mercredi 7 octobre 2020
Plutôt mourir .
L'incarcération du monde et la lutte pour la liberté .
Point sec sur "la question israélienne" dans l'Internationale .
Une question hante les interrogations sur le monde moderne, revient en boucle, par multiples itérations, dans tous les discours ; cette question cyclique obsessionnelle a fait à l'ensemble des mouvements révolutionnaires autant de mal que l'ensemble des think tanks libéraux . L'internationale se doit de prendre position sur ce sujet, pour ne pas s'épuiser à y revenir .
L'origine de l'existence de l'État d'Israël est la réalité massive de l'incapacité des hommes et des gouvernements européens à protéger la liberté et la vie de leurs concitoyens de religion israélites, telle qu'elle s'est manifestée avec une atrocité sans nom pendant la deuxième guerre mondiale . Les discussions polémiques, à enjeux politiques, sont à la fois obscènes et ridicules : le fait de la Solution finale est suffisant pour l'attester . La perte des communautés juives européennes a été une perte, une grande perte pour l'Europe, et la fin de l'Europe culturelle d'avant 1933 – mais on ne revient pas sur le passé .
Qu'un être humain normal ne puisse pas faire confiance aux autorités de son pays pour garantir sa vie, cela appelle pour lui deux solutions : soit s'assurer du pouvoir sur place, ce qui n'est pas toujours possible, quoiqu'on en dise, à une minorité (voir le cas des Tutsis au Rwanda), soit s'exiler et se protéger soit-même dans un État qui vous appartienne . Demander à des hommes ayant connu la guerre de faire confiance aux puissances européennes pour les protéger n'est pas sérieux ; et quand cette demande est formulée par des « antisionistes »hargneux, elle relève des fables de la Fontaine, d'un loup demandant à l'agneau de lui faire confiance .
Le projet d'un État national juif existait déjà avec le sionisme . Le sionisme, en soi, est un aspect de l'idéologie nationaliste européenne, et le projet sioniste a été aussi soutenu d'ailleurs par des antisémites . Une internationale comme l'ISI montre assez, par son existence même, ce qu'a de venimeux le nationalisme comme idéologie exclusive, comme puissance de destruction de la culture et aussi de la puissance européenne ; il faudra y revenir . Cette idéologie sioniste est sœur de l'idéologie européenne .
L'État d'Israël est un produit de l'histoire européenne, un produit des faiblesses, des échecs et des crimes de l'Europe . Quelque part, tout européen est touché par cet État, concerné par cet État. Je ne pose pas là des responsabilités, pas plus que je ne crois tous les européens responsables de la Traite des noirs ; je porte un jugement sur l'histoire . L'Europe aurait pu être une puissance d'intégration et d'harmonie, comme l'Empire d'Alexandre ; mais voilà, ce n'a pas été le cas .
D'un point de vue humain, l'attachement à l'histoire et à la sécurité d'Israël de la part de ses citoyens sont parfaitement compréhensibles ; tout autre perspective est une perspective de guerre, car de refus de comprendre l'autre . Par simple expérience de pensée, je sais que juif, je serais évidemment hypersensible à l'existence et à la sécurité d'Israël . Étant un être humain, je me refuse à souhaiter la destruction d'êtres humains, ou a envisager leur existence comme un problème en soi . Comment un être humain pourrait-il ne serait-ce que discuter avec quelqu'un qui envisage son existence comme un problème ? L'antisionisme doctrinaire est parfaitement fonctionnel au sionisme doctrinaire .
Il n'en demeure pas moins que comme tous les nationalismes, le sionisme a été instrumentalisé par une oligarchie étroite, un tout petit nombre qui accapare l'essentiel des ressources du pays, et ne fixe pas de limites à ses accaparements . Ce tout petit nombre a aussi poussé, grâce au nationalisme, un grand nombre de jeunes israéliens à participer à des guerres, et même à des crimes de guerre, pour lier dans le sang le sort de l'État oligarchique au sort du peuple . Les traumatismes de ces crimes ne sont pas mesurés, mais exprimés par des œuvres de très grande valeur, comme le terrible Valse avec Bachir, sur les massacres de Sabra et Chatila . L'instrumentalisation du projet national au profit d'une oligarchie, l'appauvrissent du peuple, les dirigeants des mouvements sociaux israéliens en sont conscients, en souffrent, et cherchent des solutions avec inventivité et courage . Le cœur véritable des enjeux du Système n'est pas le choc des civilisations, mais l'accaparement oligarchique des ressources matérielles, au profit de la maximisation du profit et de la puissance matérielle – et tout conflit, en tant que favorisant des processus symétriques de course aux armements, et en justifiant la mobilisation à bas prix de la main d'œuvre au nom de la guerre, y est favorable . Le Système nourrit la guerre tant que la guerre nourrit le Système .
Dans ce cadre le résultat de l'« antisionisme », comme celui de toutes les attaques indistinctes contre les habitants de ce pays dit "État d'Israël", est de solidariser, au nom de la sécurité, les habitants pauvres avec l'oligarchie. Les habitants d'Israël ne sont pas plus, ni moins responsables des crimes de leur oligarchie, que les paysans bretons n'étaient responsables de la Traite des noirs . Le peuple d'Israël n'est pas plus responsable que nous des guerres coloniales . Verser le sang du petit peuple est une atrocité . Une atrocité gratuite et stupide ne venge pas d'autres atrocités gratuites et stupides, mais les perpétue . L'oligarchie peut ainsi indéfiniment aggraver les dispositifs de tous ordres qui concourent à garantir son pouvoir et sa domination à visée perpétuelle . En particulier elle peut renforcer sans cesse le contrôle de la population, et aggraver l'exploitation des démunis, leur réduction vers l'état de pure fonction dépersonnalisée . Il existe pourtant en Israël un puissant potentiel de transformation, y compris dans les services secrets et dans l'armée ; et l'internationale situationniste ne considère pas les militants israéliens comme plus criminels de fait que tous ceux qui vivent dans le Système . Nous ne cherchons pas l'innocence, et nous ne la revendiquons pas : de l'innocence, il ne reste plus que le spectacle .
Le conflit Israélo-palestinien a servi aux dirigeants des pays arabes à se faire passer pour révolutionnaires, en menant des projets de puissance qui ne le sont nullement . Les « révolutions arabes », aussi décevantes et instrumentalisées fussent-elles, ont assez montré que l'antisionisme était un thème de propagande des États pour se dispenser de parler des enjeux consistants, qui sont le partage des pouvoirs et des richesses, et la liberté individuelle de vivre, d'atteindre le niveau humain de la vie . Ce conflit est, comme la guerre froide, le masque et le jouet qui permet aux grands enfants immatures asservis par le Spectacle de s'occuper, et de laisser les gens sérieux de l'oligarchie s'occuper du monde réel, c'est à dire quadriller et partager le monde entre eux . Nous voulons libérer le monde de ce quadrillage, et nous ne pouvons jouer avec toutes les causes du Spectacle . Il n'existe aucune obligation de prendre parti pour « Israël » inconditionnellement, ou pour « les Arabes » inconditionnellement, pas plus qu'il n'est obligatoire d'être pour le PSG ou pour l'OM .
Le « conflit israélo-palestinien » illustre aussi un autre aspect de la guerre spectaculaire : c'est celui de l'encouragement à l'usage de la force du faible au fort . Nombre d'émeutes urbaines ont pris dans le monde l'aspect de l'Intifada ; mais en dehors des bénéfices secondaires pour les émeutiers, qui enfin sortent du néant et du marasme et se découvrent vivants et puissants, les émeutes urbaines sont tout à fait catastrophiques en général . Elles servent et justifient le renforcement indéfini du fort, c'est à dire de l'oligarchie . L'oligarchie peut ainsi, à l'abri d'une propagande massive et entendue, construire tranquillement un monde à sa seule mesure . Construire un dispositif juridique de plus en plus arbitraire . Promouvoir l'usage de toutes sortes d'armes de haute technologie non-létales, c'est à dire minimisant les risques contre-spectaculaires de l'usage massif de la force ( voyez le rôle révolutionnaire des massacres contre-révolutionnaires, et l'efficacité du secret dans l'application du plan Condor). Diffuser l'usage de techniques de surveillances mises au point en zones de guerre . Et tellement d'autres modes de gouvernance par le chaos que la liste ne peut être même envisagée . Bref, les émeutes urbaines font des zones de guerre coloniale du monde des laboratoires de la domination sociale de l'oligarchie sur ses bases de départ . Le Système tend à se comporter ainsi comme une armée sur un territoire occupé, ce qu'Arendt avait noté dans les origines du totalitarisme . Les émeutes urbaines accélèrent et développent le potentiel totalitaire du Système : c'est tellement vrai que des unités de la police, dans certains pays, sont spécialisées dans la provocation et l'aggravation des violences lors des manifestations .
S'il est une leçon de Gene Sharp qu'il faut noter, c'est bien celle-ci : un mouvement révolutionnaire ne doit jamais attaquer un État sur ses points forts, dans un domaine où le mouvement révolutionnaire est faible . Attaquer militairement un État, pour des marginaux, est à la fois suicidaire et contre-productif . Nous autres marginaux, fondant notre cause sur rien, nous pouvons nous faire nous même Avant-garde parce que nous sommes infiniment plus puissants dans la créativité, dans l'ordre symbolique, dans la culture, dans le passionnement et l'intensification de la vie, que tous les laquais du Système, qui n'écrivent que parce qu'ils sont payés . Toute la culture catholique du XVIIIème siècle, avec ses prestigieux héritages, n' a tenu face aux Lumières que par les énormes moyens des écoles, des séminaires, des monastères, des pensions, des Universités . Au delà de ces moyens, elle était morte, sans plus de souffle que les feux follets d'un corps mort dans un marécage .
Tout le champ culturel de l'Europe est verrouillé, politiquement verrouillé, par des laquais du Système . Mais ce verrouillage ne tient que par la propriété des moyens de diffusion médiatique, par les programmes des écoles, par la diffusion de la culture de la vénération du Grand Artiste, toujours mort et le scalp étendu comme un drapeau, par le contrôle clientéliste de l'Université, par l'appropriation de la presse promotionnelle, dite « critique » . Les laquais qui organisent des commémorations, quadrillent les œuvres dans des musées, sont des croque-morts, des gardiens de tombeaux, des eunuques gardiens de Harem, qui privent les aventuriers de ce qu'ils sont impuissants à avoir . Les morts préfèrent toujours les morts, car les vivants pourraient les surprendre, être imprévisibles, rejeter l'ignoble arraisonnement des révoltés par la police culturelle . L'invocation rituelle du Grand Artiste ou des Arts Premiers s'accompagnent d'une impuissance masquée à avoir une œuvre, à faire de la vie une œuvre, à passionner l'existence présente . L'art est pour la vie et non pour les tombeaux . La vie, l'Eden, doivent être sans cesse renouvelés ici et maintenant . On ne peut pas demander à un être normal, fonctionnel, à un bureaucrate de la culture ou à un cadre d'accomplir une tâche qui demande de la démesure – et la révolution dans la culture demande de la démesure .
Les laquais du Système monopolisent les médias oligarchiques . Les contenus culturels vivants de ces énormes moyens s'orientent tendanciellement vers le néant . La voix du mannequin, du réalisateur de cinéma, du journaliste, du passant dans les micro-trottoirs, la voix de l'universitaire – cette voix unique du Système est celle de la police, parce que tout autre propos n'est pas repris ; et cela est de plus en plus visible, de même que, privé de toute vie spirituelle, la défense du catholicisme vers la fin du XVIIIème siècle a fini par apparaître comme la seule défense grimaçante d'intérêts matériels . Les moyens matériels, les dispositifs militaires ou de maintien de l'ordre, les espaces d'expérimentation démesurée de ces moyens, les marginaux n'y ont pas accès . Croire y avoir accès, se manifester dans le Spectacle à leur sujet, c'est croire qu'être est être dans le Spectacle, alors même que n'est manifesté dans le Spectacle que le vrai asservi au faux général .
Nous n'avons pas accès à la guerre, à la réalité du « conflit israélo-palestinien », pas plus qu'il n'existe en ce monde d'accès réel à toutes les théories du complot dont la diffusion massive est évidemment liée à la scission que vivent les hommes du monde moderne . Dans le Spectacle, les hommes modernes sont des gagnants, dans les avatars des jeux et des films, dans les spectacles sportifs où ils se projettent, dans les propagandes politiques, dans le show business même . Et dans la réalité, ils sont des esclaves . La théorie du complot comble l'abîme, en proposant une histoire de puissance aussi fantasmatique que leur puissance fantasmée, leur toute puissance immature d'enfants du Spectacle ; ainsi, si eux ne sont pas tous puissants, c'est à cause non du réel mais d'une projection de toute puissance mauvaise . Ce clivage est encore un moyen de se préserver du réel .
L'internationale situationniste s'est ajoutée le mot immédiatiste pour dire ceci : nous avons soif et faim de réalité, et nous prononçons la sortie du Spectacle, la discipline individuelle de désensorcellement du Système . Les situationnistes veulent développer et diffuser les puissances d'accès de l'individu à la réalité immédiate de sa vie, à l'âpre saveur de la vie, qui mêle le sang, le sperme, la cyprine, la merde, la mort et les roses indissolublement . Faire l'amour n'est pas être le spectateur passif de la pornographie . S'entrelacer, combattre les linéaments, la saveur, la rudesse et les parfums du monde réel n'est pas être spectateur, ou fantasmer sa vie, ou se la raconter . Il n'est pas toujours possible de prendre des précautions et de vivre . La vie, c'est faire l'amour et la guerre au monde, jusqu'à en crever .
Nous n'avons pas accès à la guerre matérielle – nous avons accès au champ, au sous-système culturel . Là est le lieu de notre puissance ; le lieu de notre guerre ; et s'il le faut, le lieu de notre défaite . Pourtant, qu'il y ait un lieu du kairos est déjà une victoire – de pouvoir subir une défaite, d'engager le combat, est déjà une victoire . Seule l'éternité pèse . La vérité de la vie – cet insaisissable nous possède . Nous sommes des possédés, de ce qui ne peut nous être enlevé . Toute la puissance du Système ne peut rien contre ce qui est absolument vital et essentiel . Comme l'écrit Tiqqun, le monde s'implique en une réalité, la guerre, et en la diversion de cette réalité .
Le Spectacle ne cesse d'arraisonner le monde de la pensée, et le somme de prendre parti ; mais nous ne sommes pas des parties du Spectacle . Le « conflit israélo-palestinien » n'est pas un conflit pour l'Internationale Situationniste . Ce conflit spectaculaire est un détournement et une cristallisation illusoire des puissances actuelles de transformation du monde . Nous n'avons ni à être sionistes ni à être antisionistes ; et actuellement, penser une fin de l'État d'Israël en tant qu'entité démographique n'est rien d'autre que penser un génocide . Il n' y a aucune grandeur à trouver dans cette direction, pas plus que la déportation des européens d'Algérie en 1962 n'est un sujet de fierté pour sortir de l'organisation étouffante des Nations, de l'appropriation et du cloisonnement du monde, et de la représentation spectaculaire de la Nation par des membres élus de l'oligarchie – tous ces dispositifs symboliques du droit national et international qui sont fonctionnels avec la confiscation du monde au profit du tout petit nombre que produit le Système .
La deuxième Internationale doit être, et non se représenter ; à ce titre, elle doit se concentrer sur les tâches essentielles, destinales, la révolution dans le champ culturel, en lien avec toutes les autres transformations révolutionnaires, dans tous les lieux du monde .
A Paris, à Tokyo, à Berlin, à Varsovie, à Tanger, à Moscou, à New York, à Riyad, à Los Angeles, à Tunis, à Téhéran , à Alep comme à Jérusalem .
Viva la muerte !
dimanche 14 septembre 2014
De l'unité de la réalité et de la pluralité des mondes.
samedi 30 août 2014
Sur les facettes indéfinies des miroirs.
mardi 19 août 2014
Les mâchoires de la mort, ou l'horizon du désespoir comme Amor Fati du souterrain.
La révolution n'est pas un débat ou un cocktail mondain. Elle n'est pas une pétition de normalien.
Rien d'authentiquement révolutionnaire ne peut sortir du centre hardware et software du système moderne, être reconnu et fêté par ces centres. Rien d'authentiquement révolutionnaire ne peut sortir des ministères, des médias mainstream, des universités et des grandes écoles sans les quitter, y compris dans ce qui nous fait encore plaisir ou penser, y compris l'essentiel du cinéma ou de l'art moderne.
L'idéologie du genre est un produit des universités américaines, dont l'inscription annuelle peut valoir des dizaines de milliers de dollars. La French Theory est un produit des universités parisiennes. Aucun jeune noir de telle ou telle ville pourrie des US ne s'y intéresse. Ce sont les intellectuels bourgeois qui les parlent.
"Si un bourgeois dit du bien de toi, demande toi quelle faute tu as commise." Debord.
"La révolution n'est pas une dissertation ou un cocktail mondain : elle est un acte de violence." Mao.
Penser la révolte dissymétrique avec Gandhi n'est pas une école de la faiblesse ou d'indignation grandiloquente et stérile, mais la lucidité de comprendre qu'une véritable révolte ne peut être que très longue, âpre, amère même, comme furent l'effort opiniâtre et méthodique de Diderot ou de Marx.
Il n'est aucune voie facile. Et au fond, nous devons aimer l'âpreté et l'amertume, le couteau du vent de steppe et le rire de glace - par principe, par amour du destin. Car sans amour du destin, le révolté est cet homme qui finit par dire entre ses dents : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.
Le Hagakure répond depuis toujours : "si le choix est entre survivre et mourir, il est préférable de mourir. Cela est de moins en moins compris, mais les choses sont très simples...L'homme noble est celui qui se bat sans espoir ni desespoir comme dans les mâchoires de la mort."
Le dernier espoir des hommes est sans naïveté aucune, ni morale, ni valeur, et porte la couleur de ténèbres. Il est au delà du désespoir, comme la haute étincelle de l'âme est au delà de Dieu, de l'être - au delà du désert de l'homme, de la nuit obscure, et du nuage d'inconnaissance.