'une femme ministre n'est pas une victime de la domination masculine, quand bien même une construction statistique aboutirait à la simplification idéologique des genres comme classes sociales ; ou encore que la dictature effective du prolétariat est impossible . Je prend un exemple . Dans la monarchie absolue de droit divin, l'athéisme est une subversion radicale du pouvoir ; mais cela ne signifie pas que l'athéisme est par essence, est partout et en tous temps une subversion radicale du pouvoir . Michel Onfray n'est pas subversif et ne prend aucun risque en étant athée, ce qui n'est pas le cas du moindre homme religieux de ce temps . De même, dans le Maître et Marguerite, ni Berlioz ni Biezdomny ne libèrent de puissance par leur athéisme convenu .

Étonnant ! (s'écria à nouveau l'indiscret personnage . Puis sans qu'on sache pourquoi, il regarda autour de lui comme un voleur, et étouffant sa voix de basse, il reprit : ) Pardonnez moi de vous importuner, mais si j'ai bien compris, et tout le reste mis à part, vous ne...croyez pas en Dieu ?
Il leur jeta un regard effrayé et ajouta vivement :
-Je ne le répèterai à personne, je vous le jure !
-Effectivement, nous ne croyons pas en Dieu, répondit Berlioz en se retenant de sourire de l'effroi du touriste, mais c'est une chose dont nous pouvons parler tout à fait librement . (…)


Il serait légitime d'ajouter, dans l'URSS de la Iejovchtchina : pratiquement la seule chose dont nous puissions parler tout à fait librement . J'avais écrit il y a longtemps :

Et l'affirmation de l'existence de Dieu, de Jésus, du Diable, de la Sorcellerie sont des emblèmes de liberté, comme l'affirmation de l'amour tristanien, dans le monde étouffant et carcéral de la police secrète, des asiles de fou, et du langage convenu . N'est ce pas assez drôle que ce « nous pouvons en parler tout à fait librement » ? Car tout ce dont le Système nous laisse parler assez librement, c'est tout ce qui ne contrarie pas son entéléchie, soit par indifférence (…) soit par service (…) ceci pour replacer le tout à fait librement de notre monde, analogue au Moscou de la grande Terreur .

Une pensée s'enracine dans une situation . Il est vain de comparer des pensées en dehors de leurs situations ; car l'essence d'une pensée se manifeste dans son lien à la situation où elle se manifeste . Il n'y a pas de pensée subversive en soi ; pas de progrès des pensées subversives quand une pensée subversive et marginale devient la pensée commune des masses . De ce fait, les pensées de la libération peuvent devenir les idéologies officielles de régimes totalitaires . Tel fut le cas du Christianisme . Tel fut le destin du marxisme léninisme . Tel est sous nos yeux le cas des Lumières, même si cela nous fait de la peine .

Le confinement bureaucratique change l'idéologie racine d'innovation, c'est à dire d'indépendance fonctionnelle, de liberté qu'elle était dans son histoire ancienne, particulièrement à l'époque des Lumières, en incarcération . La construction idéologique issue des « Lumières » peut être mécanisée et son aspiration fondamentale à la liberté occultée par un Système de domination totale .

Les seules pensées subversives par essence dans l'histoire sont les pensées l'unité absolue de l'Être et de l'illusion des déterminations, des classifications, des différences, la non-dualité,dont la Main gauche est sœur, les pensées du négatif comme produit fatal de la puissance, les pensées eschatologiques, depuis le visage fantastique de Kali, « les premiers seront les derniers » du Maître, le manichéisme, ou encore une pensée comme celles d'Empédocle et de Jacob Böhme, une pensée ou l'abîme, la haine et l'angoisse se creusent en permanence au cœur même de l'être . Ces pensées sont des pensées de nomades spirituels, de ceux dont tu entends la voix, sans savoir d'où ils viennent ni où ils vont – de telles pensées condamnent tout établissement comme illusoire, toute fixation comme mauvaise . De telles pensées de l'abîme au cœur de l'être ont sans doute, par expérience pour certaines, prévenu dans leur construction même et par de nombreux avertissements la constitution de leurs discours en systèmes fermés tyranniques – ce qui expliquent aussi la destruction systématique par les puissances des pensées gnostiques, trop subversives .

Le christianisme est une des rares traditions chargée d'avertissements de ce genre – je pense au reniement de Pierre – qui n'a pu empêcher la formation de tyrannies qui s'en réclame . A ce sujet, le récit du Grand Inquisiteur dans les frères Karamazov de Dostoïevski illustre clairement la fonction de réduction des incertitudes de la liberté qu'assume l'instrumentalisation tyrannique des traditions spirituelles .

La fonction de l'ontologie est de limiter le champ des possibles . L'athéisme ou le déisme des Lumières disaient aux monarques absolus : il n'est pas possible que tu règnes au nom de Dieu . Mais l'athéisme nazi, comme l'athéisme communiste, disait à ceux qui s'opposaient au nom du Christ et de l'humanité : il n'est pas possible de t'opposer à nous au nom de Dieu : ton Dieu, ton respect de la vie ne sont rien – nous sommes les maîtres uniques du monde...Dans l'ensemble des actes de communication, l'ontologie n'est pas ce qui est dit, mais la limite du dicible . Elle est le silence sur lequel s'élèvent la parole des Maîtres, le Spectacle .

Dans notre idéologie dominante, l'ontologie racine est le produit et l'instrument de la domination du capital . Elle se présente comme "réalité", comme espace de possibles contradictoires, comme le Système et sa négation . Mais une négation du Système déterminée par le Système, comme la folie, la dépression ou le terrorisme . C'est pour cette raison qu'il est illusoire de sortir des circularités du monde moderne par cette ontologie, par sa réalité construite .

Notre idéologie dominante -j'insiste, elle est évidemment existante- l'idéologie racine du monde moderne, est le résultat du processus du nihilisme européen, qui aboutit au désert du réel . Ce processus est présenté par les idéologues du Système comme un dévoilement du réel, une apparition radieuse de la Vérité . En vérité, le processus du nihilisme est la réduction des mondes humains aux rapports de production du capital - dans la théorie, à l'espace des possibles de l'ontologie racine . Ni plus, ni moins .

Un mot sur le progressisme, suivi d'un sur le désenchantement . Pour faire accepter l'absurdité foncière du système capitaliste : la destruction globale du monde pour produire massivement des objets sans intérêt, le récit progressiste est indispensable . Il présente le processus du nihilisme comme un processus de progrès . Son message essentiel est « confiture demain », confiture pouvant être ce que l'on veut, comme le Grand Empire de mille ans de l'échange libre et non faussé . Marx le partage dans sa structure avec les intellectuels bourgeois .

Le récit progressiste a ceci de fondamentalement performant qu'il peut décrire n'importe quel événement comme un moment du progrès général, et le caractère dialectique du récit ne l'empêche certainement pas, au contraire . C'est aussi sa faiblesse : il n'a aucun contenu . Et il ne peut porter que sur des quantités : plus de parapluies, d'années de vie, de pneus, de millions de litres d'essence, moins de CO2, de morts sur les routes, de...la mesure implicite ou explicite du mythe progressiste est quantitative, et ne peut être que quantitative .

Mais ce récit est indispensable au Système, à tel point que l'ensemble des ravages du Système passent pour des incidents de l'histoire, ou des « retours à la barbarie » passagers, même quand tout montre qu'ils sont des produits du Système – ainsi le IIIème Reich .

Le Récit progressiste identifie au Bien le déploiement du Système, la croissance de la puissance matérielle . Il est un logos totalitaire en ce que par principe toute réalisation du Système est dite bonne, progrès, réforme, nécessité du développement et toute résistance à la croissance mauvaise : archaïque, taboue, obscurantiste, etc . Le récit progressiste n'utilise comme mesure que le déploiement de la puissance, et nie la diversité anthropologique . Il est le projet impérial en soi .

Le récit progressiste dissimule les risques majeurs du développement du Système . La totalité des ressources mobilisées pour construire les régimes totalitaires, techniques, morales, idéologiques sont issues de la civilisation industrielle – et toutes ces ressources sont à ce jour non seulement librement disponibles, mais d'une puissance démultipliée . Ce déploiement indéfini, auto-moteur, de la puissance matérielle ne cesse de créer de nouvelles menaces, liées à des risques sociaux, technologiques, militaires .

Ce déploiement dans l'élément social manipule les liens à son profit . Il ne cesse de réduire la part de l'humain dans la civilisation, érodant la langue au profit de la monnaie, l'amitié au profit du contrat, la capacité de combattre soi-même au profit de l'immaturité et de la dépendance aux forces de sécurité, l'hospitalité coutumière et la sollicitude au profit de l'émotion, la passion et la science de l'amour au profit de la pornographie marchande, le combat froidement organisé au profit de l'indignation à la moraline .

L'avenir est ouvert, et il peut être pire que le présent . Il nous paraît indispensable de poser qu'un mouvement révolutionnaire doit abandonner toute perspective progressiste de principe .

Le récit progressiste est étroitement lié à la thèse du désenchantement du monde .

Le désenchantement du monde comme concept paraît prendre à bras le corps cette étrange évidence, à savoir que la civilisation occidentale moderne semble sécularisée, sans Dieu – dépourvue de « religion », cet objet social qui semble pourtant omniprésent dans l'histoire du monde .

Il n'est pas impossible que cette vision soit celle d'une myopie toute particulière de l'Occident, et que l'idée progressiste d'une sécularisation liée aux progrès de la raison et de la science ne masque le passage de l'ère de l'Église à l'ère du Spectacle comme mode de représentation et de justification de la domination . Cette position de la société du Spectacle est assurément beaucoup plus subtile .

La thèse du désenchantement repose en effet sur un solide soubassement idéologique . Elle suppose que le monde a été enchanté par les anciennes religions, bref que celles-ci ont orné le Vrai Monde de paillettes et de mythes – mais que l'homme moderne, a un accès au Vrai Monde qui lui permet de dire que le monde des anciens était enchanté . Seul petit problème : la prétention de mettre fin au cycle de l'interprétation, de connaître sans médiation le Vrai Monde est d'une prétention exorbitante . Les modernes n'ont pas plus accès au vrai monde que les autres – le progressisme est une mythologie sans valeur de vérité .

L'opération idéologique et pratique de réduction est la suivante : la bourgeoisie impose de force comme seul valable le lien d'échanges matériels neutralisé de toute humanité ; et elle pose ce processus de forçage du monde et d'exploitation maximale de la main d'œuvre comme la progressive révélation d'une nature de tout lien possible, donnant à l'ensemble l'aspect illusoire d'un phénomène naturel incontournable . Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. Les liens humains sont tissés par la souveraineté humaine . Les hommes, vaincus, sont forcés ainsi d'envisager leurs liens avec des yeux désabusés, parce qu'ils sont construits ainsi par le capitalisme, et nullement parce que de nature il seraient ainsi .

En clair, la prétendue sécularisation, ou désenchantement du monde, n'est pas la révélation dans une pentecôte de l'esprit bourgeois de l'essence du monde . Le désenchantement du monde est la réduction forcée de l'ensemble des liens de l'homme avec les autres hommes, et avec le monde, vers le modèle unidimensionnel du lien de l'échange matériel . Il se nomme salariat, pour les liens entre les hommes, ou propriété, défini comme puissance la plus absolue sur les choses possédées, pour les liens avec le reste du monde, animé ou inanimé .

LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE ET L'ONTOLOGIE .

Nous pensons d'abord qu'il faut changer le monde . Nous voulons le changement le plus libérateur de la société et de la vie où nous nous trouvons enfermés . Nous savons que ce changement est possible par des actions appropriées . Debord, 1957

La thèse fondamentale de la Société du Spectacle est celle d'un éloignement du contact authentique avec l'être . Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans la représentation . Ce qui était l'élément vital directement vécu, c'est ce que le texte passe sous silence . La Société du Spectacle appelle une ontologie qu'elle ne fournit pas .

Mais par contre, Debord est parfaitement conscient de l'auto-production de la société moderne, du Spectacle et de l'ontologie : le Spectacle est « une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite . C'est une vision du monde qui s'est objectivée » . Vision du monde et classifications, ontologie, il n'y pas là d'opposition de sens, mais plutôt une précision supplémentaire . La société moderne produit conformément à son ontologie, produit une accumulation d'objets ; elle parle d'objets, compte des objets et des échanges d'objets ; elle tend à remplacer la parole par la monnaie comme norme de base des échanges humains, le droit par le marché, l'amitié par le contrat, le lien par le mythe de la toute puissance individuelle . Dans la Weltanschauung moderne, les hommes opprimés ne peuvent se libérer qu'avec davantage d'argent, travailler plus pour gagner plus – une poursuite parfaitement illusoire . Les temps libérés produits par l'argent sont des indépendances éphémères du Système – de très bonnes choses, des images des choses telles qu'elles devraient être, mais des moments gagnés par le sacrifice du reste de l'existence au Système .

Accepter telle quelle la construction sociale de la réalité est accepter la réalité de la domination du capital, qui auto-produit sa réalité . Il y a circularité tendanciellement fermée, système . La société et la vie où nous sommes enfermés s'auto-produit, et « la réalité » est un ensemble fonctionnel de cette société globale . Très clairement, il n'est pas sérieux de continuer à croire dans le récit progressiste, de continuer à adhérer à l'idéologie racine et à l'ontologie de la chose, à glorifier le monde des choses que même la physique moderne déconstruit, à vouloir un monde machinique ou mega-machinique, à proclamer que rien d'autre n'est que le désert de la réalité moderne, et à prétendre être porteur d'une pensée révolutionnaire .

L'idéologie lacanienne de l'ontologie est à ce titre un poison suprême, puisqu'elle prétend remédier aux contradictions et aux circularités perverses de la réalité construite par le capital – mais de l'intérieur de cette même ontologie, qui traite avec mépris l'ensemble des ontologies du passé . Le sentiment colonial de supériorité, qui permet de maintenir la fiction progressiste – voilà une raison du succès de la « psychanalyse » . Le premier venu peut venir dire au sage des civilisations étrangères ce qu'il pense vraiment, et dire du Livre saint ce qu'il dit exactement, l'interpréter mieux que lui-même le comprend ; et une telle sotte prétention doit être abandonnée . Il n'existe pas de fin au cycle de l'interprétation – et la motivation pour la psychanalyse n'a nul besoin de grande profondeur pour être interprété comme le dispositif herméneutique fonctionnel de l'idéologie racine, qui est chargé d'expliquer en terme d'ontologie de la chose pourquoi des « étants » de fiction ( terme qui désigne les ontologies autres que celle du psychanalyste ) peuvent avoir dans l'histoire et la culture des hommes une importance aussi voyante, aussi grande – alors même que notre ontologie ne croit sincèrement qu'aux causes, et à la puissance matérielle, et à l'argent . Seul un pli quelconque du désir individuel, prétendent-ils, comme le vague souvenir du bonheur d'avant la naissance, et j'en passe d'autres, peuvent expliquer en termes matériels les expériences spirituelles relatées par la tradition, sans parler de tous les phénomènes qui ne respectent pas les « lois de la nature » de l'idéologie . Bien sûr, l'homme a besoin d'être la dupe du symbolisme, car les non-dupes errent . Et après ? Luhmann fait cette remarque fondamentale que les systèmes psychiques identifiés comme individuels, en tant que fonctions des systèmes sociaux, ne sont pas par essence plus connaissables qu'eux . La psyché individuelle est une fonction, et non un fondement de la totalité . Au fond le lacanisme est la bénédiction cardinalice de l'enfermement, de ceux des esclaves qui croient pouvoir ruser avec leurs chaînes . Mais on ne ruse pas avec des chaînes .

La reconquête de l'immédiateté est une reconquête de la jouissance d'être, jouissance qui n'est pas médiatisée par des choses . La question est celle de la sortie . Les hommes enfermés dans l'idéologie racine sont de ces esclaves qui rendent hommage au logos souverain de leur maître, et qui sont incapables de se donner la puissance de penser une sortie de leur enfermement . Ces hommes ne pensent la sortie qu'en terme de remplacement des maîtres, d'imitation des maîtres . Ils veulent être riches, avoir de grosses voitures, des femmes blondes et fines, passer à la télé . Voilà le modèle fonctionnel du révolté . En imitant les maîtres, ils permettent l'existence d'une cascade de produits imitant ceux des maîtres, puis des imitations d'imitations, des voitures, des vêtements, des objets, le fonctionnement type de la société de consommation que l'on retrouve dans toutes les lignes de produits . De telles révoltes imitatives ne sont pas sans âpreté, sans légitimité, donc sans valeur ; mais le monde ne peut plus s'en contenter .

Ce qui est dans votre ontologie, c'est ce qui peut être un support de motivation . Et aussi un support de jouissance . Penser la sortie, c'est penser la sortie de l'idéologie-racine, se doter d'autres ontologies, d'ontologies indéterminées, luxuriantes comme la vie terrestre, et comme les mondes célestes - c'est sortir de l'idéologie racine .

Je veux cependant donner un cas de sortie extrêmement documenté et surprenant, puisque étant celui d'un penseur de référence de la modernité, homme rationaliste respecté du XIXème siècle et du XXème siècle, philosophe bien connu des amateurs de philosophie américaine, je veux parler de William James . James n'est pas sorti des cadres de l'idéologie racine par une expérience intime bouleversante, mais par l'examen méthodique, rationaliste, de témoignages portant sur des phénomènes « psychiques », « spirites » . Son témoignage a la valeur toute relative à notre cycle d'être très proche dans sa mentalité et dans son parcours des réquisit de la « science » moderne, et d'être ainsi largement accessible – de ne pas être un coup de révolver .

William James fit ainsi une enquête personnelle sur les lieux où un cas de clairvoyance avait été manifesté par la presse . Une femme, dans un rêve, avait vu le corps noyé d'une disparue ; elle avait alerté les secours, qui avaient retrouvé le corps dans des conditions très étranges, étant donné l'extrême précision de la localisation fournie . Pour autant la voyante avait été jugée innocente de toute participation possible à la noyade, très probablement accidentelle . James fit des interviews de tous les acteurs immédiatement ; et ses conclusions sont les suivantes : « Il était assez clair qu'aucune de ces trois explications naturelles (c'est à dire ontologiquement conformes à l'idéologie : meurtre, suicide annoncé, témoignage d'un accident) n'avait la moindre vraisemblance . Un lecteur pour qui l'hypothèse de la clairvoyance est impossible aurait plus d'avantages à expliquer le cas comme dû à une coïncidence fortuite très exceptionnelle . C'est ce que je ferais moi-même sans hésiter, de pareils cas fussent-ils rarissimes (mais ce n'est pas le cas) (...)mon point de vue personnel sur le cas Titus est par conséquent le suivant : voilà décidément un document solide en faveur de l'admission d'une faculté surnormale de clairvoyance (…) » (comptes rendus de la Société américaine de recherches psychiques, 1907, Vol 1, part. 2) .

Et un an avant sa mort, ces propos dans un article extrêmement puissant, à la fois sceptique et fantastique, confidences d'un psychiste : « depuis ce temps, j'en suis venu à considérer l'écriture automatique comme appartenant à un domaine de l'activité humaine aussi vaste qu'énigmatique . Toutes sortes de personnes peuvent y être soumises (…) et quiconque entretient en soi cette faculté se trouve créateur d'une personnalité étrangère quelconque (...)La région de notre subconscient, en règle générale, semble être dominée ou par une folle volonté de faire croire, ou par quelque curieuse force extérieure qui nous pousse à la personnification . (…) . Je veux attester du caractère habituel de ce phénomène .

Ce que je veux attester tout de suite après, c'est la présence – au milieu de tout l'appareil de la farce – d'une connaissance vraiment surnormale . J'entends par là une connaissance dont l'origine ne saurait être attribuée aux sources ordinaires d'information – je veux dire les sens du sujet . Chez les médiums réellement forts, cette connaissance paraît être nourrie, bien qu'habituellement elle soit lacunaire, capricieuse et décousue (…)

De toute mon expérience ( et elle est assez limitée) émerge une seule conclusion (…) c'est que nous autres, avec nos existences, nous sommes comme des îles au milieu de la mer, ou des arbres dans la forêt . L'érable et le pin peuvent se communiquer leurs murmures avec leurs feuilles, et Conanicut et Newport peuvent entendre chacune la sirène d'alarme de l'autre . Mais les arbres entremêlent aussi leurs racines dans les ténèbres du sol, et les îles se rejoignent par le fond de l'océan . De même il existe une continuité de conscience cosmique contre laquelle notre individualité ne dresse que d'accidentelles barrières, et où nos esprits sont plongés comme dans une eau mère ou un réservoir . Notre conscience « normale » est assujettie à s'adapter non seulement au milieu terrestre qui nous entoure, mais en certains points, la barrière est moins solide et d'étranges influences, venues de l'au delà, vont s'infiltrant, qui nous montrent cette dépendance commune, autrement invérifiable (…) En supposant l'existence de ce réservoir commun de conscience, cette rive de laquelle nous approchons tous et où tant de souvenirs terrestres se trouvent emmagasinés, sans quoi les médiums ne sauraient les atteindre comme ils le font, quelle en est la structure ? Quelle en est la topographie intérieure ?

J'attire votre attention sur la démarche : les « médiums » font des choses que l'ontologie de base ne peut expliquer . James doit donc supposer un réservoir psychique impersonnel qui dépasse les psychés individuelles, mais peu structuré . James sort de l'idéologie racine parce que ses expériences vécues l'ont convaincu que l'ontologie « naturelle » ne pouvait permettre de comprendre des faits dont il avait eu soit des témoignages précis et concordants, soit une expérience directe . Sa théorie du réservoir d'âme impersonnelle est une hypothèse née de son expérience . Ce qui me paraît important, c'est que la thèse des causes naturelles lui paraît insuffisante . Dit autrement, James confronte l'ontologie racine à l'expérience il y a plus d'un siècle, et en conclut à l'insuffisance de cette ontologie . Pourtant, on lit encore James, mais pour ainsi dire pas ces recherches dites « spirites » .

Je crois que le problème qu'elles posent est leur contradiction non avec des faits, mais avec des intérêts, les intérêts de l'oligarchie du Système – non que ces phénomènes aient la moindre importance, bien sûr, mais il est essentiel que l'idéologie – racine fonctionnelle ne soit pas remise en cause, ni par ce genre de recherche des marges, ni par un excès de religion, ni par une vulgarisation exagérée de la mécanique quantique, ni par rien d'autre . D'un point de vue purement intellectuel, cette idéologie est morte de chez morte – elle n'est est pas moins l'idéologie de référence de tous les intellectuels du spectacle, des médias, des systèmes d'enseignement, et de tous les cadres techniques du Système . Elle est l'idéologie de référence des idéologues de gauche fonctionnels, et de droite fonctionnels – et des hommes comme Guénon ou Évola, ayant développé d'autres horizons ontologiques, sont condamnés aux enfers des bibliothèques plus sûrement que tous les livres les plus violemment pornographiques des siècles passés . Sade peut se trouver dans une bibliothèque municipale d'une ville moyenne, sûrement pas Guénon – les états multiples de l'être de Guénon est infiniment plus subversif que toute l'œuvre de Sade pour l'idéologie libérale .

QUELLE EST LA FONCTION EFFECTIVE DE L'ONTOLOGIE ? EFFETS LIMITANTS DE L'IDÉOLOGIE RACINE SUR LES FORMES DE COMPORTEMENTS .

Cette fonction est en réalité très simple . L'ontologie définit dans la communication générale les formes d'étant légitimes, les objets de désirs légitimes, et donc les classes de comportement légitimes dans la société de référence . Une société comme l'Inde traditionnelle, avec son ontologie incroyable, permet une indéfinité de comportements légitimes, tout à fait contradictoires entre eux . Un homme nu qui se roule dans les cendres de cadavres n'attire pas d'attention particulière, pas plus qu'un homme nu errant dans une forêt . De tels hommes seraient immédiatement arrêtés et conduits au poste en ce monde .

L'ontologie exerce ses limitations sur les actes socialement acceptables . Dans une société marchande ou seigneuriale, sortir des déterminations de famille est très difficile à réaliser ; mais la foi médiévale permis à Saint François de rendre sa richesse à son père, ou à Thomas d'Aquin d'échapper non sans difficultés à sa famille . Une société ayant plusieurs mondes peut légitimer, ennoblir une volonté de sortie de l'ordre social . Dans le renoncement à la chair, Peter Brown montre que le refus des liens du mariage chez les chrétiens de l'Empire Romain est avant tout une subversion de l'ordre civique, qui oblige à la procréation . L'Évangile raconte des cas spectaculaires de ces sorties : celle d'un jeune homme riche qui voulait suivre Jésus – vas, donne tout ce que tu as et suis moi ; celle des pêcheurs qui laissent là leurs bateaux : je vous ferais pêcheurs d'hommes . Et ces mots superbes : regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et pourtant notre père céleste les nourrit . Regardez les lys des champs : le Roi Salomon dans toute sa gloire ne fut pas habillé mieux qu'eux . (...)Aussi ne vous souciez pas du lendemain, il se souciera de lui-même . La puissance de sortie de tels mots pour l'ordre social se ressent encore de leur brutalité .

Le renoncement comme mode de sortie est un exemple que je ne prêche pas, même si on le retrouve tant chez les Cyniques grecs que chez les sannyasins de l'Inde . Le Système qui veut la mobilisation totale, et s'appuie sur l'humiliation des pauvres pour cingler ceux qui travaillent, ne peut accepter la généralisation de motivation à vivre une vie humaine qui lui soit totalement étrangère . Il faut arrêter de se la raconter sur le désenchantement fonctionnel du monde . Ce que je cherche à montrer, c'est que le Système promeut une religion « rationnelle » ou pas de religion du tout, le Système promeut une ontologie extrêmement étroite non pas esprit de vérité, mais parce que cette ontologie ne laisse aux hommes que cette alternative : travailler plus pour gagner plus, ou travailler moins pour gagner moins, le choix entre le libéralisme bestial et jouisseur des libéraux, et le puritanisme écologique de la décroissance . Sans jamais laisser la voie à cette réalité : par exemple les grecs travaillaient moins et gagnaient infiniment moins, et jouissaient tellement plus que nous...

La révolution appelle une révolution dans la réalité - l'invention d'une autre réalité . William Blake dirait : l'ouverture des portes de la perception .

Postface : L'unité naturelle de la guerre métaphysique - ontologique, de la contestation de la domination, de la poésie .

Dialogue du groupe Gullo Gullo avec Nossack :

« Mettez vous dans la tête que la guerre n'a pas été déclarée, mais qu'elle est commencée depuis longtemps et qu'il faudra bien qu'elle finisse .(...) Il y a bien dans ce pays de l'ordre, une morale et enfin une police . Nous vous exterminerons comme des chiens enragés ! Il ne restera rien de vous, rien qu'une fiche de police (…)
-Herr Nossack, calmez vous . En réponse à ce que vous dites de (…) la traque dont nous sommes l'objet, écoutez les vers du Danois Vagn Steen :
« Tu as beau attraper l'oiseau, tu n'attrapera pas son vol,
Tu peux bien dessiner la rose, tu ne peindra pas son parfum .
En bref le danois dit que quelque soit votre nombre, vous ne pouvez rien contre nous . (...)vous tous qui pensez ainsi, vous serez vaincus par la philosophie et la poésie, vaincus par la martre...
-Vermine communiste, comment osez vous faire un rapprochement entre la poésie et l'histoire, entre la vie et des vers de ce genre !


Il reste deux études à conduire : le lien entre la poésie et la vie – comment osez vous ? Et le lien entre la philosophie et la recherche du réel .

Vive la mort !

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