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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 7 octobre 2020

L'incarcération du monde et la lutte pour la liberté .

Je ne suis pas un critique littéraire . Si les lectures m'intéressent, c'est en temps qu'expliquant des structures de l'existence humaine, existence qui est comme une voile tendue de contraires . Pour pleinement saisir cela, il est sans doute préférable de lire les œuvres citées, avant ou après . Par ailleurs, une pensée n'est pas pour tous . L'Afrique du Nord se révolte . Très probablement, les faits sont en cours, tout va changer pour que rien ne change – l'oligarchie va légèrement se déplacer, sans plus . Comme en France en 1830 ou en 1848, de nouveaux régimes vont se mettre en place qui vont « moderniser » la façade politique des pays . Les puissances du négatif, dans ces pays, ne peuvent guère aller au delà . L'impérialisme intensif et extensif du Système ne peut se jouer seulement sur ces périphéries . Mais les élites spirituelles, étudiantes ou non, de ces pays, peuvent commencer à prendre conscience d'elles-même et de leur guerre essentielle . Le centre de la guerre peut lui, être périphérique – la TAZ n'a pas de lieu . Le centre de la guerre en cours n'est pas – malheureusement - les manifestations des périphéries . La lutte contre de vieilles oligarchies corrompues adossées à des dictatures policières relève de l'évidence, et donc de la normalité dans le Système . L'immense espoir des hommes est assimilable, et l'impact des révoltes amorti, exténué . Si - par contre - un peuple se soulevait pour chasser du pouvoir une oligarchie locale labellisée par « le monde libre », si le même phénomène avait lieu en Grèce ou en Irlande, le sens de tels évènements serait nettement révolutionnaire . Mais nous ne sommes pas encore dans une telle situation . Si ce diagnostic pessimiste à court terme était avéré, si l'assimilation des révoltes populaires devait se confirmer, l'involution des élites révolutionnaires doit les conduire non au désespoir, mais au travail de pensée . Un tel travail doit être rigoureux, mais n'est pas austère par nature – sinon parce que les produits de l'industrie culturelle habituent à la plus fade facilité, et qu'il fait rééduquer le goût à des nourritures plus fortes, plus épicées, plus capiteuses . Les élites spirituelles peuvent découvrir et redécouvrir leur tradition et leur patrie, qui ne sont pas dans les civilisations mortes, mais qui est le pays de l'aube des mondes . Les mondes humains sont en ruines ; le monde doit être renouvelé pour redevenir une patrie, un lieu où vivre pour les êtres humains . Le centre de la guerre n'est pas géographique mais spirituel . Ce qui s'inaugure à nouveau, c'est une guerre de civilisation, une guerre civile mondiale . L'Univers moderne, de plus en plus, apparaît sous son visage d'incarcération des mondes humains . Les prisons ne sont plus les camps des totalitarismes passés, mais les multitudes de bracelets électroniques, dont les moindres ne sont pas les virus cérébraux de l'idéologie racine, ces spires conceptuelles et matrices verbales qui rendent invisibles les réseaux de soie qui lentement, recouvrent le monde et l'étouffent . Face à l'étouffement du monde, les hommes prisonniers des idéologies modernes en viennent à se sentir criminels, c'est l'effet de l'hypersocialisation, de la culpabilisation par l'idéologie, où par réaction à admirer les criminels . Ce admiration est massive depuis plus d'un siècle et caractérise le présent cycle . C'est le sujet de deux courts textes du XIXème siècle : le bonheur dans le crime de Barbey d'Aurevilly, auteur de tradition catholique ; et de Marx, bénéfices secondaires du crime . A quelque chose près les hommes sont contemporains, du XIXème siècle, et placés dans des cases ennemies . Les oligarchies bousculées par les révoltes de l'Orient sont les parties visibles d'immenses icebergs formés, sédimentés depuis des dizaines de lunes, par le rire de glace du Système . Le visible est un brouillard, une illusion, non pas rien, mais pourtant égarement . Le recul du temps permet de retrouver le fil d'Ariane du déroulement du temps . Le monde du spectacle est le monde de la propagande omniprésente . Les murs de nos prisons sont fait des grands mots et des images séduisantes, des images sexuelles, des sirènes de l'Ancien monde . Les murs de nos prisons sont beaux, excitants, maîtres des illusions . Les illusions politiques sont aussi des illusions . L'Ancien monde est le nôtre, vu dans une perspective de puissance, de délivrance et de renouvellement : de révolution . Il est le nôtre par la négativité qui le creuse, les gouffres percutants que voilent le chaos des images . La vérité du monde moderne n'est pas la liberté qui s'affirme dans le Spectacle . Ni en Afrique du Nord, ni dans l'ancien monde libre, ni dans les ex-pays communistes . Le monde moderne est l'héritier du monde bourgeois critiqué par Marx, il est le monde de la maximisation de la production, de la croissance économique ; il est le monde du Capital, ou plutôt du Système dont le capital, et aussi le Spectacle, sont une fonction vitale et une métonymie . La liberté dont il se pare est la liberté du Capital d'écraser les hommes dans le salariat, comme des agrumes dont il faut retirer le jus, et de monter des pyramides de richesses pour les livrer à l'adoration du peuple . Le Système moderne n'a libéré personne de l'antique esclavage du besoin, et n'a eu de cesse de le redoubler, de supprimer les temps et les espaces sans contraintes, les pays de transhumances, les mers du Sud, les carnavals, les fêtes orgiaques de régénération du monde, les hommes libres, en redoublant toujours davantage les besoins, en instrumentalisant les désirs pour dominer et aliéner . C'est le propre travail de l'homme, sa propre activité, qui en se sédimentant secrète les prisons indéfinies, molles, où il s'englue, s'envase, insensiblement, sans même se rendre compte de la rigor mortis qui se propage d'abord à son esprit et à son âme . Dans le Système comme dans les camps, les prisonniers construisent leurs prisons . Mais dans la version libérale du Système, c'est le jeu de la « liberté individuelle » et du « marché libre et non faussé » qui construit indéfiniment les cases et les toiles d'araignées qui s'accumulent dans tous les mondes, pour former une prison à l'échelle mondiale, sans extérieur géographique . Les hommes sont des boîtes, des cercueils qui se déplacent . La liberté est l'objectif officiel indéfiniment reporté dans l'avenir du troisième totalitarisme, sur un schématisme analogue au modèle soviétique . Les peuples qui se révoltent doivent cesser de croire au promesses de liberté, l'exiger immédiatement – pas de confiture hier, confiture demain, mais confiture aujourd'hui . La liberté n'est pas, si elle n'est pas immédiate . La liberté médiatisée par le Spectacle est la fausse liberté des modernes : la liberté effective du spectacle, et le spectacle de la liberté de l'homme . Cette liberté est à la liberté ce que la pornographie est au sexe – structurellement analogue, et également misérable . Le report temporel est toujours indéfini, mortel pour la puissance qui se déploie – cette puissance ne peut être reportée . Toute l'histoire des conflits politiques l'atteste : ceux qui veulent le plus vite négocier et promettre sont des membres de l'oligarchie . L'oligarchie est l'ensemble des hommes au service du Système, et elle doit tomber avec la chute de Babylone . Comme se précipitent pour négocier les hommes des syndicats, les représentants de la technocratie mondiale, les prix Nobel ! Mais négocier quoi ? Avec qui ? Et quel Saint Simon sardonique pourrait dépeindre ces chefs d'État, ces ministres de pays du Sud choyés par les puissants des pays riches, qui deviennent d'un seul coup, en perdant leur pouvoir dans leurs États, des corrompus, des tortionnaires, des criminels, ce que personne, oui personne ne savait...les mandats d'Interpol...la moralité soudaine des personnels politiques et humanitaires, quelle corruption, quelle amoralité ne manifeste-t-elle pas massivement chez les dirigeants européens et américains, quelle hypocrisie, quelle moraline ! Qui peut douter que les même fermeront les yeux sur la remise en ordre brutale, mais discrète, des nouveaux régimes ? Le nouveau monde bourgeois est analogue à l'ancien ordre victorien, moral et répugnant . La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes . Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. Les manifestations, les grèves, ne peuvent plus suffire aux nouvelles formes d'oppression . Parce que le monde nouveau ne peut se dire dans les mots du système, dans sa liberté, dans sa fraternité de spectacle, dans sa tolérance de pacotille . Le Système réduit l'ensemble des hommes à des fonctionnalités, des outils, des instruments animés au service de la production et/ou de la consommation . L'outil animé, c'est la définition antique de l'esclave . Des grands humanistes veulent libérer les animaux, sans voir que les ouvriers du tiers monde sont moins que cela . L'Aigle est plus que l'outil animé, que l'animal de trait, que l'homme moderne . L'activité humaine libre produit les murs qui l'enferme, si la destruction n'est pas vantée . Les hommes des anciens mondes savaient qu'il ne fallait pas travailler au delà du nécessaire – c'est la sagesse de l'Ecclésiaste . Vive la mort . Une société de croissance et de travail à la moraline, c'est la voie directe vers l'enferment de toute liberté . La destruction est légitime . La rage est légitime . La négativité est la seule source de toute création . L'homme n'est homme que par la création . La création est la négation de ce qui est . L'homme le plus puissant est une puissance de négativité . Une société où l'on crée moralement, avec respect, où l'on crée pour s'indigner, est une société qui ne respecte pas l'essence de l'homme, une société de mouches qui secrètent leur toiles d'araignées . Le Diable est, analogue à Adam, le premier créateur de mondes à partir de l'indistinction de l'Éden . Plus exactement, c'est la Lumière, la séparation, qui fait exister la Ténèbre, donc la liberté . Les diaboliques fascinent dans un monde d'enfermement moral sans précédent . Comme l'écrit aussi Hakim Bey dans Zone interdite : les principales sources d'énergie créative du Spectacle sont toutes en prison . Si vous n'êtes pas une famille nucléaire, si vous n'êtes pas en voyage organisé (…) Babylone se fait haine devant quiconque prend réellement plaisir à la vie (…) vous devez, par définition, être en train d'enfreindre une loi . C'est pour cette raison qu'il est un bonheur dans le crime . Barbey d'Aurevilly fut, comme tout vrai poète, du parti du Diable sans le savoir . Marx sait voir le Crime, mais il le pense comme utilité bourgeoise : Le criminel produit une impression tantôt morale, tantôt tragique, et rend un « service » en piquant au vif les sentiments moraux et esthétiques du publie. Il ne produit pas seulement les livres de droit criminel, la loi criminelle elle-même, et ainsi les législateurs, mais aussi l'art, la littérature, les romans et les drames tragiques dont le thème est la criminalité, tel que Œdipe et Richard III, ou Le Voleur de Schiller, etc. Le criminel interrompt la monotonie et la sécurité de la vie bourgeoise. Il la protège ainsi contre la stagnation et fait émerger cette tension à fleur de peau, cette mobilité de l'esprit sans lesquelles le stimulus de la compétition elle-même serait fort mince. Il donne ainsi une nouvelle impulsion aux forces productrices. Le crime peut légitimement être pensé comme la cause et la justification des organes de répression, qui ont besoin du criminel – et de même que l'on peut poser que l'Inquisition a crée les sorcières pour exister plus intensément, il est possible de poser que l'ordre susciterait des criminels s'il ne s'en trouvait pas des tout faits, pour justifier son existence . Il fait cependant reconnaître que l'abolition de toute répression ne produit pas le retour à l'Éden, mais le règne anarchique des puissants, la guerre civile – ce qui suffit à contester l'anarchisme naïf . A Pitcairn, les naufragés du Bounty s'entretuèrent presque jusqu'au dernier ; et les zones sans ordre du monde ne sont pas des Woodstock, mais des zones grises du crime organisé . Assurément l'ordre juste doit être collectivement construit . Le « crime » n'en est pas moins libérateur quand l'étouffement autorise la résistance à l'oppression . Dans la nouvelle le bonheur dans le crime, Barbey évoque la passion d'amour entre Hauteclaire Stassin, fille d'un vieux maître d'armes sans fortune, redoutable escrimeuse, modèle d'homme libre et puissant, avec cette sauvagerie essentielle qui la fait sublime, sexuelle, à la fois glaciale et brûlante – qui la fait défier du regard une panthère, et lui fait baisser les yeux, dans la présentation du personnage - et le comte de Savigny, notable local, dans V..., une petite ville bornée de la Normandie rurale . La passion entre Hauteclaire et le comte, qui a fait un mariage traditionnel naît à petit feu, discrètement, évanescente ; et quand Hauteclaire disparaît de la ville, Barbey a ces phrases d'une véracité cruelle digne du Manifeste de Marx : « comme les autres jeunes filles de la ville – internées dans cette case d'échiquier d'une ville de province comme les chevaux dans l'entrepont d'un bâtiment . » Il convient de penser aux implications de ce propos . L'internement est le sorte d'enfermement que l'on fait alors au fous ; mais surtout l'image des chevaux dans l'entrepont d'un navire évoque irrésistiblement le sort des esclaves noirs – des espaces étroits, sans lumière, des entraves, un enfermement, une détresse sans limites . C'est alors la forme la plus absurde et la plus cruelle de l'esclavage, car l'homme matière première de l'industrie, l'usine d'extermination, n'avait pas encore été inventée par le déroulement implacable du progrès . Disons le : les jeunes femmes stupides sont des esclaves, des bêtes, bêtifiées par leur éducation aveuglante, soit paysannes et soumises, soit nobles et non moins aveugles : « C'était (la femme du comte de Savigny) une vraie femme de V...qui ne savait rien de rien que ceci : c'est qu'elle était noble, et qu'en dehors de la noblesse, le monde n'était pas digne d'un regard...le sentiment de leur noblesse est la seule passion des femmes de V... (...) » Barbey ne peut dissimuler ceci, qu'il insinue au milieu de commentaires moralisateurs : les femmes de V...sont des chevaux internés, et éduquées à l'aveuglement et à la soumission à un ordre mesquin et mortellement ennuyeux . La femme du comte de Savigny est une figure de l'aliénation, comme est une figure de l'aliénation moderne la jeune fille de Tiqqun . Comme la jeune fille de Tiqqun, elle se voit grande, noble et libre dans son miroir, sans aucune voie d'accès à la conscience de son emprisonnement . La jeune fille rangée dans ses cases peinturlurées, enivrée de musique bling bling, dans l'entrepont des centres commerciaux et des travaux de services : Telle fut l'évolution récente du monde, son intégration intensive et extensive renouvelée : Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. En clair, la révolte de la sublime Hauteclaire Stassin, qui ne fut ni diminuée ni aveuglée par cette éducation mortifère, mais qui est un félin sauvage, est parfaitement légitime . Il est aisé, en parcourant cette nouvelle, de montrer que Barbey est du parti du Diable, que le meurtre de la femme du comte de V..., qui permet le mariage scandaleux du Comte et de Hauteclaire, l'alliance de deux êtres humains parfaitement nobles, puissants, beaux et sains, est presque fatale . Et l'époque ne s'y trompa pas, qui commença par interdire le livre . Le XIXème siècle, le siècle de Darwin, est cynique et machiavélien . Tel est aussi le fond du récit de Barbey . (…) la pureté de ce bonheur, souillé par un crime dont j'étais sûr, je ne l'ai pas vue, je ne dirais pas ternie, mais assombrie une seule minute ni un seul jour . (…) c'est à terrasser, n'est-il pas vrai ? Tous les moralistes de la terre, qui ont inventé le bel axiome du vice puni et de la vertu récompensée ! On pense à Sade et à Justine, mais voyez Stirner : Dès l'instant où il ouvre les yeux à la lumière, l'homme cherche à se dégager et à se conquérir au milieu du chaos où il roule confondu avec le reste du monde. Mais tout ce que touche l'enfant se rebelle contre ses tentatives et affirme son indépen­dan­ce. Chacun faisant de soi le centre et se heurtant de toutes parts à la même prétention chez tous les autres, le conflit, la lutte pour l'autonomie et la suprématie est inévitable. Vaincre ou être vaincu — pas d'autre alternative. Le vainqueur sera le maître, le vain­cu sera l’esclave: l'un jouira de la souveraineté et des « droits du seigneur », l'autre remplira, plein de respect et de crainte, ses « devoirs de sujet ». Notre navire, notre prison, notre Titanic qui fonce aveuglément sur une eau glaciale, dans la brume, pour gagner on ne sait quelle terre d'opportunités, la terre promise du spectacle, sinistre inversion de la Terre où coulent le lait et le miel, le pays des quatre fleuves . Le Dream a Dream land du Système, qui ne cesse de se dérober dans l'avenir, comme un mirage qui nous entraînerait vers les naufrages, vers le Kraken de la fin du Cycle, non vers les monstres qui gardent les extrémités de l'océan . Nous y sommes comme des chevaux dans l'entrepont, mais nous pouvons encore penser, nous pouvons encore choisir d'être Hauteclaire Stassin, c'est à dire celle qui porte l'épée . Barbey, par la gloire de Hauteclaire et de Savigny, et pour leur crime violent, est dans une sympathie pour l'épée qui est celle du Marx du Manifeste à l'échelle de la société : En somme, les communistes appuient en tous pays tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre social et politique existant. Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement. Enfin, les communistes travaillent à l'union et à l'entente des partis démocratiques de tous les pays. Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Bien sûr, le choix de la révolte contre le destin de machine animée qui est le leur, et le nôtre – Marx, Barbey, Hauteclaire, le comte, nous – est aussi l'affrontement de la morale collective, de l'isolement : abandonnés et solitaires comme ils l'étaient...note Barbey . Le choix de la révolte est le combat contre la fatalité sociale qui interdit même leur lien d'amour, fatalité sociale qui est négation morbide de leur vie essentielle . Comme cela a été démontré, nul autre amour n'est pareil à l'extase de l'instant où un souffle adhère à un souffle dans un baiser (...) la bouche est puit du souffle, porte de l'esprit et des trois mondes. (...) les souffles deviennent Un - un seul amour. Qu'il me baise des baisers de sa bouche, que son souffle puisse être uni au mien et ne se sépare jamais de lui - Zohar, repris par Pic de la Mirandole . Le choix de la révolte est le choix de la respiration des mondes, du souffle qui porte Hauteclaire Stassin, et le Comte de Savigny, d'une révolte par tous les moyens, par delà le Bien et le Mal, y compris par violence et par ruse, et par masques . Une liberté si grande et si sauvage a attiré la haine du bétail . Mais qu'importe le bétail ! Tous ceux qui se sont résignés haïssent la splendeur héroïque du désir de Hauteclaire et du Comte, leur combativité ivre et rieuse, la volupté éclatante de leurs embrassements, leur mépris de la respectabilité des morts vivants– . Déjà Iseult, splendeur féline et délicieuse dans un monde de fer, fut livrée aux lépreux – mais ceux-ci la respectèrent mieux que les piliers de l'ordre pourri du royaume...déjà Tristan combattit par l'épée . Et nôtre âge est âge de haine, de colère et d'hostilité . Car la fin de l'ivresse de la croissance est la gueule de bois du rationalisme progressiste, sa transformation en haine hystérique, malveillante, en accumulation de contraintes légales, en âge de la boue . Le règne de la moraline, de l'indignation, quand Hakim Bey sait défendre le plaisir sauvage de la chasse . William Blake dit justement : l'Aigle ne perdit jamais autant de temps que quand il se résigna à écouter le corbeau . Car la splendeur de leur visage ne dit ni ne cèle, mais fait signe . « Cet air surhumain de la fierté dans l'amour heureux, qu'elle a du donner à Serlon (le comte), qui d'abord, lui, ne l'avait pas, elle continue, après vingt ans, de l'avoir encore, et je ne l'ai vu ni diminuer, ni se voiler un instant sur la face de ces deux Privilégiés de la vie . C'est par cet air là qu'ils ont toujours répondu victorieusement à tout, à l'abandon, aux mauvais propos, au mépris de l'opinion indignée (…) on leur tourna le dos . On les laissa se repaître d'eux tant qu'ils voulurent...seulement, ils ne s'en sont jamais repus, à ce qu'il paraît ; encore toute à l'heure, leur faim d'eux même n'est pas encore assouvie . » William Blake note : le visage qui ne donne pas de lumière ne deviendra pas étoile . Tel est le bonheur dans le crime . La jouissance dans le combat désespéré entre les mâchoires de la mort, quand le monde vous fait étouffer comme un poisson au fond d'une barque . Dans un ordre pétrifié, toute création, toute aspiration sauvage, toute grande passion imprévisible est finalement – un crime . La révolution est un crime, dans la perspective de l'ordre . Sortir des cales du grand navire ivre, de notre monde, ne peut être que le résultat d'un immense effort de pensée, de ressaisissement du destin de l'homme par l'homme, après des siècles de règne de la bourgeoisie et de l'idéologie racine, dans leurs formes indéfinies, à la variété largement illusoire . Ce monde est dans une impasse mortifère . Tout homme de désir et de pensée le sait obscurément, et ce aussi bien dans l'héritage de Joseph de Maistre et du dandysme – une révolte contre le monde moderne - chez Barbey d'Aurevilly, dans la tradition gnostique chez Blake ou Guénon, avec leur défiance envers l'Ancien des jours qui compte et mesure, chez Marx lui-même, ou chez le post-hippy sardonique Hakim Bey, si peu rigoureux . L'épée de la révolte de la vie et du souffle de l'être humain contre la cristallisation mortifère d'un ordre faux et menteur doit être forgée, tissée de ces forces éparses . Ce travail souterrain, charbonneux, ce travail dans l'obscur de l'obscurité, est une étrange et dangereuse alchimie . Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvais dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue . Mais voilà, il naît une pensée qui à nouveau, est l'ombre de la perspective de l'ordre . Nous sommes passés dans cette ombre, c'est fait -c'est la Zone interdite la plus réelle, un état d'âme, la dialectique, non une région du monde . Cet ordre de fer que nous condamnons, cet ordre est le crime . Et tout homme véritable est complice de crime . La race des innocents est éteinte . Nous avons au mieux les délices de l'Âge de fer, dans le crime, le bonheur dans le crime, et l'attente de l'Aube . Cette attente est un crime pour le Système ; mais dans la perspective de l'attente, elle est la respiration même . Sphinx... Vive la mort !

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