Il n'existe pas plusieurs réalités dans un monde. Il y a une réalité, et une indéfinité de mots vides. Tu peux toujours dire le contraire, c'est le propre des mots. Mais tu comprendras ce que je veux dire le jour où tu seras atteint d'un cancer dévorant, ou acculé contre une falaise par un prédateur à l'intérieur de ton corps. Pourquoi est-ce si difficile de le comprendre ? Ce jour là, que te vaudront la théorie des univers parallèles, ou les grandes phrases "c'est moi qui crée ma propre réalité ?"
Ceux qui parlent de la pluralité des réalités parlent de la pluralité des mots, et oublient une chose essentielle : l'unité de la réalité est, mais ne peut être dite. Les mots ne peuvent par nature dire l'un, mais seulement le divers. Ce que l'on ne peut pas dire est, et est d'une puissance plus grande que le dicible.
C'est pourquoi la puissance est une, et pourquoi les bavardages des hommes échouent à changer la réalité. Agir n'est pas parler ; parler n'est pas agir. Agir, pour un groupe humain, c'est se faire un dans l'action. Pouvoir agir, c'est être organisé et discipliné, pour passer d'un chaos d'actions et de rétroactions à somme nulle vers une puissance unique capable de bousculer la réalité, de la faire sortir de ses répétitions infinies, de porter l'aurore des autres mondes.
Dans cette perspective, l'individualisme libéral est l'organisation scientifique de l'impuissance des hommes au profit du seul ordre restant, l'organisation capitaliste toute puissante. La confusion entre la parole et la réalité, effective dans le langage, est aussi un symptôme d'asservissement, quand on pose que faire une assemblée délibérante, un débat à la télévision, est agir. Agir, c'est se soumettre toujours plus radicalement aux fins de l'action, et non s'agiter. Agir, c'est attendre silencieusement le kairos, comme le léopard attend dans les hautes herbes.
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