ISI

Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

samedi 5 novembre 2011

Le fétichisme de la marchandise, IV . Sur le dévoilement des leurres de leurres - le principe de laïcité .



(Piero della Francesca, rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba)

Le processus de réduction des liens humains, anthropologiquement si divers, aux liens formatés par le Système est passé en Europe, au XIXème siècle, par les différentes formes de luttes « anti-religieuses » – le mot même de religion, nous le verrons, étant en soi un concept nihiliste – luttes qui ont servi d'instrument du processus de désymbolisation indispensable à la production de la société des individus producteurs, consommateurs et parties contractantes fonctionnels au capitalisme . Si en effet l'hypothèse des idéologues du Système – la « religion » enferme, et la « lutte contre la religion » libère - était juste, il s'ensuivrait que la Terreur en France, comme la période de la terreur stalinienne, devraient être considérées comme d'intenses périodes de libération, car ce sont des sommets de destruction de la symbolique et de l'autorité « religieuse » . Le Mont Saint Michel par exemple devint une carrière de pierre, puis une prison, ce qui est le signe sardonique de la nature de la « libération » moderne . Le caractère émancipateur d'une position intellectuelle ne se vérifie que sur l'échiquier général des positions à un moment historique donné, et n'est pas attaché à la forme de la position . Bien au contraire, les périodes de « lutte antireligieuse » sont des périodes d'intensification extrême de l'autorité de l'État, et d'écrasement général, y compris physique, de la liberté individuelle . Il doit être sans cesse souligné que la suppression d'un pouvoir n'est pas, dans l'histoire, la création d'une liberté, mais son remplacement par un autre . En l'occurrence, le remplacement d'autorités traditionnelles par l'autorité capitaliste et la Sainte Alliance de l'idéologie racine .

Le principe de laïcité peut avoir plusieurs formulations . A vrai dire, la réalité d'un principe politique ne se pose pas à priori, par une définition rationnelle, mais se déduit de l'observation des ambivalentes pratiques sociales . Il existe deux interprétations principales du principe . L'une est que la puissance politique, créatrice de l'espace public, doit être dégagé de toute « appartenance religieuse » déterminée, et permettre la pluralité religieuse des individus et des communautés, y compris par un financement équilibré des différentes communautés . La puissance politique joue alors le rôle impérial de l'évêque du dehors, et invoque Dieu pour l'ensemble des communautés, pour formuler une idéologie non moins impériale de sa mission au service de la prospérité du monde et de la liberté – la forme sacralisée de l'idéologie libérale . Il semble que le monde anglo-saxon le pratique parfois ainsi . L'autre est que l'espace public, et le processus de constitution d'une communauté politique passent par l'élimination du « religieux », pensé comme facteur de division de la Nation, et un obstacle à la radieuse progression progressive du progrès – autrement dit, cette interprétation s'autorise des pratiques d'éradication par la force, et se montre hostile à la manifestation publique du religieux . C'est semble-t-il celle d'une partie de l'oligarchie française .

Le modèle de l'idéologie racine, lié à la priorité à « l'économie » avant même l'individualisme moderne, s'origine dans l'éclatement de la chrétienté médiévale et les guerres de religions qui ont suivi ( voir à ce sujet Michéa) . C'est dans le principe même du libéralisme que le « religieux » doit être écarté du public, de l'État, et renvoyé, pacifié, vers le privé – l'État se réorientant vers la facilitation de la conquête de la vertu terrestre par les individus, croissance et multiplication, ou vers le paradis terrestre de la consommation, sous des formes très diverses, intensification économique, conquête d'un Empire, sécurité des ressources, stakhanovisme de ceux qui se lève et travaillent plus pour gagner plus . La volonté de sécularisation est donc principielle dans l'idéologie racine . Cette sécularisation peut cependant être formulée en termes pompeusement « bibliques », dans le style des péplums ; ou dans le style d'une nouvelle théocratie positiviste, ou encore dans le style moderniste et biologiste du III Reich .

Les défenseurs du principe de laïcité voudraient le présenter comme un authentique principe de la pensée, rationnel, universel, vrai de soi . Un tel principe aurait alors une existence par soi, et la société humaine, comme la société de droit divin, seraient ainsi fondées sur la nature des choses, sur l'être, et sur la vérité . Mais c'est la souveraineté, la volonté de puissance qui édifie la société, non la vérité contemplée par une intelligence sans volonté ni désir . Au fondement de tout projet social se trouve une domination – une volonté de puissance qui fonde un devoir être contre l'être effectif . Il est hors de doute qu'une souveraineté peut se fixer comme objectif de créer une société humaine respectant le principe de laïcité ; mais l'imposition par la souveraineté du principe montre ce fait : « l'universalité » et la « rationalité » du principe sont construits dans la culture qui les pose comme tels, et tournés vers l'extérieur, vers des cultures qui ne le posent pas deviennent des instruments d'impérialisme et d'oppression .

L'observation historique ne confirme aucune validité de fait à l'universalité du principe . Bien au contraire : la quasi totalité des organisations humaines historiques ignore notre séparation du « religieux » et du « politique », pour ne pas dire du « religieux » et du droit . Les codes de loi sont pour ainsi dire « religieux », que ce soit le Yassaq de l'Empire Mongol, la Torah, la Loi de Manou, ou la Loi musulmane . A Athènes, un modèle pratique de Démocratie antique, l'appartenance à la citoyenneté athénienne est liée au partage des jeux et des fêtes religieuses, sans qu'aucune distinction ne soit recherchée entre des domaines quelconques ; et l'exercice même du pouvoir et de la loi dans la Chine depuis l'Antiquité est liée à des règles « religieuses »...dit autrement, le principe d'une séparation des domaines n'est sûrement pas universel, et la volonté d'application du principe détruirait la totalité des grandes civilisations de l'histoire, Antiquité comprise, mais aussi un très grand nombre d'organisations humaines documentées par l'ethnologie . Adhérer sans critique au principe est typiquement une attitude progressiste, qui pense comme erreur et obscurantisme l'autre, c'est à dire la quasi-totalité de l'histoire ayant eu lieu avant soi . L'universalité du principe de laïcité est une fable mythique : au contraire, l'universalité réelle des grandes civilisations historiques est la fondation symbolique de l'ordre humaine dans le Ciel . Le principe doit être pensé comme une anomalie propre à la civilisation moderne .

Puisque l'enquête historique ne peut pas confirmer l'universalité du principe de laïcité, la thèse de l'universalité passe par la défense de la thèse de la transcendance à l'ordre effectif de ce principe par la vérité, et pour tenir compte de l'ignorance flagrante des hommes du passé, par la thèse du dévoilement moderne – en général scientifique – de la vérité de ce principe, et donc par le progressisme : bref, le principe est une partie fonctionnelle de l'idéologie racine, idéologie socle du Système capitaliste . Les premiers défenseurs du principe se montrent souvent les défenseurs plus ou moins conscients de la Théocratie millénariste du Capital .

Le principe de laïcité n'est pas rationnel non plus . Il suppose que la « raison » dépasse toute sa propre constitution symbolique, ou encore que l'homme d'État peut se placer au dessus des religions . La première idée est l'expression de l'ignorance effective par la plupart des hommes des conditions de leur pensée – à commencer, comme Marx, par les conditions matérielles – et la deuxième suppose, illusion typique de l'oligarchie moderne, que la domination des hommes amène naturellement une domination des principes spirituels, ou encore que le dominant est par nature « plus intelligent » que les dominés . Dans les jeux de langage d'une situation pratique de domination, l'oligarchie pose les définitions, les règles du jeu, et gagne le jeu ; mais cela n'est pas l'expression d'une supériorité intellectuelle ou spirituelle, juste l'expression d'une domination . Dans l'histoire de l'art, l'art pompier ou la poésie de Sully Prudhomme dominèrent leur temps, mais leurs œuvres tombèrent dans la poussière avec leur gloire dans le siècle, et la gloire de leurs maîtres ; pendant ce temps, des œuvres de Van Gogh servaient à boucher des trous dans des poulaillers . Debord remarque ce phénomène en littérature dans son rapport sur la construction des situations : il est l'expression de la domination d'une classe disgraciée, la bourgeoisie capitaliste, qui monopolise le Spectacle et veut monopoliser l'expression contemporaine de son temps, mais qui accompagne la reconnaissance souterraine par les artistes d'hommes morts par la puissance de son argent .

La laïcité moderne, défendue par l'oligarchie d'État et par des partis que la gauche laïque regardait avec horreur, a fait le saut de la manifestation effective de son caractère d'arme idéologique des défenseurs de la domination effective . On peut toujours dire ce que l'on veut sur le respect humain, mais vendre du papier méprisant et moquant radicalement la structuration symbolique et la raison de vivre d'une partie de la population d'un pays ne peut se faire qu'auprès d'une clientèle qui méprise et moque cette partie de la population, c'est à dire en excitant la xénophobie . De même, afficher son mépris pour les idées d'une population n'est certes pas afficher son mépris pour cette population, sans doute . Mais cela n'étonnera personne si un partisan de la laïcité se sent vexé de mon texte qualifiant l'adhésion au principe de laïcité d'illusion du niveau de cannibales trisomiques .

Pour conclure froidement, le mépris public de l'Islam, du Judaïsme ou du Christianisme relèvent de l'intimidation sociale des partisans du Système, comme les manifestations religieuses relèvent de l'intimidation des partisans des religions : les laïques n'ont là aucune supériorité . Et toutes les provocations spectaculaires désirent susciter leurs idiots utiles, les méchants qui par leurs actes illustreront dans une action spectaculaire la vérité de l'accusation portée . Le mépris public des religions désire, voire crée, les réactions sectaires qui leur donnent raison .

Il est essentiel de comprendre qu'il n'existe pas de principe ou de posture idéologique en soi émancipatrices . En effet, le caractère systémique du social fait que des expressions idéologiques analogues peuvent être un temps des facteurs de relâchement de l'ordre établi et de la domination effective, puis devenir des idéologies de l'appareil global d'exploitation ; ce parcours d'ailleurs est souvent aussi celui des hommes, passant de la révolte de rue à la direction idéologique du syndicat des patrons . L'idéologie des lumières est depuis longtemps fonctionnelle au Système et puissamment instrumentalisée – qu'une idéologie soit enseignée par l'appareil idéologique d'État est sans aucun doute un indice puissant en faveur d'une position fonctionnelle de cette idéologie . Le principe de laïcité ne fait pas exception à la règle .

L'héritage et la sociologie de la gauche moderne, héritage positiviste au plus haut point, et sociologie liée aux intérêts de l'appareil idéologique d'État lui rendent très difficile une amorce de lucidité sur ce point : l'immense majorité des hommes qui s'identifient comme de gauche croient qu'il n'est possible de choisir qu'entre le principe de Laïcité, avec la Science et la Raison, et « l'obscurantisme fanatique des intégristes » de carton pâte construits par l'idéologie et le Spectacle . C'est pour eux leur croyance religieuse, obscurantiste et fanatique . Les hommes qui le défendent aujourd'hui pourraient pourtant les faire réfléchir . Quel saut, pour les hommes de gauche des années 70, les chevelus, barbus, les pattes d'eph, les gauchistes, fumeurs de roulées et de shit, les partouzeurs cools, que de recevoir le soutien des chefs de la police d'État et des porte-voix de l'extrême droite, quel saut que d'humilier des populations en présentant cela comme un droit et une intelligence, quel saut de s'intégrer à une remise en ordre des médias les plus asservis !

J'attire l'attention des défenseurs de la civilisation . Si l'on détruisait la totalité des œuvres laïques, les discours de remise des prix dans les écoles dont Lautréamont se moque, les discours colonialistes et racistes de Jules Ferry, les fanfaronnades scientistes niaises dont Claude Allègre est l'ultime néanderthal, pas grand monde ne s'en apercevrait . Prenez Onfray plus Charlie Hebdo, en plus, par exemple, le premier avec son discours délirant sur le grand complot des hommes religieux . Mis à part dans d'honnêtes travaux de sociologie et d'histoire du commerce idéologique, la perte ne serait pas lourde , pratiquement insensible à l'humanité . Les œuvres des saints laïques cumulées ne seraient consistantes que par Marx, entre autres, mais sûrement pas par les idéologues modernes .

Si l'on détruisait la totalité des œuvres des savants, des poètes et des artistes païens, juifs, musulmans, hindous, bouddhistes, taoïstes...etc de l'histoire, la perte serait incalculable, et il faudrait fermer l'essentiel des musées parisiens . Il faudrait détruire Platon et l'art Grec, comme l'art et la pensée musulmanes . Voir des idéologues modernes commenter Dante ou Ibn Arabi dévoile l'incompréhension radicale et l'infériorité intellectuelle frappante des modernes ; ils se croient supérieurs, et capables dire ce que Dante ou la Bible a vraiment voulu dire, et profèrent des galimatias ridicules, tels un lacanien commentant Dante .

L'application du principe de laïcité à l'histoire est une barbarie pure qui dévoile la faiblesse du principe . De manière générale, toute application forcée d'un principe transcendant unique à l'histoire et relevant de la souveraineté humaine est une barbarie pure, une pensée de Conquistadores imposant leur ordre par l'ignorance et la violence . Les fanatiques laïques modernes sont les portraits des colons arrogants des siècles précédant, qui croyaient que l'exploitation cruelle, la mitrailleuse et les canonnières étaient au fondement d'une supériorité spirituelle, comme la domination de l'armée du Reich fut prise par les nazis comme le signe d'une supériorité spirituelle . Mais la domination par la force et l'intimidation n'est que la force et l'intimidation : la supériorité des dominations européennes sur les dictatures orientales est nulle, et toutes leurs distinctions sont vanité .

Les hommes anciens furent parfois plus sages : le mythe de Babel, comme le Coran, montrent que la diversité des hommes et des croyances et de la volonté de Dieu, et éduquent à l'accepter comme un bien : pourquoi voudrais-tu revenir sur la volonté de ton Seigneur ? Mais auparavant, il nous faut éclairer le caractère fonctionnel au capitalisme du principe de laïcité .




***


Le contenu du Principe doit être analysé plus avant dans son caractère fonctionnel . Ce principe repose sur un soubassement idéologique dont l'application est lourde de conséquences sur la liberté humaine effective .

Première observation fonctionnelle : L'exclusion de l'ordre « religieux » de la constitution des communautés humaines, des Cités, se pose à travers le principe de laïcité . Selon le principe, l'homme ne peut (expression d'ordre moral) constituer l'ordre social à partir de sa spéculation symbolique . La culture humaine symbolique, posant la pluralité des mondes, se voit interdire de penser l'ordre social . Pourtant il existe un ordre social laïque . L'ordre est effectif, nous l'avons sous nos yeux .

L'interdit n'est pas l'interdiction de la constitution symbolique de la société humaine, puisque cette constitution est de fait . Il est la forme négative du monopole effectif de l'idéologie racine dans la constitution effective de l'ordre social . L'interdit profite à un autre ordre, qui est la constitution symbolique (car complètement spectaculaire, mythique) d'individus libres souverains, c'est à dire le règne de la production . La conséquence positive du principe de laïcité est celle-ci : La production de richesses ou l'exploitation du travail humain est le seul cadre légitime de l'organisation sociale ( point que l'on retrouve dans le communisme, le capitalisme, ou le nazisme) .

Deuxième observation fonctionnelle : la constitution symbolique de la justice (par exemple dans le récit mythique) est considérée comme mensongère, et donc exclue de la fondation de l'ordre social . Mais la narration exemplaire est un mode de pensée ; l'Antiquité savait parfaitement que la fable ment pour dire des vérités – c'est à dire que le genre de vérité d'un récit sacré n'est pas le genre de vérité des vérités physiques ou mathématiques, et que ne pas distinguer les niveaux de vérité est une marque d'ignorance et de barbarie, et non de « progrès des lumières » ce qu'avait noté Simone Weil dans sa lettre à un religieux . Le mode d'être de la justice dans le récit mythique est légitime, et le Contrat Social depuis Rousseau n'est rien d'autre que la mythologie des origines du libéralisme, puisque des hommes parlant une langue et capables de contracter ne peuvent être des individus isolés vierges de tout concept . Pourtant le principe de laïcité exige de tous ceux pour qui la justice se trouve définie dans de tels modes de pensée d'y renoncer dans l'ordre public, et de la garder pour eux, alors même que le modèle laïque propose son lot d'exempla historiques, comme le glorieux récit de la révolution de 1789 .

Troisième observation fonctionnelle : par le principe de laïcité, il est dit à chaque individu : tu peux croire et pratiquer la religion que tu veux, mais dans ton privé . Le principe de laïcité pose l'obligation d'adopter un modèle social non communautaire . Il nie cette vérité que « la religion » est un modèle de constitution communautaire, et non une sagesse individuelle, aussi bien dans l'Athènes démocratique que dans l'Islam ou le christianisme . Il pose que tout homme peut vivre seul son modèle de constitution communautaire, double contrainte typique . Il rend impossible la vie religieuse concrète, étant d'essence totalitaire . En réalité, le principe nie toute expérimentation d'autres ordres sociaux possibles à partir de constructions symboliques . Il rend impossible l'expérimentation communautaire légale de la polygamie ou de la polyandrie consenties entre adultes, quand ces expérimentations s'appuient sur des ordres symboliques identifiés comme religieux, alors même que, pour prendre un exemple, les structures familiales et de filiation amples et lâches des indiens Mohaves – voir Devereux, ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves – peuvent sembler à la fois plus fortes et plus libres que les nôtres . Selon le principe, les règles de filiation ou de mariage différentes issues d'une symbolique identifiée comme « religieuse » sont par nature mauvaises et contraires à la dignité humaine, mais le statut d'intérimaire du nucléaire est lui parfaitement juste . La puissance fonctionnelle des interdictions d'appliquer le droit communautaire est bien sûr de garantir la destruction des communautés, afin de créer un peuple d'individus libres et souverains appropriés au libre marché du travail .

De ce fait, l'application du principe de laïcité, comme de toute volonté d'universalité et d'égalité des individus, à l'inverse du modèle de la pluralité effectives des lois des cités grecques interdit la multiplication des expériences d'organisation politique communautaire au profit du seul modèle libéral . Il organise l'homogénéisation du monde au profit du Système sous une fausse défense du pluralisme . La diversité humaine individuelle n'est pas ethnologiquement la seule diversité ; au contraire, l'individu est divers par la variété effective des communautés ; et le principe est destructeur de cette variété effective . La variété effective ne peut pas s'appuyer sur un principe de destruction des différences significatives .

La pluralité religieuse est parfaitement possible dans un cadre non-laïque . Elle existe dans le monde musulman, comme dans le Christianisme . Nous allons en donner quelques éléments généraux dans un prochain article . Mais auparavant, ils font accomplir la destruction des catégories qui construisent le problème dans l'idéologie moderne .




***


Pour analyser ce problème, il faut se débarrasser d'un concept, celui de « religion » . La religion doit être condamnée, en tant que concept . Le concept de religion est une détermination de la culture opérée depuis l'idéologie racine ; il est censé se définir comme un ensemble de croyances, de pratiques et de morale faisant le lien entre les hommes et les dieux . Cela suppose qu'il existe deux ordres de mondes, le monde des hommes et le monde des dieux, déjà distincts et séparés . Les grecs connaissent des cultes, mais non « la religion » . Il existe ainsi des débats pour décider si le bouddhisme est une religion ou non, si l'advaïta est une philosophie ou « une religion » . Mais de tels débats ne concernent pas les gens concernés .

Vivre dans un monde parcouru par l'Esprit est-il « avoir une religion » ? Pour un homme des mondes anciens, c'est la totalité de l'existence qui était « religieuse », de l'alimentation à l'hygiène du corps, c'est à dire représentée dans le cadre général du monde de la civilisation .

Le concept de religion est comme le concept de morale, le projet d'une détermination de l'existence humaine par catégories permettant l'enfermement progressif et l'annihilation des éléments symboliques au profit de l'expansion des éléments fonctionnels . Il est le processus du Spectacle et du nihilisme à l'oeuvre . Le fétichisme de Marx et de Debord montrent que la symbolisation mercantile ou spectaculaire des rapports sociaux n'a pas besoin de « la religion » . Dans le monde libéral, la dénonciation de la religion comme opium du peuple est devenu l'opium du peuple .

Le principe de laïcité construit « les religions » comme un marché superfétatoire, adjacent, de l'individu libre et souverain, l'équivalent spirituel de la gymnastique ou du massage – un « facteur d'épanouissement personnel » . Mais l'expérience spirituelle n'est rien qui soit superfétatoire, encore moins inoffensif . Elle est de l'ordre de la respiration, donc de ce qui est vital à peine de mort .

Le principe de laïcité n'est pas une liberté qui m'est offerte, une indétermination initiale qui me permettrait de choisir et de m'épanouir, mais l'imposition voilée de l'ordre libéral, l'asservissement à la matière productive présenté comme libération typique du Système . Je ne peux pas tout choisir, mais seulement choisir que ce qui n'a aucune importance pour le fonctionnement effectif du Système, choisir une « religion » qui me permette de rester pour l'essentiel de mon temps public un sous-système psychique, un rouage fonctionnel .

Nous ne répondons pas aux fausses questions du Système : quelle pauvre petite religion consolante vas-tu choisir mon petit être terrifié par la mort et la finitude ? Un peu de ceci, de cela, à la carte, car tes croyances n'ont aucune importance (le fondement de ce vaste champ nommé New age) . Nous ne répondrons pas à la question POUR ou CONTRE ceci ou cela, ou sans OPINION . Le premier point qui doit être affirmé, c'est qu'on ne choisit pas sa foi, on est choisi par elle .

Ceci n'est pas un texte contre le principe de laïcité, mais l'expression d'une extériorité radicale : nous sommes extérieurs à l'ensemble de ses problématiques déterminatives, de ses prérequis idéologiques qui sont de penser initialement de l'intérieur de l'idéologie racine, et d'y demeurer circulairement, dans tous volutes possibles . Nous nous situons hors de l'opinion, hors de la laïcité et de la religion . Il n'existe pas de choix effectif à poser . L'opinion individuelle en soi est aussi vide que l'ego qui la porte .

Dans les bavardages modernes, la question de la liberté de conscience et du choix ou non d'une foi repose sur des croyances modernes, telles que le libre choix par l'ego d'une "religion" comme d'un bien de consommation . Quant au "désenchantement" des sociétés il est la dynamique interne du capital, et l'incroyance commune n'est que l'expression d'une adaptation fonctionnelle et d'une « formation » réussie par la propagande du Spectacle .

On ne demande pas l'avis des Grecs pour régler leurs problèmes matériels, vous croyez que l'on va demander le vôtre pour « la religion »? Vous qui bavardez, comme moi ! Vous êtes là, dans le Spectacle, à vous la jouer maître de vous et du monde, mais votre place est une fonction dans le processus de production. Vous pouvez vous la jouer - nous pouvons - parce que cela n'a rigoureusement aucune conséquence . La « démocratie », « la liberté de conscience », « la laïcité » sont au service du capital, non l'inverse . Nous sommes des rats emmurés qui se la jouent libres dans le Spectacle.

Les rats doivent passer par le nihilisme de la conscience d'enfer pour devenir dissidents, résistants, guerriers - et poser leurs questions au Système, et non chercher des réponses aux questions du Système dans les répertoires de réponses"libres" programmées en circulation sur le marché idéologique . Le nihilisme achevé dans le microcosme, dans la personne, est la négation de l'illusoire ego libre formaté par le marché - négation accomplie par la prise de conscience de n'être que sous-système psychique du Système : l'amertume de la réalité de l'asservissement extérieur comme prix de la liberté intérieure . Elle est la première expérience spirituelle de dépassement du bloom .

L'expérience spirituelle n'est ni liberté ni choix d'un objet par essence, mais désir d'être soi-même tout-autre, liberté d'être et non liberté d'avoir. Elle est une expérience au delà de la personne et de l'individu à partir de l'individu qui se nie - les âmes anéanties de Marguerite Porète. L'individu n'est pas la mesure de cette expérience qui l'excède et le brûle, comme le mouvement du soleil n'est pas la mesure du moteur immuable . Elle est l'expérience pratique de la vacuité de l'ego . Et cette expérience est aussi, dans le même mouvement, expérience de la vacuité du Spectacle et du Système . A ce jour, la porte de l'Enfer du nihilisme est la porte des mondes, et les mondes sont indéfinis .




***


La liberté humaine, qui pose des principes, peut détruire des principes, fut-il le principe de laïcité, quand ils sont devenus des facteurs d'aveuglement et de mensonge, de perte de la réalité . Le fétichisme de la marchandise et du Spectacle, construction de leurres puissants masquant les rapports de domination effectifs, montrent que la question formatée par l'oligarchie de « la religion et de la laïcité » comme voile de domination est un leurre présenté comme leurre, un leurre de leurre . La religion voile-t-elle effectivement autour de vous de puissants pouvoirs, à la mesure de l'État ou de la Banque ? D'un point de vue structurel, ce leurre de leurre ressemble à « la lutte contre les discriminations », ou aux récits des Gender Studies . L'oligarchie voudrait nous désigner nos ennemis, et nous la raconter, nous monter des fantômes sur la domination effective . Qui domine, qui exploite, qui fait la guerre, qui envahit, qui occupe ? Est-ce les méchants machos, les barbus du Spectacle, les juifs orthodoxes kabbalistes, les catholiques traditionnels dans les ordres religieux ? Votre patron est-il barbu ? Sa femme est sa fille sont-elles d'une classe sociale sexuelle opprimée ? Et le ministre de l'Intérieur ? Et les banquiers, les propriétaires du Capital ? Qu'est ce qui les rend puissants ? Leur sexe, leur religion, ou la propriété du Capital ?

Cela fait bien longtemps que la bourgeoisie comme classe sociale a gagné, que la menace religieuse est éloignée dans le culte de la production et de l'accumulation . Les théories du choc des civilisations, à l'échelle nationale comme à l'échelle mondiale, sont des dérivations pour permettre aux classes dominées de croire avoir quelque chose de commun défendre avec le Système et son oligarchie . L'oligarchie se moque de notre liberté, sauf quand elle est fonctionnelle . Voyez comment un référendum démocratique peut devenir objet d'exécration des défenseurs et exportateurs de la Démocratie par les armes . La défense de la laïcité est un leurre de plus pour nous éloigner de nous approprier une pensée capable de transformer le monde .

Nous n'avons pas besoin des mythologies de la laïcité pour rendre humaine et vivable la diversité humaine produite par la mondialisation comme création parfois violente d'un marché mondial du travail, pour le plus grand profit du Capital . Je n'ignore pas cependant que je peux sembler donner peu de pistes pour penser une pluralité des hommes en dehors du principe de laïcité, comme auparavant pour penser un renforcement de la personnalisation des liens humains . Ces questions seront l'objet des articles suivants .

Nous sommes pour la vie immédiate . Vive la mort !

Aucun commentaire: