ISI

Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

vendredi 12 décembre 2008

Sur l'interprétation : un élément de discussion.


(Puvis de Chavannes, Marie Madeleine au désert)



« Fait-tu bien de t'irriter? »demande Dieu à Jonas. Et je me suis irrité moi-même. Je connais la formule du Confiteor. J'ai trouve certaines remarques raides et sèches et surtout peu attentives au fond. Je ne nie nullement le péché, et je ne veut être ni naturaliste ni panthéiste. Qui, quand on lui demande du pain, donnera des pierres? J'ai eu l'impression...Voilà.

Je ne veux pas non plus polémiquer sur le fond. Cependant là il me semble que je peux relever des positions qui me paraissent excessivement raides et peu conformes à la plus ancienne tradition du Christ et de l'Eglise. De plus, il ne faudrait pas utiliser Heidegger comme un penseur hostile au concept. Que le concept doive être dépassé est un fait ; et qu'il ne soit en fait que spéculaire et en énigme, c'est ce dont je suis convaincu ; mais le dépassement du concept, la percée, ne peut se faire sans un travail conceptuel préalable, au risque de tomber dans l'arbitraire. Condamner abruptement le travail conceptuel me fait penser à l'oiseau qui trouve que ses ailes ralentissent son vol.

J'ajouterai que j'ai choisi d'apporter au débat non pas mes avis, mais des citations de Heidegger et des citations de la tradition. Je suis bien conscient qu'il ne faut pas tout mélanger ; je place donc Heidegger en premier à titre d'introduction ; ensuite des citations sur la créature ne tant que deuxième Livre dans la Tradition ; enfin des citations sur les sens de l'Ecriture, avec des remarques défendant l'idée qu'en droite pensée, le sens spirituel, le plus élévé, est le principe et l'ordonnateur par analogie de tous les autres, et donc que la complétude du sens littéral lui même ne peut advenir sans intelligence spirituelle des mystères du Texte sacré.

J'annonce ici enfin que si possible je n'aborderais plus ces sujets, qui ne peuvent être trop discutés sans risques ; car l'objet de mon intervention sur le texte de Zak sur Isabelle des Charbinières est autre. Il s'agit non pas de discuter du contenu de la foi, mais de la guerre métaphysique. C'est sur ce sujet que je crois pouvoir dire être en accord sur le fond avec Zak quand à la nature de cette guerre. La discussion porte à mes yeux sur la stratégie. Et j'y reviendrais, à la lenteur de mes moyens.

Commencons donc :
Sur l'importance du travail conceptuel fondamental je me refère aux « problèmes fondamentaux de la phénoménologie » de Heidegger. Sur la nature de ce travail d'abord, rendu urgent face à l'idéologie moderne :

« La consistance des problèmes fondamentaux issus de la tradition philosophique garde aujourd'hui encore une stabilité et une efficace telle que l'on ne saurait surestimer les effets de cette tradition. Il en résulte que toute élucidation philosophique, si radicale soit-elle en recommançant à nouveaux frais, demeure pénétrrée de concepts reçus en héritage et par conséquent d'horizons et de perspective également reçus ; il n'est pas du tout certain que ces derniers proviennent originairement et authentiquement du domaine ontologique et de la constitution d'êtrequ'ils prétendent concevoir. L'interprétation conceptuelle de l'être et de ses structures, c'est à dire la construction réductrice (au sens de la réduction phénoménologique note de L) implique nécessairement une destruction autrement dit une dé-construction critique des concepts reçus, qui sont d'abord nécéssairement en usage, afin de remonter aux sources où ils ont été puisées. C'est seulement par cette destruction que l'ontologie peut s'assurer phénoménologiquement de la pleine authenticité de ses concepts. »

L'idéologie moderne est basée dans ses multiples variantes sur une structure ontologique commune, qui est l'ontologie de la chose, selon laquelle seule la chose, l'être déterminé sensible, singulier, peut être dit « être » au sens plein, et tous les autres étant ne peuvent être dit être que par ressemblance, homonymie ou analogie à la chose. De ce fait, l'ontologie des nombres, des signes, des relations, des images, sans parler des mondes spirituels, devient impensable et renvoyée à l'irréalité, comme dans l'expression « économie réelle » qui parle de choses réelles par opposition à la sphère financière, dont l'être ne peut être pensé dans cette idéologie. Pourtant tout ce qui est n'est pas une chose et n'existe pas selon la modalité de la chose.

D'où la volonté de construire une ontologie incompatible avec l'idéologie moderne, une ontologie de la relation et de la puissance, où ce qui apparaît comme singulier dans l'ontologie de la chose est décrit comme la polarité d'une relation dans un ensemble. Construire, car la philosophie est un travail de l'esprit humain, et donc possède une liberté, un espace de jeu et d'interprétation.
C'est en quelque sorte une destruction expérimentale de l'ontologie moderne, celle qui par exemple produit le nominalisme, le libéralisme individualiste, l'idéologie du contrat social...le projet étant la construction d'une contre Encyclopédie.

Je donne une autre citation du même cours, qui est plus polémique :

« Mais l'opposition qu'une pensée dresse à l'encontre de l'opinion habituelle mène-t-elle nécessairement à la négation pure et au négatif? Cela n'arrive en réalité (mais alors de façon inéluctable et définitive, c'est à dire sans aucune échappée libre sur autre chose) que si l'on pose au préalable que cette opinion est « le positif » et qu'à partie de ce positif on décide absolument et négativement à la fois du champ des oppositions que l'on pourra rencontrer. Une telle manière de faire dissimule le refus d'exposer à une telle réflexion ce qu'on a estimé au préalable positif, ainsi que la position et l'opposition pour lesquelles il se croit sauvé. Par une référence constante à ce qui est logique, on donne l'apparence de s'être engagé dans la voie de la pensée, alors qu'en fait on l'a abjurée ».

Passer de la collection de singuliers incompatibles à la polarisation d'un tissu unique, c'est me semble-t-il ouvrir une compréhension humaine, mais plus profonde, de la Trinité. Et selon Saint Bonaventure entre tant d'autres, la Création est vestige de la Trinité. J'en viens donc à la tradition très ancienne de la création comme deuxième Livre. Je cite à nouveau la gloire des lys des champs. Je précise à priori que le péché n'est pas un argument contre cette tradition, car le Livre est ouvert pour l'homme pécheur ; et aussi, que les vestiges du péché eux même racontent la Gloire divine. La fermeture du deuxième livre vient de la vision du monde comme nature à exploiter, ressources, utilité ; c'est cette posture humaine qui aveugle sur les signes qui dans la création, sont présent à qui a des yeux.

Une citation ouvre le « Moyen Âge », nom péjoratif d'une grande époque d'Univers chrétien :

« « Je ne suis pas digne de dénouer la lanière de sa chaussure » (la chaussure du Verbe, c'est sa chair, celle qu'il a assumée). On peut aussi dire que la chaussure signifie la créature visible et l'Ecriture sainte, en laquelle il a laissé comme l'empreinte de ses pieds. La créature visible ne effet, est le vêtement du Verbe, puisqu'elle le fait ouvertement connaître en manifestant sa beauté ; la sainte Ecriture est devenu aussi son vêtement, puisqu'elle contient ses mystères. De ces deux réalités- créature et Ecriture-le précurseur s'estime indigne de dénouer la courroie, autrement dit la subtilité. Les deux pieds du Verbe sont d'une part, la raison naturellede la créature visible, d'autre part, l'intelligence spirituelle de la sainte Ecriture.(...) la courroie de cette double chaussure est la recherche diligente et la poursuite minutieuse de la vérité sur le double terrain que l'on vient de dire(...) »
Jean Scot Erigène, « commentaire sur l'évangile de Jean » traduction SC.

Une citation le ferme :

« Celui qui ne connaitrait rien d'autre que les créatures, n'aurait jamais plus besoin de méditer sur aucun sermon, car toute créature, quelle qu'elle soit, est pleine de Dieu et elle est un livre »
Maître Eckhart, extrait d'un sermon cité par L. Cognet, introduction aux mystiques rhéno-flamands, Paris 1968 p71.

Ces auteurs peuvent ne point vous agréer : sachez que pour Thomas, la contemplation de la Création peut permettre d'ouvrir à la Cause, et donc aux premiers linéaments de la foi. Non bien sûr à la foi catholique.

Je ne peux donc vous accorder l'inexpressivité de la création. Quant à l'Ecriture, je veux signaler que ce que vous appellez sens eschatologique est déjà pour moi le sens d'une orientation structurellement historique ; j'ai toujours lu comme sens ultime de l'Ecriture le sens spirituel, qui ouvre à l'éternité. St Augustin sans être le premier fut un grand interprète spirituel de l'Ecriture. J'ajouterais Guillaume de St Thierry, St Bernard, entre tant d'autres. C'est à dire que le sens spirituel ne s'ouvre qu'aux spirituels, enraciné dans une vie et une expérience spirituelles ; il est en puissance dans le texte, et n'est en acte et en exercice en ce monde qu'orienté vers un lecteur. Il y a bien diversité hiérarchisée des lectures, des accès aux différents sens. Et les sens qui se manifestent ne sont pas contraires, mais sont contradictoires, c'est à dire que ce qui apparaît au lecteur matériel comme étant un domaine de référence matériel, à celui qui veut moraliser comme un domaine de référence moral, est au Spirituel lié à un domaine de référence spirituel. Si cela n'était pas le cas, veuillez admettre que cela n'aurait pas de sens de parler d'une pluralité réelle de sens, ou expliquez moi.

Par contre, en vous relisant, je veux affirmer devant mes frères que mes propos à ce sujet n'ont pour sens ou conséquence de rendre contradictoire par nature et sur le même plan le Texte sacré. Le Déluge a eu lieu, non n'a pas eu lieu dans le plan physique ; par contre le sens ultime de ce récit réside dans sa compréhension spirituelle, dans le cercle formé par l'Arche et l'Arc, symbole de la totalité formée par le Ciel et la Terre, et dans le pont que restaure l'Arc en ciel entre la création déchue et les hiérarchies célestes. Pour moi il y a là analogie avec le baptême.

Ces différents sens ne sont pas pour autant des parties autonomes et séparées, mais bien des analogons de la hiérarchie des mondes célestes, tels que décrits par St Denys, à la suite d'une pensée issue d'une interprétation platonicienne d'Aristote :

« Toujours en effet, le terme postérieur contient en puissance le terme antérieur, qu'il s'agisse de figures ou d'êtres animés... » Traité de l'âme, à partir de 414b29.

Le terme le plus élévé est l'achèvement ultime de tous les autres ; le sens spirituel contient en puissance tous les autres sens. De là j'en déduis que le sens littéral n'est pleinement ouvert qu'à celui qui accède au sens spirituel, et que le sens littéral apparent, obvie, ne peut prétendre sans inversion nihiliste ordonner le sens spirituel. Et c'est justement ce que dans mon texte précédent je reprochais à l'exégèse « scientifique » des modernes, qui se prétend « purement littérale », et est de ce fait « absolument aveugle ».

je cite St Denys :

« La hiérarchie est selon moi un ordre sacré, une science, une activité s'assimilant autant que possible à la déiformité, et selon les illuminations dont Dieu lui a fait don, s'élevant à la mesure de ses forces vers l'imitation de Dieu. Et si la beauté, qui convient à dieu, étant simple, bonne, principe de toute initiation,est entièrement pure de toute dissemblance, elle fait participer chacun, selon sa valeur, à la lumière qui est en elle, et elle le parfait dans une très divine initiation en façonnant harmonieusement les initiés à l'immuable ressemblance de sa propre forme »
(Une vieille citation de mes cahiers, sans autre référence que SC.)

J'ajoute une citation trouvée sur Wikipédia :

A l'occasion de la Crise moderniste[7]Les papes Léon XIII et Pie XII ont publié des encycliques sur les études bibliques. Léon XIII, dans Providentissimus deus (1893), met en garde contre une interprétation exclusivement littérale :

« Il importe, en effet, de remarquer à ce sujet qu'aux autres causes de difficultés qui se présentent dans l'explication de n'importe quels auteurs anciens, s'en ajoutent quelques-unes qui sont spéciales à l'interprétation des Livres Saints. Comme ils sont l'œuvre de l'Esprit-Saint, les mots y cachent nombre de vérités qui surpassent de beaucoup la force et la pénétration de la raison humaine, à savoir les divins mystères et ce qui s'y rattache. Le sens est parfois plus étendu et plus voilé que ne paraîtraient l'indiquer et la lettre et les règles de l'herméneutique ; en outre, le sens littéral cache lui-même d'autres sens qui servent soit à éclairer les dogmes, soit à donner des règles pour la vie.
Aussi, l'on ne saurait nier que les Livres Saints sont enveloppés d'une certaine obscurité religieuse, de sorte que nul n'en doit aborder l'étude sans guide (Ps 18:2) »

Voilà, j'espère moins mériter votre colère, si vous comprenez que mon objectif n'est pas la discussion du contenu de la foi, pour laquelle je ne revendique pas de compétence particulière, mais la destruction phénoménologique des fondements conceptuels de l'idéologie moderne, et aussi, j'y reviendrais donc, sur la nature et la stratégie de la guerre métaphysique qui s'affirme dans notre époque du monde. Désolé pour l'erreur de copie que vous avez justement relevée. Je souhaite désormais que la discussion puisse se poursuivre sur des bases assainies. Quant à ce que je retiens de Henry Corbin et de Simone Weil, ce ne sont pas leur orthodoxie mais leurs vertus ; de l'un, l'ouverture aux ciels spirituels, de l'autre l'intransigeance teintée d'amour, de passion de Dieu.

Aucun commentaire: