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Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

mercredi 3 décembre 2008

L'économie comme nihilisme II : la crise comme opportunité cyclique-le vautour.


La crise métaphysique du monde est dans une certaine mesure un miroir de la crise matérielle. Et la crise politique est profonde même si peu la saisissent dans son contexte.

Le cercle de causes qui crée "la croissance économique"est simple dans son principe : la conséquence de la croissance est aussi cause de la croissance ; et cause et conséquence sont proportionnels. Si les conséquences de la croissance connaissent une croissance quantitative, alors les causes la connaissent aussi, et l'ensemble monte en puissance comme il le fait globalement depuis au moins deux siècles. Seulement, si le cercle s'inverse, la cause systémique de la prospérité devient la cause systémique du lent effondrement de l'intérieur du système. Cette implosion semble en cours, et ceux qui prévoient la fin de la crise pour 2010 risque d'être aussi ridicules que ceux qui la voyaient derrière nous... comme un ours grizzli. La croissance devient récession, l' autorégulation devient destruction.

Reste à analyser si les causes du renversement sont profondes, dites structurelles, susceptibles de se répéter durablement, ou au contraire accidentelles, aléatoires, déjà balayées par le vent, comme les personnes. Dans ce texte je donne les arguments qui me paraissent conduire à privilégier la première hypothèse, et de rappeler que le monde n'est sorti de 1929 qu'en 1939.

La crise financière, je crois l'avoir indiqué, n'est qu'un symptôme. L'économie américaine est en récession depuis le début 2008, ce qui signifie clairement que la crise a commencé avant la crise boursière. Le système médiatique a simplement montré son impuissance à identifier et à faire part d'une tendance lourde mais lente. La crise industrielle, par exemple dans l'automobile, fer de lance du modèle de croissance du XXème siècle, cœur du modèle de croissance, est aussi un indicateur en faveur d'une crise systémique.

Comme en 1929, la crise résulte essentiellement du décrochage entre la production et la consommation, causée par le décrochage entre les salaires et les profits. Le gonflement phénoménal des profits attestés par tous les indicateurs conduit à une crise d'hyperinvestissement toxique.

La capacité d'investissement pousse à une recherche de profitabilité optimale et donc à un hyperinvestissement managérial, qui conduit à une multiplication des restructurations et des délocalisations, et donc à une baisse de la part des salaires dans la redistribution de la richesse produite ; à des investissements massifs dans les communications et les télécommunications ; et cet hyperinvestissement est l'un des moteurs de la mondialisation, qui est le projet de faire du monde terrestre un espace unique de production et d'échange, et aussi un marché du travail unique.

Les énormes profits créent des masses de capitaux cherchant de haut niveau de profit. On assiste à de lourds investissements, voire à une spéculation, sur les produits de rente. Les caractéristiques de ces produits sont leur caractère indispensable au consommateur et le haut niveau d'investissement que requiert leur distribution, ce qui crée des situations d'oligopole, voire de monopole, et permet des marges très élevées, car le consommateur ne peut s'en passer. En contrepartie, les investissements dans leurs réseaux nécessitent des connivences politiques. On compte ainsi les produits alimentaires, énergétiques, les telécoms et les transports. Cette pression du capital se traduit par les vastes privatisations, qui illustrent la complicité des investisseurs et des politiques.

La pression démographique sur le marché du travail et l'hyperinvestissement toxique cumulés entraînent la part des salaires à la baisse, et donc la consommation, les profits, et aggrave en réponse l'hyperinvestissement.

On assiste à un recul massif du modèle des Trente Glorieuses. Dans ce modèle, les produits sont d'abord de luxe, puis deviennent des objets de consommation de masse grâce à la baisse des prix permises par l'investissement, et à la hausse régulière des salaires permise par la hausse de la productivité. Il n'y a qu'un marché en évolution à l'ensemble de la société. Mais maintenant la hausse de la productivité va principalement au profit.

La société de consommation en croissance se maintient dans la production et le commerce de luxe, basée sur le désir illimité des franges de la population qui accumulent les profits de la croissance ; et parallèlement se développe une production low cost, où les gains de productivité se traduisent en baisse des prix, et qui propose des équivalents, des imitations à bas prix des produits de luxe pour la masse, qui prend comme modèle la vie médiatisée des plus riches. On assiste à une croissance vertigineuse des inégalités réelles.

L'exacerbation de "la lutte contre les discriminations"montre à la fois la nécessité de lancer un écran de fumée sur la réalité des inégalités réelles, à la mesure de la mesure de la réalité dans la société réelle, qui est l'argent, et aussi le durcissement des luttes de pouvoir au sein de l'oligarchie dominante. Dans l'oligarchie du spectacle, on se doit de ne pas se montrer comme oligarque mais comme représentant d'une catégorie d'opprimés. Cette appartenance spectaculaire est un atout déterminant pour se pousser et pousser les autres qui n'ont pas ces atouts, à l'intérieur de l'oligarchie ; mais celle-ci ignore trop souvent que ce n'est pas le cas à l'extérieur, c'est à dire qu'être pauvre et discriminé n'est pas là un avantage réel, mais un stigmate réel.

Là encore, dans cette inversion, nous avons un signe de la séparation profonde des deux systèmes sociaux, oligarchique et populaire. Cette séparation est rendue peu visible par la présentation de l'oligarchie au bon peuple comme miroir mimétique, elle n'en est pas moins réelle : les règles de l'oligarchie ne sont pas celles de la population extérieure.

Ainsi l'oligarchie s'aveugle profondément, car elle croit être populaire avec la "lutte contre les discriminations", dans un pays où un tiers des électeurs a pu voter pour le Front National. Cette séparation, c'est là dessus que ce sont appuyés ceux qui ont permis à tant d'ouvriers de voter pour la droite, contrairement à un modèle de décision rationnelle basée sur les intérêts. Et quand l'oligarchie bien pensante comprend cette séparation, elle ne pense qu'à "éduquer le peuple", nullement à comprendre ses valeurs.

Le peuple est xénophobe parce qu'il se veut communautaire et solidaire sur un modèle familial. La famille, le groupe sur qui on peut s'appuyer inconditionnellement, c'est un des piliers de la dignité de celui qui n'a pas de biens. Cette xénophobie concerne aussi les français d'origine étrangère. Et le peuple est homophobe, parce que la force physique et l'affirmation machiste est un autre pilier de la dignité de ceux qui n'ont ni biens, ni diplômes, ni éducation valorisante. Voyez les valeurs des supporters de foot, ce sont celles là, l'affirmation virile et la loyauté à l'équipe, ce qui comprend le rejet violent et actif des autres équipes.

La xénophobie n'est pas un privilège de blancs, mais un phénomène universel ; simplement, les pauvres ont une mondéité proche aux limites étroites, et voient bien que l'élargissement du marché du travail se fait au détriment de leur dignité, et accroit leur faiblesse face aux riches. Ils voient, et est-ce à tort, la main d'œuvre étrangère comme une concurrence. La xénophobie des riches est à la mesure de leur monde, et se masque de grands principes, se masque de toute idéologie condamnable comme le racisme. La xénophobie des riches se fait contre les gens qui ont des coutumes contraires à leur principes, qui sont donc de fourbes et méchants sauvages, à éduquer selon la gauche, ou à détruire selon Bush-c'est bien la seule différence entre Bush, Tony Blair, et le PS.

Dans le cadre culturel de l'oligarchie, surtout l'oligarchie de gauche, ces hommes pauvres, culturellement déprivés, xénophobes et machistes sont en trop et ont le droit de se taire et d'être l'objet de la répression. Faire appel à leur voix et à leurs valeurs, c'est ça le populisme. La xénophobie des riches se base sur l'exclusion idéologique ; aussi la bourgeoisie socialiste va-t-elle montrer le plus profond mépris pour le pauvre blanc rural, chasseur et machiste, l'électeur de bush et de Sarah Palin, qui rejette l'éducation bien intentionné des militants antiracistes. Cette xénophobie le rabaisse au niveau de "plouc taré", et refuse toute possibilité de le comprendre. Je ne parle pas des sectes de l'ultra-gauche, qui en rêveraient bien l'extermination. Les oligarques sont xénophobes par générosité et par humanisme, par droit d'ingérence ; au point de couvrir de bombes et d'occuper des pays entiers, de manière absolument désintéressée.

La crise des partis de gauche est celle de l'appartenance de leurs cadres et de leurs militants à l'oligarchie et à ceux qui rêvent d'en faire partie ; être "de gauche" est en ces milieux tellement politiquement correct que cela se porte comme un vêtement Dior. Le peuple réel au fond les effraye ou leur répugne. C'était la supériorité d'un Tapie.

Un dirigeant populaire, qui ferait une place aux valeurs populaires, ne peut émerger à gauche de ce fait ; voyez tant la réussite électorale de Fabius appelant à voter non ou la réussite de Ségolène avec sa symbolique maternelle catholique, et le blocage et l'incompréhension rencontrés dans le parti à leur encontre. Le P.S ne peut plus représenter le peuple, ou plutôt il le peut dans le théatre médiatique avec ses connivences, mais il ne le peut sur le théatre éléctoral, sauf par hasard. Et au fond ses dirigeants ne veulent guère plus que ce qu'ils ont, le confort de leurs revenus et de l'opposition.

Autre stratégie concernant le vote populaire, celle du Front National mérite d'être examinée. Cette stratégie a pu lui permettre d'avoir le poids électoral que l'on sait mais ne doit pas masquer ses évidentes faiblesses.

Le F.N aurait pu être ce grand parti populaire d'opposition à l'oligarchie médiacratique, et c'est je crois l'espoir qu'il a pu donner à un Dieudonné. Il ne l'a pas été. Le FN a conduit sa stratégie sur la dignité nationale et la xénophobie des blancs pauvres, déclassés par le délitement de l'Etat Nation et l'ouverture du marché du travail, et aussi par l'hyperinvestissement toxique. Accabler "les étrangers" est symptomatique des limites de la mondéité propre de ces hommes, peu capables d'interpréter leur déclassement comme une évolution globale organisée par l'oligarchie à son profit.

Pour conduire cette stratégie le F.N a réuni des gens d'horizons divers unis par leur rejet de l'idéologie de l'oligarchie. Un chef charismatique faisait l'union. Le retrait du chef et le recul du parti font aujourd'hui la désunion et la chute du parti. La volonté de s'allier à l'oligarchie pour conquérir une place au soleil donne à Marine le Pen un profil comparable à celui de Dominique Voynet pour les Verts, une liquidatrice au profit de l'oligarchie dominante d'un mouvement né dans les marges extérieures et d'abord concurrent de celle-ci.

L'échec du F.N s'éclaire de la réussite de la campagne de N. Sarkozy. Le populisme moderne ne peut se passer d'une ouverture à la pluralité des fiertés identitaires et des xénophobies ; les populations humiliées issues de l'immigration peuvent parfaitement rallier un mouvement populaire puissant. N'oublions pas que la reconnaissance de leur dignité ne s'est faite qu'au niveau du spectacle ; une reconnaissance réelle aurait plus de poids.

Un rénovation de la politique à l'heure de la crise ne passe pas par la culture des divisions mais par l'union. Au début du siècle précédent le Cercle Proudhon a réuni des intellectuels marxistes, anarchistes et syndicalistes, des monarchistes catholiques, des nationalistes pour l'élaboration d'une pensée qui a menacé la suprématie des libéraux, voix des intérêts du capital, et des communistes, voix des intérêts des salariés, intérêts dont l'opposition ne doit pas masquer la connivence profonde dans l'Âge de fer, pour la maximisation du déploiement de la puissance matérielle et la fermeture des mondes spirituels.

Là encore, la synthèse de la pensée traditionaliste avec la théorie critique et dialectique, présentée sous une forme d'argumentation postmoderne pour laquelle l'Âge de fer n'est pas immunisé, peut être le levier du monde et la fin du cycle.

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