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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

dimanche 21 décembre 2008

Fragments d'un traité de guerre idéologique II. Les liens d'or.


(chronos.blogspace.fr)

Le présent texte est issu d'un dialogue avec les auteurs et contributeurs d'Isabelle des Charbinières, en particulier Zak-voyez les liens. A cette occasion, tout le projet de l'Encyclopédie peut être mis en phrases, réinterprété, reconstruit. L'Encyclopédie progresse! A bientôt et bonnes fêtes, hommes nobles!

Je ne sais plus comment j'en suis venu à lire le texte de Zak sur un blog que je ne connaissais guère ; ce qui est certain c'est qu'il m'est immédiatement apparu qu'il y avait enfin là un débat capital. Je pense que des éléments de ce débat ont été posés par nos échanges ; et je voudrais revenir à ce qui me paraissait dans ma perspective le plus important comme objet de ce dialogue, et qui concerne la stratégie de la guerre métaphysique.


Je pense que la dialogue spirituel et théologique est sans doute une des grandes saveurs de l'existence humaine ; aussi ne voyez pas mépris dans mon absence de réponse ; et je ne nierais pas non plus que dans des perspectives plus hautes, la question posée-la stratégie, au fond : que faire?- ne paraisse peu de choses, voire parfaitement futile. Les affaires du monde sont comme une onde, que toujours quelque vent empêche de calmer ; mais l'homme du monde aime les très grands vents, et chérit les tempêtes. Qu'importe en effet au spirituel que

« des êtres qui croient bon d’exprimer, parfois naïvement et comme ils le peuvent leur désir d’un autre-monde, d’une littérature vraie, et d’une vie un peu plus réelle, et dont on sait que ces rêves, parfois chimériques bien sûr, de nature romantique, esthétique ou politique, ont peu de chances d’aboutir concrètement »(Zak quelque part).

Mais voilà, il suffit que l'homme qui parle sous le nom de LV ne soit pas un spirituel, mais plutôt un homme du siècle. Et bien plus dans sa vie réelle travailleur que penseur, conscient de n'avoir pas choisi la meilleure part, la contemplation, pour les illusions de l'action. Mais justement, je n'ai pas choisi, et je ne peut être ce que je ne suis pas et que j'admire, un contemplatif. En un autre temps, peut être.


Cependant je veux à la fois ne pas, encore une fois, polémiquer en vain, là où je crois trouver sur le fond un accord ; mais aussi ne pas mentir, être sincère et clair dans mon approche du problème, car il ne peut y avoir de maison solide construite sur du sable, comme sur du mensonge ou de l'hypocrisie. Il se trouve qu'à la réflexion la question de la stratégie risquerait d'engager, au delà de la métaphysique, des positions théologiques. Je ne le souhaite pas . Je voudrais pouvoir concevoir la guerre comme une guerre de course, où il n'est demandé au prince légitime rien de plus qu'une lettre de marque ; la liberté, l'audace et l'aventure des mers du Sud en échange de la fidélité à la patrie et de la vénération de Dieu et du prince. Et pour l'âme, la justice de la cause et la confiance en la charité du Christ, au delà des grandes peines de la vie et de la mort. Car on ne court pas les mers sans engager tout l'homme, avec son bien et avec son mal. Vous ne serez pas surpris là de retrouver une de mes dangereuses ambiguïtés morales.

Je ne suis pas complètement naïf, et n'ignore pas que cette description est fictive. Elle me paraît cependant éclairante.


De plus, je citerais encore, mais non comme des autorités, comme des saveurs, au sens de Vico, des auteurs que vous jugez à manier avec précautions. J'ai pu comprendre ce que j'étais de différentes manières, par des discussions, des lectures, comme celle de Jean Borella. Je dirais que je suis un païen converti, et la conversion est une involution en soi du païen, non une disparition complète. Le modèle d'intégration des âmes donné par Aristote me semble efficace pour donner cela à comprendre : « Toujours en effet, le terme postérieur contient en puissance le terme antérieur, qu'il s'agisse de figures ou d'êtres animés... » Traité de l'âme, à partir de 414b29. Ainsi le chrétien est-il supérieur au païen non en ce qu'il lui est étranger, mais en ce qu'il le contient en puissance, et plus encore. Pour reprendre des propos du Maître concernant la Loi, qu'Erigène identifie au règne ancien des Anges des nations, c'est à dire aux anciens paganismes, comme Clément d'Alexandrie en effet l'a rappelé,« car les Anges ont été donnés aux peuples par une décision très ancienne », « je ne suis pas venu pour abroger, mais pour accomplir. ».Ainsi le salut n'est pas une pure négation du pécheur, mais un accomplissement de l'homme total.


Ce qu'est le païen, en terme de foi, c'est qu'il a appris à lire dans le deuxième livre avant le premier.

Je répète très sérieusement qu'il ne faut pas voir là une affirmation de savoir, mais une âpre saveur de la vie qui cherche l'expression par des mots. J'y reviens par la suite.



Malgré le caractère regrettablement personnel de ces derniers propos, ce qui engage un dialogue avec vous-la Question en général- au fond, n'est pas revendiqué par un nom et un prénom. Ce qui est personnel dans la pensée peut avoir certains ordres inférieurs d'intérêt mais ne peut rien construire de grand. La situation historiale analogue à celle du dernier siècle, dont découle l'itinéraire de l'homme sur lequel porte ce commentaire, amène au jour un complexe analogue de pensées, dans le savoir objectif, et surtout à faire poursuivre un analogue ordre de fins. A savoir de décider d'une voie humaine dans une « civilisation » qui est une formidable puissance de négation de toute vie proprement humaine possible.


Deux problèmes épineux se posent à mes yeux sur la voie de la compréhension mutuelle, celle des cycles temporels, et celle de la nature de la liberté humaine. La question du Temps, ou des temps, posée comme fondamentale engage déjà lourdement l'orientation de la question. Car le temps n'est rien pour celui qui est ancré dans l'éternité ; la primordialité de la question du temps pose déjà l'orient vers l'action. Et l'action pose la question de la liberté humaine.


Si je résume très simplement ma perception du débat et donc le sens de mon intervention, je dirais les choses suivantes :


Juan (que je n'ai lu qu'après) pose en quelque mots le vide du monde humain, ou du monde moderne ; ce vide qui est une réalité massive pour tout homme ne serait-ce qu'infimement concerné par la teinture du spirituel, c'est à dire pour tout homme venant dans le monde, dans les ténèbres. La réponse de Zak, je l'ai comprise, et je dirais, après avoir pris le temps de lire les commentaires, justement comprise, comme l'expression d'une essence. Je le cite :


« Elle se présente bien à nous, je le répète, comme un « destin » ; c’est-à-dire que son essence est effectivement destinale selon l’expression d’Heidegger dans le sens où elle n’est ni nouvelle, ni particulièrement spécifique à nos temps - elle est inscrite, comme une force de détermination ontologique, au cœur du présent de chaque être, de chaque existence en ce monde, sous toutes les latitudes et à toutes les époques de l’Histoire - ceci, et je crois qu’il importe d’insister sur cet aspect, depuis que le premier instant après la Chute emprisonna jusqu’à l’heure du jugement dernier Adam, et sa postérité, dans la geôle de l’espace et de la durée. »


C'est le premier sens de mon propos, de poser que cette essence préexistante s'exalte négativement particulièrement dans notre temps. Il y a là un désaccord possible, mais pas nécessaire. Zak en effet reconnaît plus loin que nous vivons, ce qui ne peut être nié à mon sens, une époque générale d'apostasie jamais connue auparavant depuis le Christ.


« Vous avez raison de signaler, voyant bien dans votre analyse votre attachement à l’œuvre du « Mendiant ingrat », que si nous sommes peu outillés pour nous confronter à la stupéfaction carcérale de la modernité à la différence de Bloy qui « pouvait encore tenter de retourner le numéraire de la parole devenue éternelle répétition du même », il ne nous reste que de faibles instruments bien impuissants « devant ce monde du spectacle qui intègre jusqu'à sa condamnation. » La situation n’est donc pas simple et nous avons comme un devoir impératif de témoignage de notre indigente position, qui fait que nous apparaissons sur la scène de l’Histoire comme, sans doute, les plus misérables des misérables créatures qui n’aient jamais rampé dans la fange de la nuit spirituelle depuis l’aube des temps, ceci participant des conséquences terrifiantes, non seulement du péché originel, mais aussi, cela n’est pas à négliger, de l’apostasie généralisée dont rend bien compte une société vidée de sa substance chrétienne. Je n’y reviens pas. »

Le 19 novembre, par un lien qui n'est pas passé, j'ai posté sur la question mon premier commentaire. J'écrivais ceci, et je crois que la question est bien posée sur ces bases :


« Le néant qui frappe la civilisation moderne est certes constitué du néant de l'homme, mais cette civilisation l'exalte à un point inédit dans l'histoire de l'homme. Cette civilisation, ce milieu de vie semble absorber et perdre comme l'eau sur du sable tout effort noble, tout homme noble. Mais il n'y à mon avis ni résignation ni désespoir à avoir, mais désir d'engager la guerre métaphysique qui s'annonce. »


Une question importante se pose déjà pour notre compréhension mutuelle, c'est de savoir si vous admettez que l'on puisse poser des situations historiales, ce que j'appellerais des cycles du temps humain, et même une structure cyclique du temps humain, faite d'involutions certes communes pour leur horizon d'ensemble, mais cependant assez qualitativement différentes pour que l'histoire soit un enjeu dans la guerre métaphysique. Cette guerre dont nous constatons bien l'existence au coeur de nos propres existences.


Je n'ignore pas la difficulté pour vous de cette notion de cycle, surtout si ces cycles sont posés comme nécessaires, et non l'effet d'un libre volonté, d'une libre grâce. Mais au delà, il ne semble pas excessif d'écrire que le temps de l'Écriture comprend à la fois la nature linéaire du récit, et aussi la marque de cycles, y compris de cycles de théophanies : ainsi la création et la période d'avant le péché, la période antédiluvienne, la période des patriarches, la période de Moïse et de la réaffirmation de l'Alliance, la période de la vie du Maître, la période apostolique...et aujourd'hui, la période moderne, dont l'étrangeté est difficile à comprendre de manière systématique, où des catholiques passionnés remettent en cause l'orthodoxie du Pape. Parmi d'autres éléments et très vite, un cycle est fait d'une période d'oubli, de décadence, et d'une théophanie restauratrice, restauration certes partielle, restauration qui s'exprime par son mouvement de retour dans le mot repentir, qui fait écho à la nostalgie. La particularité des temps tient à la profondeur, à l'énormité de l'oubli, au sentiment d'une chute irrépressible dans un abîme sans limites ; à la puissance de négation systématique, tenace, mécanique du Système moderne ; à sa capacité inédite de s'assimiler la révolte et la négation pour augmenter et intensifier sa puissance ; à ce « complot contre toute les formes de vie intérieure »dont parle Bernanos. Je dirais que nous vivons une forme idéologique du Déluge, où les quarante jours et les quarante nuit de pluie, de tentation du Verbe, ne trouvent pas de cesse. Dans de telles circonstances, l'abri hors du monde de l'Ermite est le pendant de l'engagement au combat de ceux qui sont des hommes du monde, de chair et de sang, de ceux qui enterrent et pleurent leurs morts et font profession de leurs bras, comme le centurion Corneille ; de ceux qui ont
des enfants, de ceux qui aiment les cultes et leurs pompes, les parfums et ont beaucoup aimé et beaucoup péché.


Face à cette nuit obscure de l'âge humain, il est humain de prendre une conscience aigüe des ténèbres et du péché. Cela, vous l'aurez compris, est une pique pour tenir le lecteur éveillé et rien de plus. Les cycles de la Révélation sont analogues au cycles de l'âme ; la nuit des Temps correspond à la nuit obscure et au nuage d'inconnaissance de l'âme. A ce titre L'Ecriture prend tout son sens spirituel quand elle est lue comme acte et exercice spirituel, comme histoire de l'âme ; et le temps de l'âme est ainsi le reflet du temps de la révélation, et analogiquement tissé de rythmes, ainsi que Boèce l'a étudié à la suite de l'Antiquité, sous le nom de musique. Par la vibration de la musique sacrée les rythmes de l'âme et les rythmes de l'histoire sainte sont rendus sensibles. Une célébration divine peut ainsi nous placer en situation de comprendre les lectures du jour plus et plus loin qu'une lecture isolée, comme si soudain la parole s'était adressée à nous personnellement, en une véritable théophanie ; et une voix profonde de spirituel, peut, par la simple lecture dans la prière, rendre sensible obscurément, et hors de portée du concept, la texture intime de l'écriture. Cela est une vertu de la musique, gloire silencieuse de Dieu.


Par là je montre que le Livre est fermé sans milieu de vie, et à mes yeux, je présente un argument favorable à la notion de cycles de l'histoire divine.Car toute argumentation n'est pas raisonnement mais aussi expérience. Les chants portent le nom de passages du cycle quotidien, et la liturgie est explicitation de l'analogie du cycle annuel avec les cycles de l'Ecriture.


C'est toute l'importance de la théurgie, de la mise en résonance de l'Ecriture avec la vie humaine,ici et maintenant, résonance qui est analogué avec la résonance des cloches dans la temporalité de la communauté, ou encore avec le foyer commun de la temporalité qu'est le cycle luni-solaire, légitimement vécu comme symbole de l'éternité, sphère céleste et soleil invaincu. Comparez cet Univers commun des cycles temporels, essentiel aux communautés traditionnelles, avec la montre individuelle, et son morcellement unidimensionnel fixé sur l'utilité productive, et avec la télévision individuelle comme premier facteur de construction d'un Univers commun, et vous aurez une notion faible de la perte d'orientation de la communauté humaine et de l'exténuation de son Univers. La perte de l'Univers spirituel dans la communauté des hommes, les hommes individuels enfermés dans une mondéité propre bornée, cela certes s'enracine dans l'essence de la destinée humaine, mais est aussi son exaltation ténébreuse propre à un moment du Cycle humain, moment par ailleurs étendu sur des siècles. Le mal métaphysique s'exalte et triomphe, et chacun porte le signe de son nom ; mais il est à la portée de l'homme de le combattre.


La question est de celle qui engage le théologien ,le métaphysicien, le philosophe porteur d'un mode de vie, l'artiste comme producteur de mondes, constituant d'un Univers humain, à savoir un Univers constituant une communauté humaine, et un Univers permettant l'assomption de l'homme, maintenant ouvertes dans la vie humaine les portes du Royaume. Car, comme dit l'Ecclésisaste, certes l'homme souvent œuvre dans la vanité et la poursuite du Vent, mais « Dieu retrouve ce qui est perdu. »


Le premier pas vers la lutte est la compréhension de la situation comme cyclique, donc re-formable, capable de ré-volution au sens primordial du terme.Mais comment? Le premier point de communauté et de désir de combat est l'inextinguible soif de l'homme, cette aveugle et naïf désir d'être plus : le dépassement de l'homme est l'homme. L'exténuation de l'Univers huamain n'est pas l'exténuation de la nostalgie.


«Le combat, l’unique combat Artériosclérose, pour nous sur « La Question », est donc d’ordre métaphysique et spirituel contre le mal ; métaphysique car il touche à la nature ontologique de l’homme et du monde ; spirituel car il ne peut emprunter, et comme armes et pour finalité, que l’essence invisible de la soif mystique de l’Absolu. »


Cette soif qu'à la suite d'Eschyle et de Simone Weil, je nomme, car elle est à la fois direction et douleur, nostalgie.Elle est puissance universelle de conversion, à l'œuvre aussi dans les « Confessions ». En clair, je pense que cette soif « éclaire tout homme venant dans le monde », et que tout homme venant dans le monde peut penser cette peine et commencer son retour, son repentir.


« Zeus, quiconque, la pensée tournée vers lui, dira sa gloire,

Celui là recevra la plénitude de la sagesse,

Lui qui de la sagesse aux mortels à ouvert la voie ;

« par la souffrance la connaissance » est la loi suprême qu'il a posée.

Elle se distille dans le sommeil auprès du cœur,

la peine qui est mémoire douloureuse ;

et même à qui n'en veut pas vient la sagesse.

De la part de divinités c'est là une grâce faite de violence,

ellesqui sont assises au gouvernail sacré. »


La peine qui est mémoire douloureuse, l'état de disgrâce de l'homme. Et chose étrange, cette peine et cette déréliction sont armes, armes redoutables. Car c'est de l'insatisfaction, de ce caractère indéfini, de cette créaturalité, que jaillit la puissance qui pousse l'homme sur les voies impénétrables, loin du confort de la bête et du sommeil minéral des monts. Comme Judas a mystérieusement collaboré au mystère du sacrifice de la Passion, ainsi le péché, la déchéance, la souffrance issue du mal métaphysique est justement la porte de l'Orient mystique. Connais toi toi même. La connaissance du mal, du mal en soi-même, est grâce, donation de puissance. Ainsi si tu ne sais pas que tu ne sais pas, tu crois savoir.Et tu t'arrêtes sans même avoir commencé l'oeuvre de la vie humaine.L'homme noble est l'homme de la nostalgie.


J' accorde que cette puissance est condition non suffisante, et qu'elle peut mener dans les ténèbres ; mais je dis par contre que l'homme qui est possédé par cet ardent désir, même si celui ci le mène à la plus complète déréliction, est celui qui est visé par les paroles du Maître à Marie-Madeleine : « il te sera beaucoup pardonné parce que tu as beaucoup aimé ». Que n'es-tu froid ou bouillant...celui qui ne pèche que peu au regard des hommes parce qu'il ignore la souffrance, la passion au sens propre du salut, et ne cherche pas des voies d'aventure dans un Univers humain où toutes les voies sont fermées au regard et envahies de ronces- « je me retrouvai dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue... »-celui là me fait penser aux pharisiens, qui ont perdu la voie du Royaume et l'interdisent aux autres hommes, à ceux qui ne voient pas qu'ils sont aveugles, pitoyables et nus. Ce propos me semble particulièrement adapté pour faire saisir à un admirateur de la Résistance ce que nous pouvons trouver chez Alphonse de Chateaubriant. Aussi, pour faire saisir pourquoi Parménide, ou Héraclite, sont des auteurs emplis de grâces. Et pour faire comprendre comment je peux être un lecteur de Simone Weil, de Bernanos, et de Zak. Il est deux frontières dans la guerre, entre ceux qui combattent, mais aussi entre ceux qui combattent et ceux qui ne combattent pas. Il importe que d'ennemis ils deviennent adversaires.


La liberté humaine demeure dans la souillure du péché ; l'homme mauvais est poussé à aller au delà de lui, vers ce qui le dépasse. Certes sa nature est insuffisante, mais elle peut poser, ou non, des inflexions nécessaires, non suffisantes à la grâce du repentir. L'action est possible et souhaitable dans le monde, comme expression de ce chaos qu'est l'homme. Pour autant elle n'est pas un principe pour tout homme.La meilleure part n'est pas la part de tous.


La nostalgie concerne tout homme, et elle est le ferment et la lumière commune qui rallie les si divers combattants de la totalité présentée par le Système. Un effet du Système est d'absorber comme une puissance nouvelle à son service tout refus qui n'est pas total ; un autre est de diviser profondément ceux là même qui portent le grand Refus. Pourtant la force qui fait bouger les montagnes n'est pas dans la division, mais dans la réunion. Un élément qui m'a paru tout à fait crucial pour me reconnaître dans la démarche de Zak est d'y lire la lecture conjointe du Système par la théologie, par l'ontologie fondamentale et par les penseurs situationnistes. La conjonction de la pensée traditionnelle, la plus essentiellement critique car la plus étrangère à son entéléchie, avec la pensée révolutionnaire, apte à l'efficacité temporelle, est cela même qui a produit le grand ébranlement du Système, et vous comme moi connaissez le nom de cet explosif réellement dominant dans les sphères culturelles de l'avant guerre. C'est la reconnaissance de la communauté principielle, l'empathie de la nostalgie commune, avant le rattachement aux orientations humaines, conceptuelles ou politique, qui fonde ce rapprochement légitime. C'est pourquoi je pose que le penseur supérieur, qui va et se maintient sur les fondements de la guerre métaphysique et sur la nostalgie, n'a pas d'opinions- et des passages des contributions de Zak ont pour moi le même sens. C'est cela même qui fait distinguer un désaccord de principe total avec une empathie réelle avec les pitoyables révoltes de ce siècle. Car dans les conditions de vie du Système, pour des hommes déprivés de tout Univers, transformés en moyens d'une entéléchie aussi puissante que vide, mieux vaut la révolte que rien. Je suis plus proche d'un hors la loi humain et désespéré que d'un pharisien du politiquement correct. Le caractère fermé et borné du marxisme primaire est aussi le reflet d'un milieu de vie réel où rien ne compte que la force et l'argent ; et celui qui est élevé dans ce monde ne peut développer une révolte au delà sans génie, et le génie est rare. Il y a donc lieu d'un dialogue et d'une œuvre commune entre des courants de diverses origines du grand Refus. Dans le passé, le cercle Proudhon en fut un exemple significatif. Les éléments intellectuels d'une synthèse analogue me semble disponibles, avec en plus de nouveaux éléments qui peuvent l'améliorer. La guerre idéologique est ainsi pour moi le premier pas de la guerre en tant qu'action humaine.


Par exemple je lis dans les commentaires au présent texte la nécessité de repenser le Nazisme.Le nazisme fascine le monde moderne et fait les succès d'édition et de scandale. Le Système nie cette fascination pourtant tout à fait sensible, et propre à lui. La cruauté plaît et attire. Le négatif absolu du Système secrété par le Système fascine les ennemis du Système qui ont en lui leur milieu de vie et sont en fait encore déterminés par lui. Le nazisme est une position cruciale de l'idéologie moderne. Le nazisme a été le soleil noir qui a entrainé des hommes nobles dans son étrange vortex et les a rendus complices de crimes atroces, et spectaculaires. Leur assimilation idéologique par le spectacle comme figure fonctionnelle de l'Enfer ne doit pas, par le rejet du spectacle, faire détourner le regard de ces crimes réels. Le nazisme doit être analysé comme Tentation, et rejeté. Son caractère méphistophélique est sensible. Cela me paraît valable à tous les plans d'analyse. Et surtout le Nazisme en dernière analyse me paraît étrangement proche du Système, en être une variante. La nostalgie d'hommes nobles a permis la prise du pouvoir par Speer, figue de l'entéléchie du Système, et des assassins démoniaques. Le nazisme a permis la réalisation des attentes du Système, la transformation de l'homme en matière première industrielle, en objet de la technique, par son corps mais aussi par son âme. Il n'est pas le lieu dans ce texte de le faire plus avant, mais cette analyse est une nécessité stratégique.« il tromperait même les justes, si cela était possible ».


Un tel projet- la déconstruction de la déconstruction- ne peut être individuel et doit s'enraciner dans les couches les plus profondes de la réalité historiale. Il est, je le répète, la destruction phénoménologique de la matrice idéologique du Système, comme premier moment de la pratique de la guerre. Sinon, tout effort aboutira à renforcer le Système. Particulièrement tout exercice de la violence matérielle, puisque l'entéléchie du Système est la maximisation du déploiement de la puissance matérielle. Pour cela nous avons l'arc, la tension, la flèche et le but...sans entrer dans une analyse longue et difficile, je crois que notre époque est un kairos, un point crucial et un lieu de jugement de l'histoire des derniers siècles : notre siècle est bien le siècle des menaces pour le Système triomphant..


Le choix prioritaire de la lutte idéologique s'explique aussi par l'inflation idéologique du Système, qui remplace la coercition physique par le discours partout où il le peut. Et par la nécessité où est le Système pour fonctionner, de faire tendre tendanciellement vers zéro les coûts de transmission de l'information, ce qui permet à une très petite puissance matérielle de diffuser une information qualitativement très puissante, même si de ce fait elle est peu accessible. A ce sujet, l'élaboration de canaux reconnaissables est un élément de la maitrise du bruit informationnel, qui est la contre arme du Système autant et plus que la censure directe. Par bien des côtés, nous nous trouvons dans une situation comparable à la diffusion des lumières, inversées ; ou, pour parler davantage à d'autres lecteurs, comparable à la mission de Paul et à la diffusion du christianisme dans l'Empire romain, je pense en particulier à la rencontre de Denys sur l'Aréopage, à Athènes.Dans un tel contexte, la nostalgie de Denys rencontre les paroles de la Nouvelle. Dans un tel contexte s'applique la parole, « qui n'est pas contre nous est pour nous. »


Il est un dernier point sur le quel je veux argumenter.


L'entéléchie de la matrice du système peut être décrite comme la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, ce qui donne à la paix une allure de production de guerre, avec la production et la destruction comme seul horizon ; et ce qui donne à la guerre une allure de guerre totale symétrique, avec montée aux extrêmes de la puissance de production et de destruction. La deuxième guerre mondiale ou la guerre froide, avec la course aux armements, n'en sont que des exemples. La guerre a lieu dans le monde économique. Le système libéral, avec l'organisation de la guerre de tous contre tous, est par essence un système de maximisation de la puissance globale, de montée symétrique à la course à la puissance matérielle, conjointement à une exténuation limite de toute communauté politique. Les oppositions de ce fait sont assimilées par l'entéléchie du Système dès lors que ces oppositions acceptent d'utiliser les moyens légitimes du Système, depuis la violence terroriste qui permet le déploiement inédit de la coercition, jusqu'à la pratique politique qui abouti très vite à se positionner dans le Système.


Dans cet horizon spécifique, la lutte idéologique ne peut se faire, comme toute opposition, en opposition frontale qui nourrira la puissance du système ; la lutte idéologique globale doit se fondre dans les grilles de lecture du Système et devenir la mode, tout en veillant à rester inassimilable ; ce caractère de grain de sable dans les rouages devant conduire à augmenter les forces d'inerties et les résistances, à les fédérer et à leur donner forme et fin.Ce processus est très visible dans l'histoire de l'Encyclopédie. Cette option stratégique me permet d'expliquer le titre si ambigu « délices de l'Âge de fer ». Je citerais un homme lucide sur ces nécessités :


« Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, (...)et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l'enveloppe amusante, titillante, apéritive, du gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté et non approprié à la nature humaine » .

Beaudelaire, l'Art Romantique.


Par exemple le système use et abuse du discours moral comme moyen de domination, ce qui est une destruction complète du bien et du mal, du fait de l'utilisation du bien explicite comme moyen d'arraisonnement, comme outil, avec une finalité de domination. En clair l'inflation du discours moral est en fait une annihilation du bien et du mal comme distinctions dernières. La destruction de la « moralité » du système est nécessaire, et rendue plus aisée par la prétention du Système à revendiquer l'immoralité et le plaisir. Je les revendique sans hésiter comme arguments.Je pense que ce point vous sera difficile.Mais de ce fait aussi l'argumentation des chiens de garde sera difficile. L'œuvre comme je l'ai dit peut faire la déconstruction de la déconstruction, être légère et ludique sur ce que le Système veut traiter avec sérieux, être sérieuse sur ce que le Système affecte de traiter comme superficiel, et surtout utiliser les principes et les discours du Système contre lui. L'idéologie matricielle est paradoxale, et la détruire n'est pas seulement de la mettre à plat mais aussi accentuer ses paradoxes au delà de ce qui permet sa survie. La vérité est aussi une arme, car le spectacle est constamment trompeur et manipulateur. La posture globale est celle du dandysme philosophique déjà sensible chez Beaudelaire.


Ainsi j'ai pu poser des principes de diagnostic et des principes de stratégie dans la guerre métaphysique ; ce texte est déjà très long pour notre forme de publication. Je le dépose devant vous, gardiens de « la Question », après une première discussion sur les conditions du dialogue que nous avions menée à bien ; la période du cycle annuel y est particulièrement favorable, période de victoire apparente des ténèbres et d'apparition de la grande lumière, la Lumière qui resplendit et ne peut être comprise dans la main des ténèbres, l'étrangère par excellence.

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