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(Un monde parfait) |
Nous avons une certaine vue
distante sur le monde moderne et sur la résistance qu'il rencontre.
Une certaine lassitude aussi à voir se reproduire les mêmes
comportements et les mêmes renforcements qu'ils induisent sur les
forces idéologiques dominantes.
En tant que système social,
et sans manifester plus de subtilité qu'un système social étudié
par des ethnologues au fond d'une forêt originaire, la société
moderne se donne une identité positive à ses propres yeux en se
construisant des ennemis. En termes situationnistes, la société
moderne construit un récit de soi – récit en puissance d'être le
récit de soi de tout homme qui se reconnaît ensuite en elle –
dans laquelle elle est « le Bien » affrontant « le
Mal ». Ou encore, les bons affrontant des méchants.
Il est à noter que posséder
le monopole de la définition légitime de « l'homme bon »
- construire le modèle, produire et diffuser les signes qui
instituent socialement les modèles comme modèles désirables par
tous – posséder le monopole de la morale passe par la possession
du monopole de la violence physique légitime, pour reprendre la
définition de l’État par le sociologue allemand Max Weber. Il est
d'ailleurs évident à l'observateur que le monopole de la définition
du légitime permet de rendre n'importe quel acte légitime, et que
le monopole de la violence et le monopole de l'édiction publique de
la morale sont étroitement liés en politique.
Pour autant, le monopole de
l'édiction de la morale ne peut pas plus être assuré que celui de
la violence légitime : dans la réalité, il existe une lutte
permanente, une contestation permanente de la représentation
dominante de « l'homme bon ». L'édiction de la morale en
effet, l'édiction de ce qui est désirable, bon et juste, est une
hiérarchisation de la société, entre les excellents qui doivent
régner, les normaux, et les mauvais à qui l'enfer de la répression
est ouvert. Et il n'est pas d'enjeux plus importants dans la vie
humaine que la reconnaissance.
De manière générale,
traduisent les penseurs modernes, les hommes sont en quête de
reconnaissance par la société, et tâchent d'imposer les valeurs
qui leurs sont, individuellement ou par groupes sociaux, les plus
favorables. Les classes manuelles par exemple, respectent plus la
force physique que les classes tertiaires, qui y perdraient, et sont
donc plus favorables au refus de la violence. Un effet comique
habituel est de faire dénigrer la beauté physique par une personne
très laide, par exemple. La sincérité du dénigrement passe en
hypocrisie du déni de l'humiliation déjà vécue.
Pour que cette contestation
porte sur les idées et les valeurs plutôt que sur la violence –
ce qui est la porte ouverte à la guerre civile – l'homme bon
moderne permet la constitution d'un espace de discussion, où vont
sans cesse se nouer des compromis entre individus et entre groupes :
c'est toute la tolérance moderne. En théorie donc, « l'homme
bon » des modernes accepte la discussion. De ce fait il existe
de très nombreux spectacles de débats parmi toutes les
représentations du monde moderne par lui-même – pour autant, il
semble que jamais rien de décisif n'y vienne à jour, tant
l'homogénéité idéologique de notre époque est frappante.
Cette homogénéité
idéologique libérale si sensible en Europe pourrait être due à la
raison humaine, tellement bien partagée selon Descartes, et à la
liberté de discussion ; mais pour croire cette heureuse fable –
tout allant pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles - il
faudrait aussi s'aveugler sur la réalité de l'existence d'une
propagande et d'une idéologie officielle des organes politiques
dominants, qui sont tout autant l’État et l'Université, ou encore
les Écoles, que les entreprises dominantes, particulièrement dans
la communication. En réalité, le caractère rationnel de
l'idéologie moderne se base sur la force d'une domination générale
d'un monde, comme le caractère global et rationnel de la Somme
théologique de Thomas d'Aquin se basait sur une domination du monde.
Il n'est pas étonnant qu'un monde organisé par l'homme soit
largement rationnel – mais la raison est plastique et plurielle,
puissance de mille pensée, et non autorité rigide de la pensée
unique.
Dans le monde moderne en
effet « les bons » se représentent avec les qualités
essentielles de leur représentation de l'homme moderne :
tolérant, démocrate, généreux, partisan et artisan de libertés
et de libération, courageux contre les tyrannies, etc. Ajoutons à
cela jeune et d'un physique avantageux si possible, avec une belle
chemise, mieux encore issu d'une minorité opprimée, comme les
femmes ; et nous aurons le portrait d'une Femen idéale. Si nous
prenions les anciens Zoulous, nous aurions la vélocité et le
courage parmi les qualités essentielles, et un jeune guerrier comme
modèle : le monde moderne n'offre structurellement rien de
nouveau à l'humanité.
Ce qui est ironique pour ce
qui concerne les modernes, c'est que le maintien de cette image
d'eux-même comme les « bons », rationnels et prêts à
discuter à l'infini, passe comme le maintien de toute représentation
dominante par l'exercice régulier et appuyé de l'argument
d'autorité et du catéchisme bêtifiant, voire par une bonne dose
d'hypocrisie et de mensonge. Le modèle le plus abouti et le plus
intégré d'une civilisation ne peut être réalisé sans un solide
fond de bêtise et de narcissisme – le doute et l'ironie envers
soi-même signant une subtilité supérieure et une imperfection
totalitaire.
***
Il en est de même de la
construction culturelle, universelle, de « l'homme mauvais. »
Pour la « bonté »
des modernes comme pour tous les autres hommes, toute constitution
culturelle d'un modèle des bons appelle un modèle des méchants.
C'est une propriété de la sémantique, ou science du sens, la plus
universelle : si l'homme tolérant, démocrate, généreux est
bon, l'homme opposé, intolérant, partisan d'une tyrannie, et
hostile aux autres est mauvais. Cet homme mauvais construit par
l'acte de construire le profil de l'homme bon est aussi mauvais pour
les apôtres de la tolérance que pour l'Inquisition, même si le
profil est différent. L'homme mauvais de l'inquisition est
l'hérétique, le marrane, le sorcier ; on lui prête toute
sortes de traits inquiétants, nocturnes, pervers, on le soupçonne
de s'en prendre au enfants, une sorte de saleté générale, quoique
l'hérétique soit lâche et prêt à trahir. L'homme mauvais du
monde moderne est dénommé le fasciste, ou encore l'intégriste :
on lui prête de même toute sortes de traits inquiétants :
stupide, fanatique, violent, alcoolique, raciste, lâche, il se plaît
à assassiner en bande des innocents à cause de leur aspect qui,
bien entendu, ne lui reviennent pas – il ne s'est pas regardé. Et
l'inquisiteur moderne qui travaille en libéral est l'antifa :
c'est un bon qui chasse les méchants, jusqu'au jour où le monde
sera parfait, puisqu'il n'existera plus un seul méchant.
Comme toute civilisation, le
monde moderne propose donc une place à ceux qui, comme Hannah
Arendt, peuvent dire : I don't feet, je ne conviens pas.
Cette place est celle du
méchant. Tous les êtres faibles qui cherchent leur identité par
opposition, tous les provocateurs vont se saisir des signes de la
méchanceté. Ainsi Sid Vicious ou les motards arborant la croix
gammée et la crasse, voire la stupidité. Les plus intelligents et
les plus naïfs vont découvrir que la méchanceté et la bonté ne
sont pas seulement des natures, mais aussi des constructions
sociales, comme des féministes qui croient découvrir la lune en
découvrant la construction sociale des rôles sexués. Et comme les
féministes ou les antispécistes qui passent de la découverte de la
construction sociale des rôles sexués ou animaux à leur
condamnation morale – au motif immature que si une différence
n'est pas naturelle comme il étaient assez naïfs pour le croire au
début, elle doit être condamnée – ces opposants qui commencent à
se reconnaître dans le portrait social du méchant vont vouloir
réhabiliter des méchants historiques.
Ceux
là proclament que Staline, Hitler, et j'en passe, ne furent pas
aussi méchants qu'on
le dit. L'inquisition a tué moins qu'on le dit. L'Allemagne nazie
était organisée humainement et n'a pas voulu la guerre. Et toute
sorte d'autres bourdes. On va toujours trouver quelque chose, une
exagération, un témoignage enjolivé par le temps, et invoquer la
Vérité. C'est le mécanisme du révisionnisme. Mais c'est
complètement stérile : si tuer volontairement un enfant est un
crime qui est inacceptable – si nous partageons l'interdiction
antique de l'homicide sans motif – il est absolument vain de
discuter du nombre de tués, ou de la manière dont on les a tués.
Un était trop ; et il y en a eu tellement qu'on ne peut pas les
compter, vous comprenez ? De telles discussions soit isolent
ceux qui veulent les mener, soit divisent le corps social sur des
discussions sans fin – mais jamais elles n'offrent de voies
positives d'opposition politique ou éthique.
Il
est également possible de poser que le portrait du méchant a été
construit volontairement, et même est manœuvré par les « bons »
pour détruire toute opposition. Mais l'essentiel consiste à
comprendre que tout se passe dans la représentation, et que la
réalité a peu d'importance. Si la réalité a peu d'importance,
pourquoi faire des plans complexes, coûteux et risqués pour la
créer de toute pièces ? Augmenter la probabilité qu'un drame
arrive est suffisant, à la rigueur fermer les yeux sur des
informations, sans pour autant organiser soi-même le drame.
Vouloir
déconstruire le portrait du méchant en assumant la place du méchant
est accepter la place assignée par le Système. Les marchands de
sécurité ont besoin de voyous à cagoule, les antifas ont besoin de
bons gros fas bien méchants. Bien sûr, prendre la place du méchant
peut être courageux. Mais cela ne peut menacer un système de
valeurs en place, à moins de prêcher le renversement de toutes les
valeurs, comme firent les premiers chrétiens en proclamant modèle
absolu de l'homme bon un criminel mort sur l'échafaud. Et cela
n'aura pas lieu rapidement dans le monde moderne.
***
Sun Tzu, stratège chinois,
dit : tout l'art de la guerre est fondé sur la duperie.
Accepter le rôle du méchant
de service, pour un opposant au monde moderne, est une duperie.
Accepter de parler d'abord de sujets qui ne sont pas immédiats est
une duperie. Je ne m'oppose pas au dérives du monde moderne pour
demander une dictature éternelle, mais parce qu'il est une tyrannie
qui avance masquée. Je ne m'oppose pas au capitalisme au nom d'une
soif de sang, mais parce que je pense que l'homme est un animal
politique, que la liberté démocratique est garantie par l'ordre
politique, et donc que le politique doit reprendre la main sur les
puissances d'argent, dans la fidélité aux Droits de l'Homme de 1789
et à la déclaration du Conseil National de la Résistance en 1944.
Je ne m'oppose pas à la diffusion de l'idéologie du Genre parce que
je hais les femmes, mais parce que cette idéologie voile massivement
la réalité des rapports de propriété et d'argent, qui sont
l'essence de l'exploitation moderne, bien avant toute fiction de
genre ou de race – et que la principale fonction politique de
l'idéologie du genre est justement ce divertissement de la réalité
massive. .
C'est pourquoi je me
désolidarise par avance de toute complaisance révisionniste,
raciste, antisémite, complotiste ; de toute nostalgie assumée
ou non pour les totalitarismes. C'est pourquoi je considère que la
situation actuelle de la population française doit être tenue pour
irréversible, et donc que la communauté politique doit être
inclusive et en capacité d'intégrer les populations dans une patrie
solidaire. C'est pourquoi je considère que le problème
israëlo-palestinien ne peut être tenu pour central dans une
restauration d'une pensée politique d'opposition réelle au
capitaliste et à la destruction de la Nation et de l’État. La
question relève des relations extérieures, et doit être traitée
en tant que question de politique étrangère, avec raison et
distance, et sans l'ambition utopique de créer définitivement un
monde juste – et avec quelle définition de la justice ? C'est
pourquoi enfin je considère qu'il faut dissocier la loyauté au
régime, en fin de course, de celle due à l’État national,
construit par l'histoire, et qui ne peut être discutée. La loyauté
à l’État et à la Nation doit dépasser toute loyauté
communautaire.
Tous les racismes n'ont
jamais eu pour effet, comme l'antisionisme fanatique de certains
modernes, de solidariser les peuples avec les dirigeants les plus
corrompus, et d'empêcher les éléments intègres des communautés
de s'exprimer sans paraître manquer de solidarité à leur nation.
C'est pourquoi aussi la
condamnation de l'ordre capitaliste du travail ne peut devenir une
apologie d'une vie immature, loin de la dureté d'assurer sa propre
survie matérielle, assisté par les aides sociales, l'expression
d'une compréhension pour le vol des fruits du travail, et un mépris
des travailleurs.
Le seul effet de toutes ces
complaisances est de se garantir une clientèle fidèle née de
l'exclusion sociale et du ressentiment pour une part. C'est à la
fois très important et mortel. Cela peut permettre de transformer un
mouvement politique en entreprise rentable, assurant la vie de ses
dirigeants ; mais cela exclut toute capacité à devenir comme
furent les Lumières, une contre-idéologie dominante sapant
réellement les bases symboliques du pouvoir en place, pouvoir à
bout de souffle et sans grandeur. Il est remarquable de noter
qu'aucun personnage de grande envergure des Lumières n'a accepté le
rôle d'ennemi de l’État ou de la Nation.
Le monde qui s'oppose à
nous est un monde marqué par un capitalisme à la fois triomphant,
écrasant et en difficultés : impérialisme et néocolonialisme
détruisent les sociétés humaines au plus profond d'elles-mêmes,
et nient le droit des hommes à vivre et à travailler au pays.
L'argent est un vecteur de dissolution des liens entre les hommes, de
dissolution de la mémoire et de la langue, comme de la culture. La
société des individus déracinés et incultes est celle produite par
l'état présent du capitalisme, et pas le modèle désirable que
l'idéologie fonctionnelle veut vendre. La tolérance et le
pluralisme dont elle martèle la propagande en armant des fanatiques
ailleurs sont le voile d'un principe d'ordre unique, qui est
l'acharnement du Capital à se reproduire.
Les réprouvés doivent
rejoindre les poètes pour défendre les mots de la tribu, et le
droit de la tribu d'ordonner des mondes vivables, sanctuarisant par
la loi la solidarité communautaire et les libertés humaines au delà
de toute récupération et de toute morale. La liberté du Citoyen
doit à nouveau être garantie absolument, car elle n'est fondée sur
rien. L'enserrement actuel du monde par le Capital, de plus en plus
dérivant, doit trouver une fin dans la reconquête de la Cité comme
maison commune des humains, garantissant et surplombant leurs droits
individuels.
Ainsi la liberté ne peut
être atteinte par la volonté de garantir la sécurité, car la
seule limite absolue de la sécurité est l'immobilité et la mort.
Il n'y a aucune légitimité morale à créer des exceptions à la
loi. La morale est l'expression de l'arbitraire des dominants, la loi
est dépositaire de la volonté générale de la Nation.
Nés après la mort des
Lumières, nous devons chercher à nouveau un modèle politique de
l'homme. Nés dans la misère symbolique de la société
post-culturelle, nous devons chercher une renaissance du pouvoir de
poser des mondes beaux et grands. Nés sous le talon de fer du
Capitalisme, nous devons trouver la voie d'un socialisme
authentique, dévoilant la sociale-démocratie moderne comme pure
gestion du modèle libéral. C'est l'avenir qui importe – nous
laissons définitivement la nostalgie et la révision indéfinie du
passé aux morts. Ce que nous savons de notre pays nous suffit pour
avancer – il est vital désormais de savoir avancer.
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